La plainte américaine contre Standard & Poor's est-elle une bonne ou une terrible nouvelle ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'administration Obama réclame 5 milliards de dollars de dommages et intérêts à Standard & Poor's.
L'administration Obama réclame 5 milliards de dollars de dommages et intérêts à Standard & Poor's.
©Reuters

Agence de notation à l'index

L'administration Obama réclame 5 milliards de dollars de dommages et intérêts à l'agence de notation pour son rôle dans la crise financière. Autrefois totalement dérégulé, le secteur pourrait-il bientôt souffrir d'un excès de régulation ?

Norbert Gaillard

Norbert Gaillard

Norbert Gaillard est économiste et consultant indépendant.

Sa thèse, rédigée à Sciences Po Paris et à l’université de Princeton, portait sur les méthodologies de notation souveraine. Il a été consultant pour l’International Finance Corporation (IFC), l’État de Sonora (Mexique), l’OCDE et la Banque mondiale.

Il est l'auteur de Les agences de notation (La Découverte, 2010) et de A Century of Sovereign Ratings (Springer, 2011).

 

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Atlantico : Le département américain de la justice s'est engagé dans des poursuites à l’encontre de l’agence de notation Standard & Poor’s et lui réclame 5 milliards de dollars de dommages et intérêts. Est-il plus dangereux pour l’économie de laisser les agences de notation agir sans contrôle ou de les "museler", supprimant les seuls acteurs indépendants capable de juger les politiques économiques des Etats ?

Norbert Gaillard : Il s’agit là de deux périls à éviter. Jusqu’en 2006 aux États-Unis et jusqu’en 2009 en Europe, les agences de notation ne faisaient l’objet d’aucun encadrement réglementaire. Cette situation était d’autant plus anormale que les législateurs et régulateurs américains et européens avaient pris l’habitude d’intégrer de plus en plus souvent les notations dans les réglementations financières, conférant donc aux agences un pouvoir réglementaire. Plusieurs lois récentes ont renforcé la supervision de l’industrie de la notation en vue d’accroître la transparence des méthodes de travail, de lutter contre les conflits d’intérêts, d’instaurer un régime de responsabilité civile pour les agences et de retirer progressivement les références aux notations dans les réglementations financières. Ces mesures vont dans le bon sens mais on sent poindre également une volonté de « remettre au pas » les agences depuis qu’elles ont commencé à dégrader les notes souveraines de plusieurs pays industrialisés en 2010.

La nouvelle réglementation européenne votée par le Parlement européen le 16 janvier 2013 prévoit par exemple que les agences de notation doivent s’abstenir de toute recommandation directe ou explicite au sujet des politiques économiques des États. Cette disposition a de quoi laisser perplexe mais elle révèle que l’on pourrait passer, en moins d’une décennie, d’un déficit de régulation à un excès de régulation.

L’administration américaine cherche t-elle à éliminer les derniers contre-pouvoirs économiques ?

Je ne crois pas. Les poursuites engagées par le Département de la Justice s’inscrivent plutôt dans un vaste plan de lutte contre la fraude et la délinquance financière. En novembre 2009, le président Obama a créé la Financial Fraud Enforcement Task Force. Ce groupe de travail est composé de membres des Département de la Justice, du Trésor, du Travail, de la Securities and Exchange Commission (le principal régulateur américain) et de nombreux procureurs et hauts fonctionnaires américains. Il s’est fait connaître en poursuivant et en obtenant la condamnation de Bernard Madoff et en contraignant Goldman Sachs à payer une amende de 550 millions de dollars.

Le bilan de la Financial Fraud Enforcement Task Force est d’ores et déjà impressionnant. Suite à ses investigations pour les années fiscales 2009 et 2010, la justice américaine a procédé à 1761 inculpations et à 575 condamnations à au moins un mois de prison dans des affaires de fraudes hypothécaires. Aujourd’hui, c’est Standard & Poor’s qui est dans le viseur de la Financial Fraud Enforcement Task Force.

Cette décision pourrait-elle ébranler le secteur de la notation en remettant en cause sa crédibilité et son oligopole ?

La justice américaine a estimé le préjudice subi par les investisseurs à près de 5 milliards de dollars… Et encore celle-ci ne considère que les pertes liées à certains types de produits structurés pour l’année 2007, au début de la crise financière. La facture pourrait être beaucoup plus lourde.

Quoi qu’il en soit, l’amende de 5 milliards de dollars qui pourrait être infligée à Standard & Poor’s représenterait cinq fois le bénéfice net annuel de McGraw-Hill, le propriétaire de l’agence : c’est considérable. Il est clair que la justice américaine va en partie s’appuyer sur le rapport du Sénat américain publié en avril 2011 pour démontrer que Standard & Poor’s a volontairement gonflé ses notations pour préserver ses revenus et ses parts de marché.

Les investigations du Sénat américain tendent en particulier à démontrer que l’agence n’était pas de bonne foi lorsqu’elle attribuait des notes à des produits structurés et qu’elle a été au cœur de conflits d’intérêts qui l’ont empêché d’établir des diagnostics objectifs et indépendants. L’agence a de quoi s’inquiéter car c’est son avenir qui est en jeu.Néanmoins, je ne pense pas que les poursuites contre Standard & Poor’s mettent en danger l’industrie de la notation dans son ensemble. Trop d’investisseurs ont besoin des ratings pour établir leurs stratégies d’investissement.

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