Le chien est-il plus intelligent que le loup ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un chien de chasse face à un loup enchaîné lors de la fête de chasse "Solburun" dans le village de Bokonbayevo, le 18 octobre 2008, au Kirghizistan.
Un chien de chasse face à un loup enchaîné lors de la fête de chasse "Solburun" dans le village de Bokonbayevo, le 18 octobre 2008, au Kirghizistan.
©VYACHESLAV OSELEDKO / AFP

Bonnes feuilles

Pierre Jouventin a publié « Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble » aux éditions HumenSciences. L'image du loup cruel et sanguinaire nourrit notre imaginaire depuis des millénaires. Écornant la fable effrayante, la science nous en livre un tout autre portrait. Le loup n'est pas un pillard solitaire, il vit en famille soudée, sous la tutelle d'un couple fidèle, il élève ses petits en communauté et pratique une chasse écologique. Extrait 1/2 .

Pierre Jouventin

Pierre Jouventin

Pierre Jouventin a été, pendant quarante ans, directeur de recherche en éthologie des oiseaux et mammifères au CNRS et, pendant près de quinze ans, directeur d’un laboratoire CNRS d’écologie animale. Premier au monde à suivre un oiseau par satellite, il a découvert avec ses équipes des espèces nouvelles d’oiseaux et a obtenu la mise en réserve des îles Kerguelen. Il publie depuis sa retraite des ouvrages grand public.

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En Allemagne à la fin du XIXe siècle, un cheval, aujourd’hui célèbre sous le nom de Hans le Malin, a fait parler de lui comme calculateur de génie. Son maître en était très fier parce qu’il répondait par le nombre exact de coups de sabot aux calculs qu’il lui posait. Devant des rois et des notables, cet ancien professeur de mathématiques lui demandait d’effectuer des opérations complexes d’addition et de multiplication. Tous s’extasiaient devant son intelligence incroyable. Le Pr Heinroth, dont Konrad Lorenz fut l’élève, fut invité à ces démonstrations et ne découvrit pas de supercherie. Une commission d’enquête fut créée et il y envoya son meilleur étudiant qui observa soigneusement plusieurs démonstrations. Il remarqua que le cheval savant ne parvenait plus à compter quand son maître ignorait la réponse ou était hors de vue ; il fit placer un drap entre les deux lors de la démonstration suivante, ce qui priva le cheval de ses capacités de calculateur…

En réalité, l’animal ne faisait que scruter l’attitude de son maître par ses mimiques involontaires. Il savait à mesure qu’il tapait du sabot s’il approchait de la bonne réponse et lorsqu’il y était parvenu, il s’arrêtait tout simplement de frapper. Le propriétaire du cheval n’était pas un escroc : il découvrit que son génie était nul en maths mais surdoué dans l’analyse du comportement de son maître, sachant lire en lui sans qu’il s’en rende compte ! Très déçu par ce cheval plus psychologue que mathématicien, il le vendit aussitôt. La leçon que nous a donnée Hans le Malin et que l’on raconte aux étudiants en éthologie pour les rendre plus méfiants dans l’interprétation de leurs observations, c’est d’abord que les animaux très sociaux comme les chevaux et les loups (ou leurs descendants, les chiens) observent en permanence, et beaucoup plus finement qu’on le croit, leurs proches pour décoder le moindre de leurs comportements. Le deuxième enseignement est que nous sommes moins doués qu’eux pour lire la gestuelle. Nous supposons à tort que l’animal est un Homme sachant calculer comme nous et non un animal moins doué que nous pour les calculs mais bien plus empathique et meilleur observateur que nous. Cet anthropomorphisme, qui nous fait prendre les animaux pour des Hommes, est la grande cause d’erreur en éthologie et il touche surtout les passionnés des bêtes qui croient que leur compagnon est comme eux, si ce n’est supérieur. Pour ne pas surestimer son compagnon et voir la réalité, il faut un entraînement et beaucoup de distanciation, ce qui n’est pas facile pour un amoureux fusionnel de son ami à quatre pattes ! On a tant sous- estimé dans le passé les animaux en les prenant pour des machines, héritage de Descartes, que le danger est aujourd’hui, par réaction, de les voir comme des humains surdoués, alors qu’ils sont simplement différents et à juste titre, puisque chaque espèce possède ses spécificités !

