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La semaine où Emmanuel Macron a vu son projet européen se perdre dans les méandres des institutions de l’Union
©Brendan Smialowski / AFP

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Tandis qu'Emmanuel Macron avait émis le souhait, au mois d'août 2017, de voir naître un budget européen, les moyens mis en oeuvre par l'Union européenne semblent dérisoires. Faut-il y voir un coup d'arrêt au projet de refonte de l'Europe ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Au mois d’août 2017, Emmanuel Macron faisait part de son souhait de voir que le budget européen qu'il appelait de ses vœux "représente plusieurs points de PIB de la zone euro". Ce mercredi 2 mai, Jean-Claude Juncker a répondu à cette demande en ouvrant une ligne de crédit à cet effet, mais de l'ordre de 30 milliards d'euros, soit 0.3% de PIB de la zone euro. Dans le même temps, les annonces faites par le nouveau ministre des Finances allemand, Olaf Scholz a pu être analysé comme étant particulièrement restrictif, notamment sur les questions d'investissement public. Faut-il voir cette semaine comme un coup d'arrêt du discours de la Sorbonne d'Emmanuel Macron, qui souhaitait "refonder" l'Europe ?

Christophe Bouillaud : Il faut bien comprendre que les propositions de Jean-Claude Juncker en tant que Président de la Commission européenne s’inscrivent dans le début des discussions sur le cadre budgétaire pluriannuel de l’Union européenne, donc dans le contexte légal et budgétaire existant. Dans ce contexte-là, il propose des modifications effectivement limitées, celles qu’autoriseraient selon lui les règles et pratiques en vigueur.  Cette ouverture en direction d’une différenciation entre ce qui concerne l’UE en général et la zone Euro peut donc être vue comme une approbation des idées d’Emmanuel Macron sur ce point.

Par contre, les positions affichées par le nouveau Ministre des finances allemand sont tout à fait inquiétantes pour le projet d’Emmanuel Macron de faire grandir le budget européen. Bien qu’il soit social-démocrate – ou peut-être parce qu’il l’est ? -, il ne cesse en effet de faire son Schaüble en répétant la doxa du déficit zéro, du « 0,0 (Nullkommanull) » pour l’Allemagne. Dans ce cadre (auto-)contraint, il semble aller de soi que l’Allemagne, le plus gros contributeur au budget européen, refusera de toutes ses forces une augmentation de ce dernier dans les proportions voulues par Emmanuel Macron en août 2017. Les plusieurs « points de PIB de la zone Euro » vont du coup rester lettre morte. Logiquement d’ailleurs, car la plupart des autres pays européens ne veulent pas entendre parler d’un budget européen élargi. Ce n’est pas un hasard si depuis l’ère Delors (1985-1995) le budget européen stagne à un montant d’un peu plus de 1% du PIB de l’Union européenne.

Comment expliquer cette intervention de la Commission européenne et de Jean Claude Juncker sur cette discussion budgétaire qui, pour le moment, était restée cantonnée à un débat essentiellement encadré entre Paris et Berlin ? Faut-il y voir une lutte de pouvoir interne ?

Il y a semble-t-il la volonté de Berlin de donner plus de poids au Mécanisme européen de stabilité (MES). Ce dernier n’a pas vraiment un budget pour des dépenses récurrentes, mais des possibilités de prêter des fonds aux pays européens en difficulté, avec des conditionnalités strictes agréés par tous les pays prêteurs. Visiblement, à Berlin, chez les conservateurs, on trouve les services de la Commission européenne encore  trop laxistes en matière de réformes structurelles et d’austérité à imposer aux pays récalcitrants au cas où. Il est vrai que cette gauchiste de Commission européenne est responsable devant un Parlement européen pas complètement sourd et aveugle aux pressions populaires et qu’en plus, elle dispose en son sein de services à orientation sociale. Ce sont en effet les propres études de la Commission européenne qui montrent que la manière de gérer la crise économique après 2008 a été défavorable aux classes les moins favorisées, et aussi aux femmes, du continent européen. On voit mal la Commission européenne répéter dans l’avenir ce qui a été faire en 2008-2012. Quoi qu’il en soit de cet arrière-plan, en intervenant, la Commission européenne est dans son rôle de gardienne des traités existants. C’est elle qui doit en effet proposer le budget européen. Il n’y a rien là que de très normal.

Comment anticiper la suite des événements sur la question de l'ambition européenne d'Emmanuel Macron ? Quelles sont les chances de voir ce projet aboutir, et celui-ci est-il seulement suffisant pour faire face aux enjeux de l'Union ?

Le grand projet européen d’Emmanuel Macron tel qu’énoncé lors de sa campagne et de ses discours de 2017 n’aboutira qu’à des ajustements limités. En effet, l’Allemagne et ses alliés ne céderont rien, parce qu’en réalité les électorats de ces pays « créditeurs » ne veulent rien savoir de l’idée même de solidarité européenne telle que conçue à Paris et telle qu’elle est soutenue par les économistes qui voient la fragilité structurelle de la zone Euro. De leur point de vue, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, la crise économique est finie, le remède ordo-libéral appliqué - chez eux en premier lieu - était le bon, circulez, il n’y a rien à voir.

Il faut ajouter en plus le conflit latent avec les ex-pays de l’Est, qui se font déjà un malin plaisir d’annoncer leur volonté de poser leurs exigences au moment de la discussion budgétaire. En plus, l’Italie, qui aurait pu être un allié des projets d’Emmanuel Macron, se trouve toujours dans le vide gouvernemental laissé par les élections du 4 mars, et, aux dernières nouvelles, cela semble vouloir durer, avec peut-être des élections très anticipées à l’automne. Bref, dans l’Union actuelle, il n’y a pas une coalition dominante pour imposer une augmentation significative du budget européen, ou même des nouvelles solidarités financières entre Européens. Il n’y a que de voir les difficultés à boucler le dossier de l’Union bancaire, qui, pourtant, aurait dû l’être depuis 2012-13.

Cependant, il est tout aussi probable que les partenaires européens, en particulier l’Allemagne,permettent à notre Président de la République  de sauver la face en acceptant un enrobage très jupitérien de ces ajustements limités. Comme la plupart des grands médias français, audiovisuels en particulier, sont très mauvais dans la présentation des affaires européennes, en particulier dans la maîtrise des ordres de grandeur (confusion entre des millions et des milliards par exemple),Emmanuel Macron pourra se prévaloir auprès des électeurs français dès le sommet européen du mois de juin d’une extraordinaire avancée. Il pourra lancer ainsi sa campagne pour les européennes de 2019 sous des auspices favorables.

Pour ce qui est du fond de l’affaire, sauf à être un économiste ordo-libéral un peu entêté tout de même, il va de soi que la pérennité de l’Euro, et probablement de l’Union européenne, repose sur la création d’un budget fédéral européen conséquent, géré politiquement en plus. Toutes les fédérations connues sont dans ce cas. A force de trop compter pouvoir continuer à marcher sur l’eau, l’Union risque tout de même de se noyer à la fin. Mais bon, les Cassandre auront été tellement nombreuses… Que dire de plus ?.

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