La zone euro retrouve des excédents commerciaux après 17 mois de déficit, la France continue d’être à la peine… pourquoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue aérienne du port du Havre.
Une vue aérienne du port du Havre.
©Sameer Al-DOUMY / AFP

Mauvais élève

Au premier trimestre 2023, le déficit commercial de l'Hexagone a reculé de 12 milliards d'euros par rapport aux trois derniers mois de 2022. Il se maintient toutefois à un niveau très élevé de près de 30 milliards d'euros sur la période, selon les données publiées par les Douanes. Un chiffre nettement « plus dégradé que celui enregistré sur la période 2000-2020 ».

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Alors que la zone euro retrouve des excédents commerciaux après 17 mois de déficit, le solde commercial français au 1er trimestre 2023 est de moins 29,8 milliards, bien plus dégradé que sur la période 2000-2020. Faisons-nous face à une exception française en Europe ?

Michel Ruimy : Concernant les résultats de la France, il convient de s’y intéresser sur une plus longue période que le trimestre. La progression des prix de l’énergie liée à la reprise mondiale après les confinements et la guerre en Ukraine associée à un déficit inhabituel des échanges d’électricité (non-disponibilité d’un grand nombre de centrales nucléaires) ont fortement dégradé le commerce extérieur français en 2022. De plus, la dépréciation du taux de change de l’eurodollar a renchéri les produits importés, notamment les matières premières (Même si l’Europe est un marché important, elle reste incapable de fixer la majorité des prix de ses achats à l’étranger dans sa propre monnaie et les états-membres doivent subir les effets des fluctuations de l’euro).

Si la situation commerciale française s’est dégradée du fait des évolutions des prix de l’énergie, la France ne s’en est, malgré tout, pas trop mal sortie par rapport à ses voisins européens : mesurée en points de PIB, la dégradation du solde commercial de biens a été de 2,5 points en France contre 2,9 en Espagne, 3,3 en Allemagne et 4,3 en Italie, une ampleur inédite depuis au moins vingt ans pour ces pays. Pour autant, la situation du commerce de biens n’a cessé de se dégrader au cours des vingt dernières années en dehors des échanges énergétiques.

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La France doit comprendre qu’elle entre dans un nouveau monde, où chaque nation doit retisser le lien avec ses entreprises, prendre ses marques industrielles… Il est nécessaire qu’elle comprenne cela pour agir de manière adaptée. La France a besoin du projet politique qui lui rende sa richesse économique. Mais, par-delà la France, l’histoire économique récente montre que l’Occident tout entier a été mis en cause par des déficits records. Il n’est plus aussi prospère que par le passé et voit apparaître, face à lui, une réorganisation du monde où des nations sont souvent identifiées comme des puissances militaires mais aussi économiques. Le commerce international de demain sera un équilibre entre ces états, et non la poursuite de l’ordre mondial dicté par les standards du néolibéralisme provenant des États-Unis depuis plus de 40 ans.

Comment expliquer le déficit commercial persistant français malgré la reprise des excédents au sein de la zone euro ?

La dégradation continue du solde commercial depuis une vingtaine d’années pointe vers de multiples causes, difficiles à corriger à court terme. Parmi celles-ci, il y a , tout d’abord, le coût du travail. Selon Rexecode, 1 heure de travail dans l’industrie manufacturière, coûtait, au 3ème trimestre 2022, le même prix en France qu’en Allemagne (43,50 EUR) euros) mais se situait 20% au-dessus de la moyenne de la zone euro (36,10 EUR). Sachant que ce coût salarial représente environ 20% de la valeur de production dans l’industrie manufacturière, le différentiel de coût joue en défaveur de la France, à hauteur de 4% (20% de 20%).

Ensuite, au plan technologique, les entreprises françaises innovent peu en raison vraisemblablement du faible poids de l’industrie dans l’économie. Dans un contexte où les liens entre universités et entreprises sont peu robustes, leurs dépenses de R&D (1,4% du PIB) étaient, en 2021, inférieures à la moyenne de la zone euro (1,5%) mais surtout à celles de leurs concurrentes allemandes (2,1%), américaines et japonaises (2,6%) ou coréennes (3,8%). En conséquence, la France exporte des produits bruts et importe des produits finis à plus forte valeur ajoutée. Et le discours ambiant encourageant les entreprises à baisser les prix n’incite pas celles-ci à innover et à se positionner sur les marchés haut de gamme.