Après cette mise en garde, essayons d’y voir clair pour répondre à une question aussi délicate que savoir si le chien est plus intelligent qu’un Homme ou qu’un loup. Quand on a eu l’occasion, comme moi, de comparer directement les chiens et les loups, l’impression principale est que l’animal domestique est beaucoup moins agressif, moins performant, moins vif, moins tenace, et qu’il perçoit moins bien le monde, ayant des sens moins aiguisés. Il ne faut cependant pas négliger la forte variabilité entre loups et plus encore entre chiens ! Il est incontestable que les canidés possèdent un cerveau beaucoup moins volumineux que les primates, en particulier les grands singes et l’Homme. La taille de l’encéphale n’est pas un critère absolu, loin de là, c’est pourtant un bon indicateur des capacités intellectuelles. Comme je l’ai déjà signalé, les races et les individus sont très différents entre eux, mais il est évident que tous les chiens sont moins doués que nous dans l’abstraction ou la raison. Par contre, ils sont bien plus doués que nous dans la sociabilité et surtout ils sont bien plus loyaux envers leurs alliés ! Les chiens sont d’une indéfectible amitié comme leur ancêtre. La comparaison sur ce critère nous est défavorable et prête à la critique de Madame de Sévigné persiflant : « Plus je vois les Hommes, plus j’admire les chiens. » Mark Twain, écrivain misanthrope, commente, désabusé : « Si tu recueilles dans la rue un chien qui est en train de mourir et que tu le nourris, il ne te mordra pas. C’est là toute la différence entre un Homme et un chien. » Beaumarchais, bien connu pour son impertinence, ajoute : « Aux qualités qu’on exige d’un chien, connaissez- vous beaucoup de maîtres qui soient dignes d’être adoptés ? »

Alors que les canidés ont été longtemps délaissés par la recherche scientifique, ils sont aujourd’hui devenus un sujet à la mode, du moins à l’étranger. Encore faut- il leur poser les bonnes questions, ce qui n’est pas facile, car nous avons tendance à leur poser des questions d’humains et non de canidés. Déjà une donnée anatomique intrigue quand on compare l’intelligence du loup à celle du chien. Comme je l’ai signalé, le premier a un cerveau presque un tiers plus gros, ce qui laisse supposer qu’il est plus doué intellectuellement. Ce ne serait pas étonnant puisque tous les animaux domestiques, qui ne se préoccupent pas de trouver le gîte et le couvert du fait de la prise en charge par l’Homme, montrent cette même baisse de volume céphalique. La vie sauvage d’un prédateur – et de plus aussi opportuniste que le loup – exige beaucoup d’astuces, mais elle demande aussi beaucoup de capacités à analyser le monde extérieur. Il a plus d’odorat que nous et même que la plupart des chiens. Il a aussi un meilleur équilibre postural et psychologique : lorsque je mettais ma louve en présence d’un chien, j’étais surpris par sa rapidité de réaction. Il fallait contrôler la situation dans la seconde pour que le chien ne devienne pas une proie. Il suffit de comparer les traces des deux espèces pour juger de la différence de contraintes qui pèsent sur eux : celles du chien sont désordonnées, alors que celles de l’ancêtre sont en ligne droite. Les loups sont en effet durement sélectionnés par la nature pour économiser leurs forces, surtout par temps de neige lorsque leurs pattes élargies en forme de raquette font merveille pour courser les ongulés dont ils se nourrissent. Dans une meute en déplacement normal, tous se suivent à la queue leu leu (leu signifie « loup » en vieux français), plaçant leurs pattes dans les traces du précédent et même, chez le même individu, les pattes de derrière dans les traces de celles de devant. Cette différence de taille du cerveau entre les deux espèces concerne non seulement des neurones destinés aux capacités intellectuelles mais aussi d’autres, responsables des capacités sensorielles, bien plus développées chez l’ancêtre apte à survivre dans la nature où toute erreur peut être mortelle.

Des tests comparatifs effectués dans un laboratoire hongrois de psychologie expérimentale ont pourtant conclu à l’inverse. Lorsqu’un Homme désigne du doigt l’écuelle où se trouve la nourriture parmi d’autres vides (ce que les spécialistes appellent le « pointing »), c’est le chien qui comprend et pas le loup ni même le chimpanzé. Ces chercheurs attribuent cette intelligence canine à la fréquentation de notre espèce… Mon explication est au contraire que le loup est trop indépendant et mature pour rechercher l’aide de l’Homme, alors que l’« ado éternel » demande de l’aide à son compagnon de toujours, son mentor et son chef de meute. On n’a donc pas testé l’intelligence dans cette expérience, me semble- t-il, mais le lien avec l’Homme, c’est-à- dire le degré de domestication, qui est évidemment plus développé chez le chien que chez un animal sauvage. En outre, le chien a toujours eu un besoin vital de comprendre les signaux humains pour assurer sa survie, ce qui n’est pas le cas du loup.

