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Edouard Philippe et son parti Horizons font leur rentrée politique dans le cadre des journées parlementaires à Fontainebleau.
Edouard Philippe et son parti Horizons font leur rentrée politique dans le cadre des journées parlementaires à Fontainebleau.
©CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP

Horizons

Edouard Philippe continue de surfer sur une popularité assez inexplicable compte tenu de son bilan chaotique à Matignon. Edouard Philippe et son parti Horizons font leur rentrée politique avec leurs journées parlementaires à Fontainebleau.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Mise à jour du 16 septembre 2022 : Toujours largement en tête dans le baromètre de popularité Elabe (50 % d’opinions positives contre 33 % au suivant Bruno Le Maire), Édouard Philippe continue de surfer sur une popularité assez inexplicable compte tenu de son bilan chaotique à Matignon. Cerise sur le gâteau, la Première ministre Elisabeth Borne sera présente ce jour lors de la clôture des journées parlementaires de son nouveau parti Horizons. Un allié à surveiller ? 2027, c’est demain, et les appétits se précisent déjà. (REPLAY) 

Présidentielle 2022, c’est parti ! Après Jean-Luc Mélenchon pour la France Insoumise, Marine Le Pen pour le Rassemblement national et Fabien Roussel pour le Parti communiste, Xavier Bertrand a officialisé sa candidature « de droite sociale et populaire » cette semaine, sans même attendre de savoir s’il sera réélu en juin dans sa région des Hauts-de-France. Mais un nouveau nom commence à affoler les compteurs médiatiques, celui de l’actuel maire du Havre qui se trouve être aussi un ancien membre très actif des Républicains ainsi que l’ex-Premier ministre d’Emmanuel Macron, autrement dit Édouard Philippe.

Car figurez-vous que depuis qu’il a cédé sa place à Jean Castex le 3 juillet 2020 dernier, ledit Philippe caracole non seulement en tête mais très loin devant toutes les personnalités politiques du moment dans la cote d’amour des Français. Dès septembre 2020, un sondage Odoxa révélait que ces derniers le jugeaient « dynamique, compétent et solide » et voyaient en lui « un possible recours ». Politiquement, ça reste vague, mais une chose est sûre, on l’adore. Trois mois plus tard (décembre 2020), nouveau coup de tonnerre : il détrône le chouchou national réputé indéboulonnable Nicolas Hulot.

Et aujourd’hui, en mars 2021, avec un score de 54 % dans le dernier baromètre Elabe pour Les Echos et Radio classique, il confirme sa position avancée dans l’estime des Français : Hulot doit se contenter de la seconde place avec 47 % et Roselyne Bachelot de la troisième avec 38 % (graphe ci-dessous). Côté coolitude sympa copain copine, on dirait bien que les crocs roses ne font plus le poids face aux boutons de manchette en forme de tongs roses qu’arborait Philippe au moment de transmettre Matignon à son successeur.

[Edit 8 octobre 2021 : Il est toujours en tête dans le même baromètre d’octobre 2021 quoique en retrait à 46 % de bonnes opinions.]

Il n’en fallait évidemment pas plus pour exciter toutes sortes d’hypothèses alléchantes autour de sa personne en vue de 2022. Possible candidat LR ? Possible candidat LREM concurrent d’Emmanuel Macron ? Recours au cas où l’actuel Président serait « empêché » d’une façon ou d’une autre de se représenter (comme ce dernier en a envisagé lui-même la possibilité) ?

En réalité, rien de tout cela n’existe vraiment en dehors des supputations intéressées des médias aimablement alimentés par les confidences anonymes et prolixes de parlementaires et de ministres qui « le connaissent bien ». Édouard Philippe, qui n’oublie apparemment pas qui l’a fait passer soudainement de l’ombre à la lumière l’a même expliqué à plusieurs reprises : il exclut l’aventure présidentielle pour son propre compte tout en s’activant en coulisses en tant qu’élu pour orienter ses collègues des territoires vers Emmanuel Macron.

