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La rentrée des classes sera masquée : le port du masque à l’école en question
©000_1WS7RQ César Manso AFP

RENTRÉE 2020

Ce mercredi, le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer a détaillé les modalités de la rentrée scolaire 2020, dont le port du masque obligatoire dès la sixième pour les élèves.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : Le déploiement du port du masque à l’école en cette rentrée a-t-il un sens sur le plan sanitaire ?

Stéphane Gayet : Le chef de l’État et le gouvernement de la France persistent dans leur façon martiale de gérer l’épidémie. Ils assimilent le SARS-CoV-2 à un envahisseur, ce qu’il n’est pas du tout (ce n’est qu’un brin d’ARN encapsidé) ; ils ont constitué un conseil de défense… Dans cette façon de traiter la crise sanitaire, le pouvoir exécutif s’autonomise de plus en plus relativement aux experts dont on cherche la place et le rôle. C’est un peu comme si le chef de l’État et le Premier ministre se tenaient dans un poste de haut commandement, avec pour tableau de bord, les résultats des tests viraux par PCRet les autres indicateurs de premier plan, et pour moyens d’action, une immense carte électronique de la France avec la possibilité de régler le « curseur masques » pour chaque département et ville, en plus de règlements concernant les structures sociales et professionnelles.

Le « curseur masques » est devenu le levier principal d’action du gouvernement. Cette façon de voir les choses et d’agir est à mon avis complètement déconnectée de la réalité épidémiologique. Ils s’imaginent qu’ils vont réguler les flux de virus en jouant sur les niveaux de coercition du port du masque. C’est trop simple, cela n’est pas réaliste. On ne contraint pas les flux de virus comme on contraint la circulation dans une ville, en jouant sur les feux tricolores, les ronds-points, les sens uniques, les limitations de vitesse, les passages piétons ou encore les contrôles de police.

Il me semble que l’obligation du port du masque est un peu décidée et utilisée comme les limitations de vitesse : si l’on imposait une vitesse maximale de 30 km à l’heure dans l’entièreté de la totalité des villes de France, il n’y aurait presque plus de morts en ville par accident de la circulation, mais la France serait paralysée et au bord d’une grave récession.

On a vraiment l’impression qu’il n’y a plus de raisonnement épidémiologique dans les décisions qui sont prises, et surtout qu’il y a insuffisamment de confrontation de l’épidémiologie avec l’économie et l’enseignement.

Pour y voir un peu plus clair dans ce brouillard de CoVid-19, on peut schématiquement distinguer les groupes d’âge ainsi :

1. Les enfants jusqu’à 10 ans seraient très souvent réfractaires au SARS-CoV-2.

2. Les enfants après 10 ans et les adolescents feraient très souvent une forme asymptomatique de la CoVid-19.

3. Les adultes jeunes jusqu’à 35 ans feraient très souvent une forme paucisymptomatique de la CoVid-19.

4. Les adultes d’âge mûr et les jeunes séniors feraient une forme très dépendante de leur terrain et de leurs pathologies.

5. Les personnes âgées feraient très souvent une forme symptomatique sérieuse, fonction de leur âge et leur état général.

Ces cinq catégories sont schématiques, mais permettent de sérier les risques en fonction des catégories de population.

Les collégiens et les lycéens sont ceux qui sont concernés par l’obligation du port du masque à l’école. Ils appartiennent à la catégorie 2. Il est clair que l’obligation qui leur est imposée est destinée, non pas à les protéger, mais à protéger leurs proches et à limiter la circulation du virus. De toute façon, le virus circule actuellement. J’en profite pour parler des tests viraux par PCR que l’on pratique largua manu depuis quelques semaines : quand on parle de « nouveaux cas », on parle en réalité de personnes dont le test viral par PCR est déclaré positif ; mais si ces personnes sont asymptomatiques et si l’on ne dispose pas d’un test antérieurement négatifon ne peut pas affirmer qu’il s’agit de « nouveaux cas » : ce sont des cas nouvellement connus, et puis ce sont des personnes infectées, mais non malades au sens symptomatique du terme.

Pour revenir aux collégiens et lycéens, on peut avoir de sérieux doutes sur leur rigueur dans le port du masque chez les préadolescents et les adolescents. Je dis cela en me remémorant mes années de collège et de lycée : j’ai des souvenirs précis des comportements des uns et des autres et j’ai du mal à concevoir un port généralisé du masque dans la sérénité et la discipline ; cela me paraît assez utopique.

Pour répondre à la question posée : la justification sanitaire du port obligatoire du masque dans les collèges et les lycées ne va pas de soi. Il est très probable qu’une grande partie de la population française ait déjà rencontré le coronavirus et commencé à développer une immunité. Honnêtement, je pense que l’on peut argumenter pour justifier sanitairement cette obligation comme on peut le faire pour conclure au contraire à son caractère injustifié. C’est en effet très discutable.

Les inconvénients du port du masque à l’école dépassent-ils le bénéfice d’une telle mesure ? Est-ce trop ou s’agit-il d’une bonne mesure pour lutter efficacement contre la CoVid-19 dans les établissements scolaires ?

Le port obligatoire du masque dans les collèges et les lycées présente bien des inconvénients.

