Le cri d'alarme de Joseph Stiglitz sur la démocratie mise en danger par les inégalités<!-- --> | Atlantico.fr
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Le nouveau livre de Joseph Stiglitz « Le prix des inégalités » sort ce mercredi.
Le nouveau livre de Joseph Stiglitz « Le prix des inégalités » sort ce mercredi.
©Reuters

Le mur de l'argent

Le nouveau livre de Joseph Stiglitz, "Le prix des inégalités", sort ce mercredi. Pour le prix Nobel d'économie 2001, la montée des inégalités aux Etats-Unis, outre le fait de créer de graves problèmes économiques, pose un grave problème démocratique.

Laurent Pinsolle

Laurent Pinsolle

Laurent Pinsolle tient le blog gaulliste libre depuis 2007. Il est également porte-parole de Debout la République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan.

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Aujourd’hui sort le nouveau livre de Joseph Stiglitz « Le prix des inégalités ». Par-delà une description fouillée de l’envolée des inégalités outre-Atlantique et des raisons qui ont mené à cette envolée (rentes, mondialisation), le prix Nobel d'économie 2001 soutient que cela pose un grave problème démocratique.

Une démocratie sous influence

Pour Joseph Stiglitz,  l’augmentation des inégalités pose un gros problème dans un pays où l’argent a une telle place dans la vie politique (1,5 milliards de dollars devraient être dépensés pour l’élection de 2012). Il soutient que : « plus il y a besoin d’argent, plus les riches intérêts particuliers gagnent du pouvoir ». Pour lui, ce poids de l’argent privé dans la vie politique étasunienne donne un avantage certain aux plus riches.  Et l'économiste de dénoncer logiquement la décision de la Cour Suprême de 2010 qui a donné une plus grande liberté aux entreprises pour financer des campagnes (les super PAC).

Le prix Nobel va jusqu’à dire « qu’il y a peu de différence entre la corruption et ce qui se passe – à savoir des candidats qui reçoivent de l’argent d’une entreprise pour leur campagne et soutiennent des lois qui les arrangent ». Il dénonce les lobbys, et notamment des banques qui ont fait de la réglementation financière un « fromage suisse, plein de trous, d’exceptions et d’exemptions ». Et cite même Krugman pour qui « la concentration extrême des revenus est incompatible avec la démocratie réelle. Est-ce que quelqu’un de sérieux peut dénier que le système politique est déformé par l’argent ».

Joseph Stiglitz souligne que 50 millions de citoyens ne sont pas inscrits sur les listes électorales et que les républicains essaient de limiter la participation des plus pauvres. Il dénonce le redécoupage abusif des circonscriptions et propose de faciliter l’inscription sur les listes électorales, de mettre des restrictions au pantouflage des dirigeants publics dans les cabinets de lobbying, de réformer le financement des campagnes électorales et que l’Etat renégocie les licences télévisuelles pour y inclure des publicités gratuites et ainsi limiter la dépendance à l’égard de l’argent.

Une finance au-dessus des lois

Tout le livre démontre qu’aujourd’hui les grandes banques arrivent à faire passer leurs intérêts avant celui de tous les autres et font payer la note à la collectivité. Pour lui, « les banques ont déplacé le risque sur les pauvres et les contribuables ». Il souligne également que la mise sous tutelle des pays endettés pose un vrai problème démocratique. Il rappelle aussi que le FMI a tendance à trop largement privilégier les créanciers occidentaux dans ses plans, même si sa ligne a évolué récemment puisqu’il plaidait pour une restructuration de la dette grecque quand la BCE le refusait.

Enfin, le prix Nobel d’économie 2001 souligne le rôle des lois de faillite : « s’il n’est pas possible de se décharger de ses dettes, ou s’il n’est pas possible de le faire aisément, les prêteurs sont moins portés à être prudents et sont encouragés à faire des prêts prédateurs ». Aux Etats-Unis, les banques ont obtenu que « la loi de 2005 sur les faillites rende impossible de se décharger d’un prêt étudiant même en cas de faillite personnelle ». Bref, tout le système actuel pousse les banques à prêter le plus massivement possible puisque les emprunteurs sont à leur merci et qu’au pire, le gouvernement viendra à la rescousse.

Pire, les banques ont menti dans les procédures d’expulsion des ménages en difficulté avec leurs emprunts immobiliers en ne procédant à un véritable examen des dossiers. En fait, Joseph Stiglitz décrit un système où l’impunité des banques est totalement institutionnalisée alors que le scandale des caisses d’épargne avait abouti à 650 peines de prison ! Il émet un jugement sévère : « aux Etats-Unis, la vénalité opère à un haut niveau. Ce ne sont pas les juges qui sont achetés, mais les lois elles-même à travers le financement des campagnes et le lobbying », comme la loi Dodd-Franck.

Remettre la finance au service de l’intérêt général

Joseph Stiglitz fait ensuite des propositions pour améliorer le système et n’hésite pas à remettre en cause des dogmes bien établis. Il commence par se demander à quel point la politique monétaire aurait été différente si son objectif avait été de maintenir le chômage sous 5%, au lieu de viser une inflation à 2%. Il souligne que les problèmes d’inflation n’existent plus depuis trois décennies et dénonce le NAIRU (Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment) qui donne la priorité à l’inflation sur l’emploi. L'économiste critique également la baisse de 15% du salaire minimum depuis 1980.

Il conteste l’indépendance des banques centrales : « le manque de foi dans la responsabilité démocratique de la part des partisans de l’indépendance des banques centrales est profondément troublant. Où met-on la limite entre les responsabilités du gouvernement et celle des agences indépendantes ? Les mêmes arguments sur la politisation pourraient s’appliquer au budget ». Pour lui, « nous devons reconnaître que les décisions d’une banque centrale sont essentiellement politiques ; elles ne doivent pas être délégués à des technocrates ». Il juge la BCE pire que la Fed, avec son seul objectif de maîtrise de l’inflation, et sa défense des banques et non des peuples dans la crise de la zone euro.

Outre une réforme de la finance proche de celle de son rapport aux Nations Unies, Il propose un impôt plus progressif et une réduction des niches. Il souhaite démocratiser l’accès à l’éducation et à la santé. Il indique qu’il faudra que l’Etat soit prêt à jouer un rôle dans le financement des entreprises si l’on ne parvient pas à réformer la finance dans le bon sens. Joseph Stiglitz souligne tout le paradoxe d’une société qui, du fait des faibles taux d’intérêt, investit « pour économiser des postes » à une époque de chômage de masse et soutient qu’il faudrait « soutenir les investissements qui économisent des ressources et préservent les emplois, pas pour les investissements qui détruisent les ressources et les emplois ».

Pour Joseph Stiglitz, les 1% du haut doivent comprendre que « leur destin est lié avec la manière dont les autres 99% vivent ». Cela est essentiel pour réparer une société et un système démocratique malades de leurs excès, comme l’illustre le fait que 80% des jeunes se soient abstenus aux élections de 2010.

Source : Joseph Stiglitz, « The price of inequality », éditions Norton, « Le prix des inégalités », éditions Les liens qui libèrent, traduction personnelle.

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