La ville des 15 minutes où la dernière utopie en date<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
La mairie de Paris souhaite appliquer le concept de la ville des 15 minutes.
La mairie de Paris souhaite appliquer le concept de la ville des 15 minutes.
©THOMAS SAMSON / AFP

Mairie de Paris

Anne Hidalgo souhaite que Paris devienne la ville des proximités. L'objectif est que chaque Parisien puisse avoir accès à tout à moins de 15 minutes de chez lui.

Alain Bertaud

Alain Bertaud

Alain Bertaud est urbaniste et, depuis 2012, chercheur senior au NYU Marron Institute of Urban Management.

Voir la bio »

Atlantico : La municipalité de Paris a fait la promotion de la ville de 15 minutes. Carlos Moreno, professeur des Universités, expert villes, territoires de demain, est l’inspirateur et le principal promoteur de la ville de 15 minutes, qui est devenue la politique officielle de la maire de Paris, Anne Hidalgo, depuis sa campagne de réélection en mars 2020. Quelle est la réalité de ce concept

Alain Bertaud : La ville de quinze minutes, telle qu'elle est définie par Carlos Moreno, serait en fait une ville de quinze minutes à pied. C'est à dire que l'on fragmente la ville en petits villages, ce qui est très différent de prendre un RER pendant quinze minutes. 

Tout ce qui est magasins d'alimentation, restaurants, etc, c’est le marché qui décide de leur localisation. L’urbaniste ne décide pas où vont se situer les commerces. Les soviétiques faisaient cela, les Chinois du temps de Mao faisaient ça, mais cela se traduisait souvent par des épiceries sans personne dedans et sans produits. 

Ce qui fait la distance à une épicerie est régi par deux paramètres. Le revenu des ménages, au plus les gens ont l'argent, au plus il y aura une variété de commerces. Et ensuite la densité. Il se trouve qu’à Paris il y a une densité de 240 personnes par hectare si l’on enlève les grands parcs. Et donc avec 250 personnes à l'hectare en marchant quinze minutes, vous atteignez quelque chose comme 90 ou 100 épiceries, restaurants. Donc la ville des quinze minutes est là pour ça, mais pas parce qu'il y a eu un urbaniste exceptionnel qui a fait ça.

Si vous avez des villes à des densités beaucoup plus basses comme les villes américaines ou la banlieue, la distance sera plus grande. Et dans ce cas une épicerie n'est pas viable car elle a besoin d’un certain nombre de personnes, de clients autour. 

Pour les écoles, c'est la même chose. Le ministère de l'Éducation nationale a des normes et ne veut pas d'écoles qui soient de moins de 150 élèves parce qu’en dessous, ce n'est pas viable d’avoir un professeur de musique, de gym, etc. J'ai suivi cela à Paris en particulier et le ministère fait ça très bien, il ferme et ouvre des écoles, des écoles en fonction de la fertilité des femmes. C'est le nombre d'enfants par hectare qui définit la fertilité. Donc ça n'a rien à voir avec le planificateur Moreno. 

L'enjeu majeur concerne évidemment les emplois. Si quelqu’un vient vivre à Paris, il ne va pas chercher un emploi proche de lui mais le meilleur possible -qui ne va pas forcément se trouver à 15 minutes à pied. Il y a 1,5 emploi par actif à Paris qui seront occupés par des personnes vivant en banlieue.

À l’inverse, on trouve 35% des Parisiens qui travaillent au-delà du périphérique, certains même en dehors de l’Ile-de-France. 

Moreno dit qu’il veut redessiner la ville mais ce n’est pas la question. Si les gens se dirigent vers les grandes villes, c’est parce qu’elles offrent beaucoup plus de types d’emplois différents et cela permet de changer de poste dans une carrière. La ville des 15 minutes parait évidemment comme quelque chose d’idéal mais c’est mythique. 

La seule chose qui me fait peur dans le contexte français est que cela soit pris au sérieux et que la mairie de Paris donne un bonus aux employeurs qui emploient des travailleurs proches alors que ça serait un gaspillage d’énergie terrible.

Mais cette idée mythique s’est répandue dans le monde car elle est très attractive. 

Certains complotistes voient cela comme un moyen de contrôler les déplacements des habitants, je ne vois pas du tout cette proposition comme cela. Les problèmes d’urbanisme sont simplement de la naïveté et de l’ignorance. 

En revanche, on pourrait imaginer un idéal avec un Maglev comme celui de Shanghai qui fait 400 km/h et qui part du centre de Paris jusqu’à la grande banlieue en 15 minutes. Cela améliorerait énormément le marché de l’emploi mais c’est inconcevable aujourd’hui du fait du prix. 

Comment face à cette utopie pouvons-nous proposer des alternatives pertinentes et réalistes pour améliorer la ville ?

Il faut tenir compte de la façon dont les gens se répartissent dans la ville et développer des moyens de transport rapides et compétitifs avec la voiture en tenant compte de la structure des densités. L’un des problèmes des ingénieurs transport, c’est de décider à l’avance quel moyen optimum de transport (RER, métro, vélo) et à partir de cela ils veulent remodeler la ville pour optimiser le rendement de ces moyens de déplacement. Ce n’est pas un pari gagnant selon moi. 

Évidemment que les gens tiennent compte du transport lorsqu’ils s’établissent mais il y a de nombreuses autres contraintes tel que le prix du foncier. 

J’ai toute ma vie été dans des villes qui essayaient de stopper la croissance urbaine. Il y avait des politiques qui étaient mises en place à Paris qui avaient pour but de développer les villes secondaires. Résultat : Paris a continué de croître. Dans l’ensemble, les gens les plus éduqués ont plus d’opportunités dans les grandes villes qu’ailleurs. 

Certaines villes comme Charleston aux États-Unis croissent très rapidement car l’habitat est moins cher, les règlements sont moindres, il n’y a pas d’impôts d’État et tous autres types d’avantages ce qui créé des marchés de l’emploi très intéressants. Une grosse partie de la high-tech s’est déplacée au Texas pour ces raisons. 

Le logement est aussi très lié au transport et a tout autant d’importance. C’est le point de départ de chaque jour et il faut donc les développer conjointement.

Sur l’aspect logement, il y a aussi des normes d’urbanismes qui font que l’offre ne correspond pas à la demande. 

Il y a aussi un problème d’actualisation des règles d’urbanisme. La taille moyenne des ménages à New-York est d’1,2 personnes. Or les règlements d’urbanisme sont établis sur 5 personnes par famille, comme c’était le cas à l’époque. Donc lorsque des ménages d’1,2 par personnes sont en place dans ces logements, cela donne une densité bien plus basse que prévue. Et lorsqu’un promoteur veut répondre à la demande, il en est empêché.

Périodiquement, il faut faire des audits des règlements d’urbanisme pour voir à quel point ça le contraint, ou alors que ça augmente le prix des logements.

Qu’est-ce que cela dit de l’environnement actuel de l’urbanisme ?

C’est un peu triste car les gens pensent vraiment que ces problèmes peuvent être résolus par quelqu’un de génial qui va résoudre les problèmes de l’extérieur. Mais ce n’est pas universel. On voit au Brésil des mouvements plus libertariens. Croire au projet de Moreno c’est penser que quelqu’un d’extérieur peut résoudre les problèmes et qu’il suffit de réglementer. C’est un mythe qui coûte très cher.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !