Le dépeceur de Montréal aurait-il commis son crime si Internet n'avait pas existé ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Luka Rocco Magnotta, le dépeceur de Montréal, a été arrêté ce lundi dans un cybercafé à Berlin...
Luka Rocco Magnotta, le dépeceur de Montréal, a été arrêté ce lundi dans un cybercafé à Berlin...
©Reuters

Epilogue

Luka Rocca Magnotta a été arrêté ce lundi à Berlin dans un cybercafé. Un lieu qui n'a rien d'un hasard, le jeune homme cherchant avant tout à se mettre en scène via les réseaux sociaux.

Dominique Rizet

Dominique Rizet

Dominique Rizet est un auteur, présentateur et journaliste.

Il est grand reporter et conseiller éditorial au Figaro Magazine et chroniqueur dans l'émission Faites entrer l'accusé sur France 2.

Depuis 2007, il présente également un magazine intitulé Justice Hebdo sur la chaine Planète Justice.

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Atlantico : Luka Rocco Magnotta, le dépeceur de Montréal, a été arrêté ce lundi dans un cybercafé à Berlin après une intense cavale, partie du Canada et passée par Paris. Comment peut-on expliquer ce risque inconsidéré de se rendre dans un cybercafé, à la vue de tous ?

Dominique Rizet : A l’évidence, les gens comme Xavier  Dupont de Ligonnès qui doivent être bien plus recherché que le dépeceur de Montréal n’iront pas se faire piéger à aller dans un cybercafé. Magnotta est un jeune homme, qui n’a que 29 ans et qui vit comme les gens de son âge.  Il semblerait qu’il ne puisse pas se passer d’Internet et de communiquer.

Cela fait également partie de sa démarche. Son crime, il ne l’a pas commis seulement dans le but de tuer et dépecer une personne, c’est aussi une opération de communication. Il a mis en ligne la séquence du meurtre, raconté sa démarche sur son blog. Ce n’est pas simplement « le faire » c’est surtout « le faire savoir ».

Iriez-vous jusqu’à dire qu’il n’aurait pas commis le crime s’il n’avait pas été certain de pouvoir en faire une communication à plus ou moins grande échelle ?

Si cela n’avait servi à rien d’un point de vue médiatique, je ne suis effectivement pas certain qu’il aurait fait cela. Ce garçon a besoin de reconnaissance, il se montre et n’hésite pas à exhiber son corps sur lequel il a pratiqué la chirurgie esthétique plusieurs fois.

Il y également une part de ressentiment à l’égard du système. Il a essayé de participer à des jeux télévisés mais a été recalé, il a essayé de faire le mannequin, idem. Et je ne suis pas sûr que sa carrière pornographique soit un franc succès.

Internet est donc devenu le meilleur outil de propagation d’un crime ?

Oui clairement. C’est d’ailleurs ce que Mohamed Merah a fait. Il avait filmé ses actes odieux avec une caméra mais, heureusement, il avait préféré les donner à une chaine d’informations plutôt que de les diffuser sur le net.

Les premiers à l’avoir fait sont les terroristes qui prennent un journaliste en otage et qui diffusent son exécution sur Internet. On retrouve aujourd’hui, dans une moindre mesure, le même phénomène dans la vie de tous les jours. Les policiers de la sécurité publique en témoignent quotidiennement. De plus en plus d’actes délictueux, pas forcément criminels, sont filmés par les jeunes. On l’a vu récemment dans l’affaire des pompiers de Paris où des scènes auraient été filmées…

Peut-on réussir une cavale à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux ?

Ma réponse est simple : Xavier Dupont de Ligonnès. S’il est toujours vivant, et c’est mon intime conviction, il est la meilleure preuve qu’une cavale reste encore possible aujourd’hui. Je n’ai vraiment pas l’impression qu’il soit mort et je pense qu’on réentendra parler de lui !

Qu’est-ce qui a changé alors dans la cavale depuis l’ère des réseaux sociaux ?

Dans beaucoup d’affaires judiciaires, on fait désormais l’enquête sur Internet. Les affaires Merah, Ligonnès ou Magnotta suscitent beaucoup de commentaires dans les forums. Les sites, les blogs de discussion sur les affaires criminelles se trouvent aisément sur la toile. Pour l’affaire Dupont de Ligonnès, beaucoup de messages font état du fait qu’il a été vu ici ou là. Ce genre de choses doit donner à la police des sueurs froides. Cela serait quand même très dérangeant pour les policiers que quelqu’un soit arrêté comme cela grâce à des informations d’internautes.

On s'est également aperçu qu’entre le Canada et nous il y a 6 000 kilomètres et 1 500 entre nous et l’Allemagne. Avec Internet, le monde devient un village, cela va très vite. L’affaire n’est pas canadienne, elle est québéco-franco-allemande.

Un homme activement recherché au Canada pour meurtre réussit à atterrir en France. Qui a commis l'erreur dans cette affaire ?

Je ne crois pas qu’une erreur ait été commise. Je pense que Luka Magnotta a été très rapide. Il a tué son jeune partenaire chinois, a envoyé un pied au Parti conservateur québécois, une main chez le concurrent à Ottawa, le Parti libéral, et déposé une valise sur laquelle il a laissé son adresse avec, à l’intérieur, le tronc de sa victime.

C’est le jeu du chat et de la souris. Il a laissé, consciemment ou inconsciemment, des informations pour se faire prendre et pour qu’on parle de lui. Mais il a surtout été très rapide. Avant qu’on ait fait le rapprochement entre ces morceaux de corps envoyés aux partis politiques, la valise et le nom dessus, lui a eu le temps de se rendre à l’aéroport Pierre-Elliott Trudeau de Montréal et de prendre un avion pour Paris sans être signalé.

Si la pression sur les enquêteurs pour boucler l’enquête est souvent politique ou médiatique, elle semble aussi populaire désormais. Les réseaux sociaux mettent-ils une pression supplémentaire sur les policiers ?

Cela leur met une pression énorme et les fait travailler plus vite. Si l’on pose la question à un patron de police judiciaire, on vous répondra qu’on enquête de la même façon sur une affaire dont tout le monde a parlé que sur une affaire plus anonyme. C’est absolument faux ! Regardez l’affaire Merah, en pleine période électorale, l’enjeu était phénoménal !

Sur l’affaire Treiber, à partir du moment où il était filmé par une caméra de surveillance posée par le Raid et qu’il n’est pas arrêté, les policiers sont passés pour des idiots sur les réseaux sociaux. La pression médiatique pour l’arrêter était devenue énorme.

Mais la précipitation peut également provoquer la multiplication des erreurs. Les magistrats le disent, il y a le temps médiatique et le temps judiciaire. Et cela, c’est un peu aussi de notre faute à nous les journalistes…

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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