Il est vrai que pendant la campagne présidentielle de 2017, qu’il mena d’abord auprès d’Alain Juppé puis ensuite auprès de François Fillon quand ce dernier sortit vainqueur de la primaire de droite, il tenait une chronique dans Libération où il ne se privait pas de décrire son futur patron avec toute la chaleur d’un vrai opposant :

« Macron (…) n’assume rien mais promet tout, avec la fougue d’un conquérant juvénile et le cynisme d’un vieux routier (si j’ose dire, s’agissant du promoteur des autocars) ».

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Quelques semaines plus tard, il acceptait avec les meilleures raisons du monde – dépassement des querelles partisanes, redressement de la France, souffle macronien, blablabla… – de devenir son Premier ministre. Rien de bien étonnant si l’on se rappelle que l’on parle ici non pas de politique mais de postes politiques à pourvoir. Tout reste donc possible d’ici l’échéance, boules puantes, retournements de veste et événements « complètement dingues » compris.

Ce qui est beaucoup plus surprenant dans cette affaire, en revanche, c’est qu’on ne se rappelait pas qu’Édouard Philippe eût brillé à Matignon au point de déclencher ensuite dans l’opinion une telle Philippe-mania. On était plutôt sous l’impression qu’il était parvenu à plonger le pays dans un état de mécontentement et de protestation permanent sans avoir engagé le moins du monde la seule réforme qui vaudrait d’être lancée, celle du recul de notre triple État providence, stratège et nounou.

Mais reprenons son histoire politique depuis le début.

Tout a véritablement commencé le lundi 15 mai 2017 avec sa nomination à Matignon dans la foulée de l’accession d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Avant cela, comme député-maire du Havre, membre des Républicains (LR) et porte-parole d’Alain Juppé pendant la campagne des primaires de droite, il était certes connu de ses amis politiques et de ses administrés, mais la France ignorait tout de lui. On nous avait promis des « nouveaux visages », c’en était au moins un parmi les inamovibles du paysage politique hexagonal comme Collomb, Bayrou, Hulot ou Le Maire.

En le choisissant, on peut dire que le nouveau Président avait mis la main sur l’oiseau rare qui cadrait pratiquement au millimètre avec son propre profil de technocrate à tendance littéraire et avec son ambition consistant à dynamiter aussi bien la droite classique que le Parti socialiste via le tout beau mais pas totalement nouveau principe de « dépassement des clivages » : en tant que maire du Havre, Édouard Philippe trouvait déjà qu’il était « assez sain pour une ville de gauche d’avoir un maire de droite, comme d’avoir des maires de gauche dans des villes de droite ». 

Mais une fois le nouveau Premier ministre « aux affaires », force fut de constater que tout ne se déroula pas de façon aussi printanière et déclivante que prévu. Tout se transforma au contraire en une parodie extrêmement réussie de psycho-rigidité technocratique, sauf que ce n’était pas une parodie mais le monde réel devenu encore plus dystopique que les fictions les plus pessimistes.

Car c’est lui, Édouard Philippe, qui a eu soudain l’idée furieusement impopulaire dans la France « périphérique » d’imposer une baisse de la limitation de vitesse sur les routes secondaires de 90 à 80 km/h – mesure coercitive d’une utilité douteuse en matière de sécurité routière et complètement décalée au regard des réformes dont le pays avait (et a toujours) dramatiquement besoin depuis quarante ans. 

C’est lui également qui s’est arc-bouté férocement sur le maintien de la hausse des taxes sur les carburants qui a achevé de précipiter la France dans la révolte des Gilets jaunes, y compris contre l’avis du Président qui avait prévu de revenir dessus dès son discours du 27 novembre 2018 sur la programmation pluriannuelle de l’énergie – hausses qui ont finalement été annulées une dizaine de jours plus tard, non sans nous offrir en prime un joli petit cafouillage supplémentaire entre Matignon et l’Élysée.

