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Le double visage du macronisme : entre autoritarisme et libéralisme
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Bonnes feuilles

L'action politique d'Emmanuel Macron et du gouvernement d'Edouard Philippe, depuis le sacre présidentiel et le triomphe des législatives, est riche d'enseignements. Extrait du livre "Le Paradoxe du macronisme" de Luc Rouban, publié aux Presses de Sciences Po (1/2).

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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La mise en œuvre des premières mesures du gouvernement Philippe a défrayé la chronique pour son aspect autoritaire, renforcé par le fait qu’il disposait d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale de 311 députés LREM qui ont la particularité, à l’exception remarquée d’un ou de deux parlementaires, de ne pas remettre en cause les choix du pouvoir exécutif. Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, le Président a été élu par une majorité par défaut qui était seulement convaincue de vouloir écarter le FN du pouvoir, sans qu’il dépende pour autant du bon vouloir de sa majorité parlementaire puisque celle-ci ne comprend pas de courants ou d’alliances qui pourraient le fragiliser comme ce fut le cas naguère avec le PS ou jadis avec l’UMP puis LR. Le macronisme a donc changé de visage après les élections législatives pour se transformer en programme de réformes libérales devant adapter la France à la mondialisation, à l’Europe, à la libéralisation des services publics et du marché du travail. Et c’est ici que se déploient les deux derniers paradoxes du macronisme.

Les ressorts d’un nouvel autoritarisme 

Le premier tient à ce qu’il a été construit sur une logique de pouvoir horizontal, participatif, dans la perspective de réunir les bonnes volontés au-delà des clivages partisans afin de débloquer les réformes et d’améliorer l’économie du pays. Emmanuel Macron défendait déjà en 2011 l’idée de renouer avec les grands récits historiques et de dépasser les débats techniques pour renouer avec l’idéologie seule créatrice de sens. Cette voie était la seule pour lui qui permettait d’inscrire la politique dans la modernité, c’est-à-dire dans la délibération : « L’action politique contemporaine requiert une délibération permanente. Non pas le débat corseté et organisé qui prépare la prise de parole et le programme d’un candidat face au peuple mais une délibération qui permette d’infléchir la décision, de l’orienter, de l’adapter au réel. » (Emmanuel Macron, « Les labyrinthes du politique : que peut-on attendre pour 2012 et après? », Esprit, 3, mars-avril 2011, p. 114).
Très vite, cependant, c’est bien la nature verticale du pouvoir qui s’est imposée. La réforme du code du travail et, plus encore, celle de la SNCF, ont montré que la concertation avec les syndicats ne portait que sur les dispositifs de mise en œuvre des réformes et ne constituait nullement une négociation sur leurs principes, situation qui a déstabilisé les syndicats réformistes et notamment la CFDT dont la direction pensait pouvoir devenir l’interlocuteur naturel du gouvernement. En mai 2018, 77 % des enquêtés se situant à gauche, 45% de ceux de droite et 64 % de ceux proches du FN estiment qu’il est trop autoritaire (Vague 18 de l’enquête électorale française du Cevipof, menée du 25 avril au 2 mai 2018). Plus généralement, le macronisme s’est construit sur la méfiance que suscite le personnel politique ou les syndicats, et le refus de s’engager dans des confrontations partisanes qui ont bloqué l’action de François Hollande. L’histoire politique française semble s’être alors répétée, voyant le parlementarisme se faire évincer par la technocratie. Immédiatement, Emmanuel Macron a été qualifié de Président technocrate, n’ayant jamais été élu au niveau local et cherchant avant tout à s’appuyer sur des experts pour mener un programme de réformes envisagé depuis longtemps par de multiples rapports de hauts fonctionnaires. Il est vrai que la haute fonction publique était très présente au sein des réseaux qui ont construit En Marche ! dès 2016 même si elle n’a pas fourni beaucoup de ministres au gouvernement d’Édouard Philippe (C’est ainsi que les hauts fonctionnaires constituent, en 2017, 40% de la population des ministres dont 10% seulement ont fait l’ENA. Par comparaison, la proportion de hauts fonctionnaires était de 48% dans le gouvernement Valls de 2014 (avec 21% d’énarques), et de 36% dans le gouvernement Fillon de 2007 (avec 17% d’énarques). L’autoritarisme du macronisme est sans doute inscrit dans ses gènes car il développe un libéralisme par l’État, doctrine majoritaire au sein de l’Inspection des finances depuis l’après-guerre, comble du paradoxe car c’est exactement de cette façon qu’il renforce le vieux modèle français qu’il entend justement dépasser. 

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