La philosophie de Didier Deschamps à la tête des Bleus avant l’Euro 2021 : la victoire et rien d’autre<!-- --> | Atlantico.fr
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Le sélectionneur de l'équipe de France de football, Didier Deschamps, lors d' une conférence de presse à Paris, le 18 mars 2021.
Le sélectionneur de l'équipe de France de football, Didier Deschamps, lors d' une conférence de presse à Paris, le 18 mars 2021.
©FRANCK FIFE / AFP

Bonnes feuilles

Bernard Pascuito a publié « Didier Deschamps: La victoire et rien d'autre » aux éditions du Rocher. En remportant la Coupe du monde 2018, comme sélectionneur de l'équipe de France de football, vingt ans après l'avoir brandie en capitaine valeureux d'une autre équipe de France, Didier Deschamps a repoussé un peu plus loin les limites que l'on fixe généralement aux gens normaux. La conquête est son oxygène. Extrait 2/2.

Bernard  Pascuito

Bernard Pascuito

Bernard Pascuito est journaliste et éditeur. Il a notamment été reporter, puis rédacteur en chef à France dimanche. En 2004, il a fondé sa propre maison d'édition.

Biographe, il a publié des ouvrages sur des célébrités diverses, parmi lesquels : Gainsbourg, le livre du souvenir (Sand, 1991), Coluche, toujours vivant (Payot, 2006) ou Dalida, une vie brûlée (l'Archipel, 2007).

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Les jours d’après Coupe du monde sont souvent difficiles. Quelques hoquets par-ci, par-là, et notamment l’élimination de la première Ligue des nations, les champions du monde ne parvenant pas à se qualifier pour les demi-finales, mais l’équipe de France aura malgré tout fait bonne figure. À partir du mois de mars 2019, elle s’engageait sur le chemin des éliminatoires menant à l’Euro. Dans un groupe, dont le moins qu’on puisse dire, est qu’il n’était pas très difficile : Moldavie, Islande, Andorre, Albanie et Turquie… Il n’y avait pas de quoi faire des cauchemars la nuit. Après deux nets succès en Moldavie et à Saint-Denis contre l’Islande, le 8 juin, les Bleus, complètement à côté de leur sujet, subissaient une défaite vexante en Turquie. 2-0. Ce n’était pas un drame et les chances de qualification n’étaient certes pas entamées, mais tout de même… Les rencontres de fin de saison, qui comptent autant que les autres, donnent souvent des résultats amers. À force de trop penser aux vacances, on part en vacances en grimaçant.

À la rentrée, les « bronzés » alignaient des succès à Andorre, puis contre l’Albanie et encore contre Andorre au Stade de France, avant d’aller gagner en Islande. De quoi garder leurs bonnes couleurs. Ils oscillaient à nouveau contre la Turquie, un match nul au Stade de France qui donnait quelques inquiétudes sur la capacité de cette équipe à hisser son niveau dans les moments importants. En effet, autant la défaite du match aller, le 8 juin, alors que tout le monde avait plutôt la tête ailleurs, pouvait être reléguée au rang des anecdotes, autant ce match nul, en plein mois d’octobre, alors qu’une victoire était vraiment nécessaire pour assurer la première place, bof. Comment éviter les questions qui dérangent, et les commentaires suspicieux ?

En finissant par deux victoires, face à la Moldavie, à Saint-Denis, et en Albanie, les Français assuraient leur qualification. Normal pour des champions du monde. Mais inquiétant sur l’ensemble des performances.

Par moments, on avait l’impression d’avoir trouvé une équipe. À d’autres moments, c’était un peu n’importe quoi. Les joueurs rassurants sur un match l’étaient beaucoup moins sur le match d’après.

Didier Deschamps ne trouvait pas la bonne formule pour utiliser son attaque. Des noms ronflants, champions du monde ou pas, M’Bappé, Griezmann, Koman… Olivier Giroud, guère plus utilisé par son équipe de Chelsea – et c’était à peine le début de la disette –, en manque de rythme, apparaissait pourtant indispensable à cette attaque. C’était déjà un mystère.

Le titre mondial n’était pas si éloigné, un an à peine, mais déjà revenaient, le plus souvent feutrées, des questions sur la capacité de Deschamps à faire vivre bien cette équipe sur le plan technique et stratégique. Que l’ambiance soit bonne, personne ne pensait à le contester, et c’était très bien. Mais était-ce le plus important?

Que dire à un sélectionneur qui vient de gagner une Coupe du monde? Que son système n’est pas le bon, qu’il ne tire pas le meilleur de ses joueurs? Il serait toujours possible d’envisager des échanges, voire des conversations animées avec un autre sélectionneur, plus ouvert à la critique.

Celui-ci n’en était pas à chercher des arguments : champion du monde, c’est déjà une réponse.

Oui, mais cette attaque qui ne se trouve pas? Il vous assénait les quatre buts marqués à l’Argentine, et les quatre autres marqués en finale contre la Croatie.

L’équipe de France absente du dernier carré de la Ligue des nations? Il pouvait vous répondre que dans un groupe de trois où on trouvait l’Allemagne et des Pays-Bas, on savait que ce serait difficile… Évidemment, on ne peut pas toujours jouer contre la Moldavie et le Zimbabwe.

Cela pouvait se sentir depuis bien longtemps, avant la Coupe du monde, le sélectionneur français, insensiblement, avait crispé ses choix stratégiques et sa philosophie. Ce n’était plus, la victoire avant tout, mais la victoire et rien d’autre.

