La Russie est-elle déjà en guerre non déclarée contre la France et l’Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine et Emmanuel Macron.
Vladimir Poutine et Emmanuel Macron.
©Odd ANDERSEN and STEPHANE MAHE / various sources / AFP

Guerre hybride

Dans un contexte démocratique, il est difficile de contrer les dynamiques de guerre hybride.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Quels sont les principaux signaux qui montrent que la Russie a entamé une forme de guerre non déclarée, une guerre hybride, avec la France et l’Europe ? Quels sont les différents fronts et domaines dans lesquels la Russie mène cette guerre hybride vis-à-vis de l’Hexagone et des puissances européennes ?

Florent Parmentier : De prime abord, on peut définir la guerre hybride comme l’utilisation coordonnée et simultanée de différentes méthodes, tactiques et instruments dans le but de paralyser l'adversaire et d'atteindre des objectifs politiques, sans pour autant nécessairement déclencher une confrontation militaire directe. Ce concept stratégique repose donc sur une combinaison d'actions militaires, politiques, économiques, informationnelles et autres, menées de manière intégrée et souvent dissimulée. De ce point de vue, ce n’est pas une nouveauté absolue : si l’on se souvient de l’histoire mythique de la guerre de Troie, telle que décrite dans l'Iliade d'Homère, les Grecs ont utilisé une combinaison de tactiques militaires conventionnelles, telles que le siège et les batailles terrestres, ainsi que des stratégies plus subtiles et non conventionnelles pour atteindre leur objectif final de prendre la ville de Troie.

Ainsi, la Russie est souvent associé à la guerre hybride en raison de ses tactiques d'influence et de déstabilisation utilisées dans des contextes tels que les conflits en Ukraine (2014, 2022) et en Géorgie (2008), ainsi que dans d'autres régions où ses intérêts sont en jeu, notamment en Afrique ou à Mayotte. Concrètement, ces tactiques à l’encontre de la France et de ses partenaires européens peuvent inclure le soutien à des groupes paramilitaires, l'utilisation de la propagande médiatique, l'utilisation de la désinformation, les opérations clandestines, les cyberattaques, etc.

Des agents russes auraient « infiltré des systèmes d’informations critiques en France, en attendant de frapper le jour J », selon le rapport annuel de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Cette guerre hybride est-elle aussi facilitée par les progrès technologiques et par les nouveaux moyens de communication ?

 En effet, vous avez raison de souligner que le progrès technologique a considérablement influencé l'évolution de la guerre hybride et a fourni de nouveaux moyens aux acteurs étatiques et non étatiques pour mener des opérations hybrides. C’est particulièrement vrai dans le domaine de la technologie de l'information, qui ont ouvert de nouvelles possibilités pour mener des cyberattaques. Les intrusions dans les réseaux informatiques, la diffusion de logiciels malveillants et la manipulation de systèmes informatiques pour perturber les communications, de même que le vol des données sensibles sont autant de moyens de mener la guerre hybride. Et ces méthodes sont constamment actualisées au gré des technologies elles-mêmes et de leurs usages.

La France et l’Europe sont-elles suffisamment armées et préparées face à cette guerre hybride menée par la Russie ?

Dans un contexte démocratique, il est difficile de contrer les dynamiques de guerre hybride. De fait, la liberté d'expression est un droit fondamental, mais qui peut être exploité par des acteurs hostiles pour diffuser de la désinformation et de la propagande, semant la confusion parmi la population, et rendant difficile, dans les faits, la distinction entre la vérité et la manipulation. Dans cette perspective, les avancées dans les domaines de la production de contenus multimédias et de la réalité virtuelle ont clairement ouvert de nouvelles possibilités pour la manipulation de l'information, ce qui peut être utilisé pour influencer les perceptions et l’opinion publique, accentuant la polarisation en son sein. L’exemple récent des étoiles de David taguées sur les murs de Paris et de la banlieue, en novembre dernier, en fournit un bon exemple.

De plus, la lutte contre la guerre hybride nécessite une coordination efficace entre les agences gouvernementales, y compris les forces armées, les services de renseignement, les organismes de sécurité intérieure, les institutions politiques ou encore les acteurs de la société civile. Or, il est évident que la coordination peut être difficile à atteindre en raison de la multiplicité des acteurs impliqués et des compétences spécifiques nécessaires.

La Russie cherche-t-elle à s’attaquer ainsi au modèle des démocraties occidentales via cette guerre hybride ?

Il y a ici un débat en cours sur l’évaluation réelle de la menace, débat évidemment réhaussé du fait de la guerre en Ukraine. Certains analystes estiment que la Russie utilise des tactiques hybrides pour déstabiliser et affaiblir les démocraties occidentales afin de renforcer sa propre position géopolitique. Pour cela, la politique viserait essentiellement à saper la confiance dans les institutions démocratiques, en exacerbant les divisions sociales et politiques, en influençant les processus électoraux et en fragilisant l'unité de l'Union européenne et de l'OTAN. Cependant, d'autres analystes soutiennent que l'ampleur de l'influence russe est souvent exagérée, et que d'autres facteurs internes contribuent également aux défis rencontrés par les démocraties occidentales. En clair, la Russie ne ferait qu’exploiter des tendances qui préexisteraient à son action. Naturellement, les premiers sont plus écoutés depuis le début de la guerre en Ukraine.

Les Occidentaux ne mènent-ils pas aussi une forme de guerre hybride en essayant de favoriser les forces favorables à la démocratie dans les pays autoritaires mais de manière moins “vicieuse” ou moins masquée ?

La perspective des autorités russes est tirée de l’histoire récente. L’élection présidentielle russe de 1996 a été largement influencée par des ingérences des Etats-Unis, des Européens et des organisations internationales, qui ne souhaitaient pas voir l’arrivée au pouvoir du candidat communiste. En comparaison, l’ingérence russe dans l’élection américaine de 2016 est presque timorée.

Depuis une vingtaine d’années, les Russes ont également considéré les « révolutions colorées » comme des formes de manipulation électorale systématiquement contre les intérêts de leur pays. La Révolution des Roses en Géorgie (2003) ou la Révolution orange en Ukraine (2004) ont suscité de fortes réactions au sein des élites stratégiques russes. Le narratif « géopolitique » l’avait emporté sur le narratif « démocratique » en Russie : on suspecte les ONG et les médias occidentaux de favoriser.

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