Il est évident que le masque constitue une forte entrave à la communication physique : on ne voit pas bien l’expression des yeux et l’on ne voit rien de la bouche ni des joues ; la mimique faciale est pourtant une dimension essentielle de communication physique ; de plus, on ne peut plus lire sur les lèvres. La communication physique devient terne, fade, sans nuances ; elle perd de sa personnalisation, pourtant si riche habituellement.

Les élèves qui ont tendance à ne pas articuler, à parler sans desserrer les dents, seront pénalisés : on les comprendra mal, il faudra les faire répéter. Ceux qui ont l’habitude de bavarder avec leurs voisins le feront plus facilement, à l’insu du professeur qui ne verra pas leur bouche bouger.

J’imagine également certains éléments perturbateurs aimant se distinguer, se faire remarquer, s’amuser : ils pourront parler fort sans lever la main et sans que l’on sache identifier l’origine de l’intervention orale.

Par ailleurs, le professeur n’aura pas à mettre de masque (heureusement) ; cela va sans doute contribuer à augmenter le fossé qui existe entre lui et la classe : le seul à être à visage découvert, face à une classe d’élèves masqués. J’essaie de m’imaginer dans ces conditions en situation de professeur d’école, cela ne doit pas très confortable, pour le moins.

Je crois que l’on pourra retenir l’expression de « rentrée masquée » pour parler de la rentrée des classes de septembre 2020.

Pour répondre à la question posée : j’estime que le rapport « bénéfices sanitaires du masque à l’école sur inconvénients relationnels et scolaires de ce masque » n’est pas franchement positif. Je crois qu’il faut dire les choses avec franchise : les outils épidémiologiques qui sont mis en œuvre aujourd’hui ne nous permettent pas de bien surveiller la circulation du virus et ne nous permettent de surveiller la morbidité (personnes malades) que de façon incomplète. Dans ces conditions, les politiques prennent des décisions qui leur semblent bonnes, mais dont les fondements sont fragiles. Il faut reconnaître que nous avons du mal à sortir du brouillard épidémiologique (manque d’informations claires sur la façon dont l’épidémie évolue vraiment).

Quelles pourraient être les mesures déployées pour rassurer les parents, les élèves et les enseignants en cette rentrée face au coronavirus et pour limiter la propagation du virus ?

Rassurer, inquiéter, rassurer, inquiéter… Ce sont toujours ces mêmes verbes sur lesquels la communication de l’exécutif est arc-boutée. Je trouve que le fait de tout ramener à de l’inquiétude ou à du rassurement est trop infantilisant et déresponsabilisant. C’est un peu comme un médecin qui se croit obligé de rassurer ses patients alors que le vrai inquiet, c’est lui, car il ne maîtrise ni le diagnostic, ni le traitement, ni le pronostic.

La population en a assez d’entendre « soyez rassurés, tout va bien, la situation est sous contrôle », alors qu’il n’en est rien. Les Français passent pour être des râleurs permanents, des contestataires invétérés, et c’est souvent la vérité. Mais en l’occurrence, il y a de quoi être mécontent. On assiste à une succession de décisions arbitraires, souvent difficiles à justifier et qui surtout sont mal accompagnées sur le plan de la communication. Des boucliers se lèvent à propos de toutes ces coercitions réglementaires et on le comprend ; il y a trop de flous, trop de non-pertinences, trop d’incohérences.

Et sans parler de l’hétérogénéité des masques, du manque d’information sur leur efficacité réelle.

En fin de compte, ce sont plutôt les enseignants qui sont exposés : ils appartiennent aux catégories 3 et 4, alors qu’ils sont dispensés de port de masque. Voilà encore une incohérence ; cela dit, je n’ai pas encore fait de cours avec un masque et j’espère que cela ne m’arrivera pas, car c’est de mon point de vue la négation de la communication physique (il vaut mieux intervenir en vidéo sans masque que de faire un cours en présentiel avec masque : c’est mon avis).

Pour répondre à la question posée : malgré les informations quotidiennes que nous recevons sur la « reprise de l’épidémie » - ce que je conteste -, la situation épidémique paraît dans l’ensemble bien contrôlée en France. Mais ce contrôle est probablement permis par le port du masque à l’intérieur des locaux, ce qu’il faut poursuivre encore quelque temps. À l’école, on exige que les élèves portent un masque et il faut l’accepter. Je recommande surtout d’acheter à chaque enfant ou adolescent quelques masques de type « barrière grand public lavable » de bonne qualité, d’un modèle validé et correspondant aux recommandations de l’Association française de normalisation (AFNOR). Ces masques à usage multiple peuvent être utilisés un très grand nombre de fois ; il n’est pas nécessaire de les laver systématiquement, au contraire : leur lavage les use inutilement ; les laver n’améliore aucunement la sécurité microbiologique qu’ils apportent et peut à l’inverse l’altérer en diminuant leur pouvoir filtrant ; cette obsession de vouloir tout laver est contreproductive en l’occurrence.

Les enfants sont souples et s’habituent facilement : ils vont s’habituer aux masques à usage multiple à l’école. Il faut accepter cette contrainte, en sachant qu’elle ne durera pas des mois et des mois. Faute de mieux…

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