La prochaine fois que vous prononcerez un gros mot devant un enfant ou un collègue, vous vous souviendrez de cet article...<!-- --> | Atlantico.fr
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Les noms d'oiseaux composent une langue presque à part, crue et parfois jouissive à entendre et à parler. Notre dictionnaire est riche de centaines de ces injures, qui, plus que de simples manifestations de mécontentement, sont parfois lourdes de sens.
Les noms d'oiseaux composent une langue presque à part, crue et parfois jouissive à entendre et à parler. Notre dictionnaire est riche de centaines de ces injures, qui, plus que de simples manifestations de mécontentement, sont parfois lourdes de sens.
©Flickr

Noms d'oiseaux

Les gros mots, jurons et injures, qu'on se le dise, font partie de notre belle langue, riche patrimoine immatériel que nous colportons au fil des siècles. Si nous les interdisons dans la bouche des enfants, ils font pourtant partie de notre vocabulaire quotidien. Et ont parfois plus de sens que l'on ne suppose.

Ah, les gros mots ! Ils sont partout. Il n'y avait pas de raison que la variété de notre langue ne s'étende pas au champ lexical de l'injure. Nous comptons plusieurs dizaines d'injures à notre vocabulaire, plus ou moins anciennes, élégantes, soutenues, communes ou agressives. Nous nous efforçons de ne pas les entendre sortir de la bouche de nos enfants, mais savons très bien qu'ils finiront pas les prononcer, tout comme nous. 

Signe d'aisance linguistique

Il faut dire qu'ils soulagent tellement ! Pour le linguiste Gilles Guilleron, qui nous avait accordé une interview en mai 2013, le gros mot permet de "libérer les tensions qu'on a en soi" et de s'affranchir des marqueurs sociaux. Tout le monde les prononce, que l'on soit président de la République ou ouvrier. "Quand on insulte, le masque social tombe, affirmait Guilleron. Le gros mot est comme un flagrant délit d'humanité". Les injures ne sont pas là par hasard. Mieux, elles sont sujettes à de multiples anecdotes que vous ignorez peut-être. Le site Quartz y a consacré un article.

Vous jurez beaucoup, et vous vous inquiétez parfois le soir sur votre oreiller de n'être qu'un vieux grognon qui, dépourvu de toutes sortes d'arguments, s'en remet à vociférer sur ce goujat qui vous a grillé la priorité ? Vous pensez avoir un vocabulaire limité ? Détrompez-vous. Il se trouverait que les personnes qui profèrent le plus d'insultes bénéficient d'une plus large gamme verbale et d'un quotient intellectuel plus élevé, comme en faisaient état plusieurs études (ici, et ici). Mais ne sautez pas pour autant au plafond si vous vous contentez de multiplier les "putain" et les "merde" à longueur de journée, et les "putain de merde" quand vous êtes inspirés. Il s'agit là de savoir puiser dans l'abondante réserve à jurons dont nous disposons et de les semer avec parcimonie, élégance et efficacité. Il y a tant de gros mots dont nous semblons avoir oublié le potentiel !

Les sonorités d'une insulte en disent beaucoup sur son sens

Venons-en à un aspect peut-être plus anecdotique, mais tout aussi intéressant. Avez-vous déjà entendu le locuteur d'une langue étrangère jurer (par exemple un Russe) ? Bien sûr que non, me direz-vous, puisque vous ne comprenez pas ce qu'il dit. Eh bien figurez-vous que si l'un des mots prononcés a heurté votre oreille, il y a de fortes chances qu'il s'agisse d'un gros mot. Pourquoi ? Parce qu'ils sont expressément conçus pour que leur prononciation écorche les oreilles. On remarquera que les mots décrivant la beauté (enchanteresse, magnificence, harmonie, charme, finesse, légèreté) sont généralement plus doux à écouter que ceux dépeignant la laideur (mocheté, crasse, horreur, vilenie, répugnant, abominable). De même, certains mots appartenant au même champ lexical partagent des sonorités semblables.

Pour cause, ils véhiculent un symbolisme. De la même manière que certaines notes de musique nous paraissent plus ou moins joyeuses, comme le remarquait le compositeur du XVIIème siècle Marc-Antoine Charpentier dans ses Règles de composition(1690), nous pouvons observer un symbolisme dans notre langue française. Ainsi, les mots et verbes signifiant la jointure ou l'attache présentent en de nombreuses occasions deux consonnes identiques à la suite : alliance, atterrissage, assemblage, annexé, accolé. Les exemples sont nombreux. Il en est de même pour les insultes, qui ont dans leur sonorité ce petit quelque chose qui rend le mot dur à entendre, mais facile à comprendre. Aussi, les enfants ont plus de facilités à assimiler à leur vocabulaire les mots empreints de symbolisme, et tendent à les apprendre plus tôt. Vous ne trouvez pas qu'au-delà de leur signification, les insultes  "putain", "merde", "chieur", "pute", "enculé", "abruti" ou "couillon" ne sont pas désagréables à entendre ? De quoi expliquer pourquoi les mots interdits que vous vous retenez de dire devant votre enfant sont bizarrement ceux que ce dernier finit par bien maîtriser.  

L'insulte est variable selon le milieu et l'interlocuteur

À cela, nous pouvons ajouter que nous jurons différemment selon les classes sociales. S'il ne faut pas faire de généralités, on distingue toutefois quelques tendances : les classes sociales les moins aisées jurent davantage que les autres et certaines insultes ne sont prononcées que dans les milieux les plus bourgeois. "Diantre", "fichtre" et "sacrebleu" ne sont pas des amabilités que l'on s'échange dans la rue. Également, il apparaît à la surprise générale que les hommes s'adonnent plus souvent au plaisir de l'insulte que les femmes, indiqueQuartz, et que les jurons qu'ils profèrent sont plus vulgaires que ceux rarement prononcés par la gente féminine. Une étude suggère notamment que c'est le caractère sexuel de la plupart des insultes qui rebuterait bon nombre de femmes, conférant davantage de valeur à l'acte sexuel.

Vous l'aurez peut-être remarqué : il ne vous est jamais arrivé de demander à votre supérieur hiérarchique d'aller se faire foutre. Ou alors, vous avez été viré, et il n'est plus votre supérieur. En revanche, faire une telle requête auprès de votre plus proche ami pourrait presque passer pour un signe de complicité. On remarque en outre que si les injures ne vont pas souvent dans le sens "employé de bureau – chef de service", l'inverse n'est pas forcément vrai, et peut être une bonne chose. Un supérieur hiérarchique jurant devant ses employés apparaîtra comme une personne plus accessible et humaine. Attention toutefois à ne pas abuser de familiarités si vous voulez vous faire respecter.

Pas de doute, les noms d'oiseaux composent une langue presque à part, crue et parfois délicieusement jouissive à entendre et à parler. Notre dictionnaire est riche de centaines de ces injures, qui, plus que de simples manifestations de mécontentement, sont parfois lourdes de sens, comme il est révélé dans plusieurs articles (ici, ici et ici).

Vous saviez, vous, que l'injure que l'on attribue généralement aux prostituées venait du latin putidus, signifiant "puant" ?

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