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Par ailleurs, le coût de production dans l’industrie manufacturière tient, pour une part, au volume des consommations intermédiaires utilisées. Or, la disparition progressive du paysage économique, depuis les années 1990, de segments entiers de certaines filières françaises (bois, chimie, agro-mécanique…), qui approvisionnaient les entreprises nationales, a obligé aujourd’hui celles-ci à importer leurs produits. Le retour à la situation antérieure prendra du temps.

Enfin, la concentration des exportations françaises. En 2020, celles-ci ont été effectuées, à près de 70% par des multinationales. Ainsi, toute perte de parts de marché contribue à la dégradation du solde commercial français.

En définitive, la dégradation du solde extérieur français tient à des raisons structurelles, qui ne peuvent se résoudre avec une course vers le bas des cotisations et des impôts de production.

Quels sont les facteurs principaux qui contribuent à la dégradation du solde commercial français par rapport à la moyenne observée entre 2000 et 2020 ?

Le solde commercial du 1er trimestre 2023 s’est amélioré grâce notamment à la progression du solde des produits énergétiques et, dans une moindre mesure, à celle des produits manufacturés. Il reste, malgré tout, déficitaire d’une trentaine de milliards d’euros et bien plus dégradé que sur la période 2000-2020.

Cette amélioration s’explique principalement par l’allègement de la facture énergétique : net recul des importations d’énergie dans le sillage de la forte baisse des prix énergétiques constatée sur la période. Ceci apporte une bouffée d’oxygène bienvenue au commerce extérieur français. Toutefois, comparés à ceux observés entre 2000 et 2021, les approvisionnements énergétiques restent à un haut niveau.

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Hors déficit de l’énergie, le déficit commercial serait resté constant sur les dernières décennies (Le prix de l’énergie a été multiplié par 4-5 depuis 2020). C’est pourquoi, la loi de finances pour 2023 table sur un déficit commercial de l’ordre de 150 milliards d’euros sur les biens, soit un niveau quasi-équivalent à celui de l’an passé.

Le gouvernement se félicite néanmoins d’une « amélioration record, la plus importante depuis au moins l’an 2000 ». Cette amélioration est-elle un trompe-l’œil ?

C’est une amélioration en trompe l’œil car en dépit de cette moindre dégradation, le solde de la balance commerciale française n’en continue pas d’être mauvais années après années. Ce bilan négatif semble traduire une sorte d’accoutumance de l’économie au déficit des échanges extérieurs. Or, le commerce extérieur est le miroir de la compétitivité d’une nation dans un environnement concurrentiel ouvert.

N’oublions pas que si le recul des importations a certes un effet positif sur la balance commerciale, il démontre également la faiblesse de la demande intérieure. Sur longue période, si quelques secteurs affichent encore des résultats relativement satisfaisants (automobile, aéronautique et spatial, parfums et cosmétiques, produits agricoles), la répartition géographique des échanges traduit aussi le fait que la France ne bénéficie pas de la reprise observée dans certains pays.

Faut-il craindre que la France reste durablement à la traîne de la zone euro ?

Au-delà des causes immédiates (onéreuses importations de nombreuses matières premières) et de facteurs exogènes comme la dépréciation de l’euro, les chiffres catastrophiques de la balance commerciale sont surtout dus à une cause structurelle de long terme : le décrochage économique et la perte de filières industrielles complètes, qui nous rend dépendant de l’extérieur.

Cette longue dépossession de notre destin économique nécessite de se saisir du sujet autrement que par de simples mesures d’aide. Au cours des trois dernières décennies, la France n’a pas su trouver ses marques industrielles. Elle n’a su être ni dans le secteur des technologies nouvelles, capté par les États-Unis et l’Asie, ni dans un secteur industriel renouvelé (Cf. Allemagne), ni totalement dans le secteur agricole, notre agriculture étant incapable de rivaliser avec les grandes terres agricoles (Cf. Brésil). Il est donc nécessaire de redéfinir un projet complet de vigueur industrielle du pays et de ne pas se limiter à un interventionnisme de secours.

A cette fin, des pistes de redressement seraient un passage vers des mutations stratégiques majeures comme une montée en gamme des productions françaises ou encore une meilleure gestion des compétences humaines pour, non seulement les attirer, mais aussi les retenir.

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