Mon explication, déjà ancienne, semble étayée par une expérience toute récente sur des chiens et des cochons élevés depuis la naissance par des humains. Afin de comparer l’aide qu’ils demandent à l’Homme pour résoudre le problème posé, un jouet ou de la nourriture est cachée dans une boîte au milieu d’autres identiques. Ces animaux domestiques, tous deux très familiers avec l’Homme, se conduisent différemment : le chien demande rapidement de l’aide et indique à l’expérimentateur par ses mouvements ce qu’il désire, alors que le cochon persiste à chercher et tente de résoudre seul le problème. D’après les auteurs, un chat fait de même, d’une part parce qu’il est moins sociable qu’un chien ou qu’un loup et d’autre part parce qu’il est moins domestiqué. Voici mon interprétation : le chien a été sélectionné par nos ancêtres pour rester immature et docile comme un jeune loup pendant toute sa vie ; il considère l’humain comme le leader du groupe auquel on se réfère en cas de difficulté, alors que le cochon est le descendant du sanglier, très malin et vivant aussi en famille permanente, mais où l’entraide dans la bande est beaucoup moins développée que chez le loup, spécialiste de la coopération. C’est toute la différence et cela permet de répondre à Lori Marino, la neurobiologiste américaine qui demande « pourquoi nous aimons les chiens et mangeons les cochons » ! Il fut cependant des époques où on mangeait aussi les chiens et il y a encore des pays comme la Chine où l’on continue de le faire…

Les dernières recherches sur l’intelligence comparée des canidés paraissent donc en train de prouver le contraire de ce qui semblait démontré auparavant : le loup serait plus malin et autonome que le chien, comme je l’ai toujours pensé. Pour prouver cela, le Wolf Science Center autrichien, dont nous avons déjà parlé, a trouvé l’astuce de tester des loups élevés au contact de l’Homme. Cela permet de mieux observer l’animal qui ne craint plus l’expérimentateur et se livre ainsi, comme nous l’avons fait il y a quarante ans avec Kamala (je ne serais d’ailleurs pas surpris que ce soit eux qui confirment ma découverte de l’altruisme chez le loup). Ils ont montré que, face à deux boîtes hermétiques dont l’une contient de la nourriture, loup comme chien suivaient le geste de l’expérimentateur qui indiquait la bonne boîte, donc un résultat différent de ce qui avait été trouvé avec des loups non familiers avec l’Homme ! De plus, sans aide, le chien renonçait, alors que le loup continuait à chercher seul en remuant les boîtes jusqu’à trouver la bonne. Les expérimentateurs ont aussi noté que les loups communiquent mieux par le regard et qu’ils sont bien plus coopératifs entre eux que les chiens qui attendent tout de l’Homme et se lassent vite. Ainsi, le loup ne se montre pas moins tolérant ou attentif socialement que le chien. Les chercheurs estiment par conséquent que l’Homme n’a pas eu besoin de sélectionner des individus possédant spécifiquement ces qualités pour en faire son meilleur ami : le chien les tenait de son ancêtre encore plus « intelligent » et coopératif que lui.

Ils ont procédé à différents tests, par exemple en cachant de la nourriture ou en faisant semblant d’en cacher, afin d’évaluer la capacité d’observation des activités humaines par le chien et le loup. Comme le premier, le second est capable de suivre le regard humain et d’en tirer des conclusions. Le loup est en outre un meilleur imitateur. Il apprend mieux de ses congénères, par exemple en les regardant ouvrir une caisse contenant de la nourriture. Les hypothèses voulant que le loup dispose de moins de compétences sociales que le chien sont donc incorrectes, indique l’université de médecine vétérinaire de Vienne dans un communiqué. Les chiens auraient perdu lors de la domestication des habiletés cognitives innées, d’après les auteurs qui concluent par une phrase que j’aurais pu écrire : « Les loups ont dans la nature un comportement bien plus proche de celui de l’Homme que ce que l’on croyait. »

Nous n’en sommes qu’au début des découvertes et en voici quatre, toutes publiées au cours du premier semestre 2020. Une toute récente étude prouverait que les chiens sont sensibles au magnétisme terrestre et disposent ainsi d’une boussole interne, ce qui expliquerait leur sens de l’orientation (et celui du loup)… Une autre, parue dans Scientific Reports, met en évidence que les chiens seraient sensibles par la truffe non seulement aux odeurs mais aussi aux rayonnements thermiques émanant d’un mammifère (une proie de loup !), tout comme certains reptiles et les chauves- souris vampires… Une étude hongroise publiée en 2016 dans Science et confirmée en 2020 par une équipe de l’université Emory d’Atlanta démontre que le cerveau des chiens prête attention à la fois à ce que nous disons et à la manière dont nous le disons : exactement comme les humains, les chiens utilisent l’hémisphère gauche du cerveau pour interpréter les mots et des régions de l’hémisphère droit pour analyser l’intonation. Il a été montré par une équipe de l’université d’Auckland que les chiens répondent par un bâillement contagieux à celui d’un humain, même étranger… Le chien et donc le loup sont bien plus proches de l’Homme qu’on le pensait. Alors pourquoi cette haine du loup ?

Extrait du livre de Pierre Jouventin, « Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble », publié aux éditions HumenSciences

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