Une mutation qui ne jurait pas avec le passé de Deschamps. À Marseille, déjà, malgré les titres et les victoires, on lui avait reproché l’ennui distillé par son équipe. Le public du Vélodrome n’est pas très original : quand son équipe gagne sans lui donner de plaisir, il s’en contente. Quand elle l’ennuie et ne gagne plus, il devient féroce. Le règne de Deschamps à Marseille s’était ainsi mal terminé.

Quand on évoque la qualité des joueurs français sur le terrain, Pogba, Varanne, Griezman, M’Bappé, N’Golo Kanté, Matuidi, Lloris… comment expliquer que ces mêmes joueurs n’aient pas réussi un match de grande qualité, en entier, depuis la Coupe du monde? C’est une question sans réponse si l’on compte sur le sélectionneur pour nous aider. Lui, il voit des choses merveilleuses là où on ne les voit pas. À partir de là, il n’est pas simple de discuter.

Il était incontournable que l’on reparle de Karim Benzema. Le temps des interrogations était revenu, et aussi celui des sous-entendus. Difficile de questionner clairement quand on se heurte à un grand vague… Comment se passer de l’un des meilleurs attaquants du monde était la sempiternelle question qui revenait sans cesse sans être vraiment formulée. De toute façon, il a choisi de ne plus y répondre, ou alors, d’y répondre par des formules toutes faites et qui ne veulent rien dire : « Il y a beaucoup de bons joueurs dans ce secteur de jeu, il n’est jamais facile de faire des choix… Tout le monde a sa chance… » Et tant d’autres encore.

Le fait est qu’il a choisi de se passer aussi longtemps qu’il le faudra de Karim Benzema et qu’il ne veut pas en donner les vraies raisons. Ce qui relève au mieux d’un manque de courtoisie. Quand on a été champion du monde poids lourds, on peut s’offrir le luxe d’être poli, disait le boxeur Jim Corbett, entré dans la légende sous le nom de Gentleman Jim. Ça ne vaut apparemment pas pour les footballeurs.

Noël Le Graët, superbe d’effronterie, remettait de l’huile sur le feu, annonçant, alors que personne ne lui demandait rien, que la carrière internationale de Benzema était terminée.

Comment un président de fédération pouvait-il s’abaisser à une telle déclaration? En même temps que son sélectionneur prétendait que la non-sélection du joueur tenait uniquement à des raisons sportives, voire d’équilibre harmonieux de l’équipe nationale, voilà que Le Graët, en pleine déconnexion, venait désigner officiellement cette non-sélection comme la conséquence d’une décision fédérale. À l’opposé des discours de son sélectionneur. Et leur ôtant définitivement toute crédibilité. Il est toujours bien de se garder de ses amis…

Le Graët avait fini par craquer sous la pression… des résultats. Depuis quelques semaines, il est vrai que Benzema se montrait irrésistible sur le terrain, marquait but sur but, sauvant le Real Madrid à plusieurs reprises et devenant l’atout n° 1, le patron de son équipe. Oui, ce Benzema-là, celui que l’on voyait depuis plusieurs semaines et plusieurs mois, était indispensable à l’équipe de France, il avait totalement sa place dans le groupe France.

La rumeur montait, les protestations n’étaient plus seulement silencieuses, les impressions étaient devenues certitudes : seules des raisons étrangères au football pouvaient justifier cette élimination. Le Graët venait de le confirmer.

Benzema pouvait ironiser dans un tweet adressé à Le Graët. « Je croyais que le président n’intervenait jamais dans le domaine sportif… »

Tout cela était plus ou moins amusant, quand même. Ces gens s’arrogeaient un pouvoir de nuisance qu’aucune autorité ne leur contestait. Quand on connaît la futilité du point de départ de cette affaire…

C’est le caractère difficile et très ambigu de Didier Deschamps, qui se trouve concentré dans cet épisode Benzema, que tout le football français traîne derrière lui depuis près de cinq ans maintenant.

« Deschamps prend l’équipe de France en otage », s’était écrié Christophe Dugarry, peu de temps avant la Coupe du monde 2018, ce qui avait révolté le même Deschamps, menaçant là encore de faire un procès. Mais il est vrai qu’à moins d’avoir d’autres explications que l’on ne nous donne pas, on peut se demander au nom de quoi Didier Deschamps décide de mettre un couvercle sur la carrière internationale de Benzema. Pour des motifs personnels? Il n’en évoque pas d’autres et nous-mêmes, nous n’en voyons pas.

C’est donc un Deschamps encore une fois mal à l’aise avec ses interlocuteurs de la presse sportive, irrité par certaines questions, pas seulement autour de Benzema, mais aussi de Giroud, du système de jeu, de M’Bappé, avant-centre ou pas, du manque de progrès de cette équipe de France, que l’on retrouvait en ce début d’année 2020. Rassuré par la qualification à l’Euro, certes, mais sur ses gardes par ailleurs, il s’avance vers le mois de juin 2020.

Après le tirage au sort du mois de décembre, qui offre à la France le groupe de la mort, en guise de premier tour de la phase finale, beaucoup de la sérénité d’alors s’est évanouie. Affronter l’Allemagne à Munich, pour ouvrir les débats, puis le Portugal, champion d’Europe en titre et vainqueur de la Ligue des nations 2018, pour les clore, il y avait mieux à espérer du sort.

A lire aussi : Objectif Lune (1994-1997) : quand Aimé Jacquet permit à Didier Deschamps de devenir capitaine des Bleus

Extrait du livre de Bernard Pascuito, « Didier Deschamps: La victoire et rien d'autre », publié aux éditions du Rocher

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