C’est encore lui qui a introduit un âge pivot de 64 ans dans la réforme des retraites puis l’a retiré pour conserver l’appui de la CFDT. Et c’est toujours lui qui, en vue des élections municipales de 2020, a demandé aux ministres de choisir entre leur ministère et leur mairie puis a fermé les yeux sur la volonté de Gérald Darmanin de conserver les deux. Édouard Philippe a toujours dit qu’il gardait le cap

Et finalement, c’est lui qui a inauguré le confinement anti-Covid super-strict avec limitation des présences aux obsèques, surveillance des promeneurs isolés par hélicoptère, sans oublier la fameuse attestation dérogatoire de sortie qui a définitivement transformé la France en Absurdistan aux yeux du monde. Dans le même temps, les masques et le gel faisaient défaut et le merveilleux système hospitalier que le monde entier nous envie montrait à quel point il était loin d’être aussi « prêt » que le nouveau ministre de la santé voulait bien le dire.

Bref, pas de quoi déchaîner l’enthousiasme des foules, ainsi qu’on le voit très bien sur le graphique ci-dessous, extrait du baromètre Ipsos Le Point, qui représente l’évolution de la cote de popularité arrêtée à mars 2021 pour Emmanuel Macron (en jaune), Édouard Philippe (en vert) et Jean Castex (en bleu) :

Quand il est arrivé à Matignon en mai 2017, Édouard Philippe n’était pas connu du grand public, ce qui explique son modeste score de départ de 31 %. Aidé par les articles de presse, l’état de grâce et la grâce de l’été, il grimpe à 41 % en juillet 2017 tandis qu’Emmanuel Macron chute brutalement de 48 % à 42 % sur la même période.

À partir de là, le couple exécutif suit la même dégringolade en dents de scie jusqu’en décembre 2018 au cœur de la crise des Gilets jaunes (20 % et 22 % respectivement), puis remonte en septembre 2019 (34 % et 36 %) pour replonger à l’unisson aux alentours de 30 % avec les manifestations contre la réforme des retraites de la fin de l’année 2019. Miracle de la pandémie, miracle du « nous sommes en guerre », miracle du besoin de protection et de rassurance, les mois de mars et avril 2020 sont marqués par une embellie qui touche aussi bien le Président (44 %) que son Premier ministre (42 %).

Au moment du premier déconfinement, Édouard Philippe prend son envol (46 % en mai 2020) puis il quitte le gouvernement le 3 juillet 2020 et grimpe alors à 56 % et se maintient depuis lors sur ces hauteurs… sans avoir la moindre action politique nationale. Pour leur part, les hommes de gouvernement en exercice que sont Emmanuel Macron et son nouveau Premier ministre Jean Castex évoluent 15 à 20 points en dessous de lui. 

Effet positif de la comparaison avec le terne Castex (dont nous devons d’ailleurs la présence à Édouard Philippe qui en avait fait son M. Déconfinement) ? Appréciation basée exclusivement sur l’impression de sympathie qui émane de lui (comme d’un Chirac en son temps) maintenant qu’il n’est plus « aux affaires » ? Effet positif de l’absence qui fait qu’on oublie quel Premier ministre il fut pour ne voir que hauteur de vue et sage distanciation dans son silence actuel ? Un peu de tout cela sans doute. 

Mais lorsqu’il s’agira pour lui de revenir, peut-être, dans l’arène politique et lorsque, forcément, il devra alors reprendre la parole, les Français resteront-ils longtemps amnésiques quant à son passage à Matignon ? Il serait léger de la part de ses soutiens de se baser uniquement sur une cote de popularité avantageuse dont on sait qu’elle ne doit rien à son action (mal) passée, mais tout à son inaction présente.

Cet article a été publié initialement sur le blog de Nathalie MP : cliquez ICI

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