La pandémie de Covid-19 ou le sacrifice des libertés <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'un Conseil de défense sanitaire à l'Elysée lors de la pandémie de Covid-19.
Emmanuel Macron lors d'un Conseil de défense sanitaire à l'Elysée lors de la pandémie de Covid-19.
©Ludovic MARIN / AFP / POOL

Bonnes feuilles

Nicolas Baverez publie « (Re)constructions » aux éditions de L’Observatoire. L'épidémie de Covid sera-t-elle la matrice du XXIe siècle, comme la Grande Guerre fut celle du XXe siècle ? En tout cas, la décennie 2020 sera décisive. L'heure n'est donc pas à la déploration mais à l'action. Démocratie, capitalisme, Europe, France : tout est à repenser. Extrait 1/2.

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez est docteur en histoire et agrégé de sciences sociales. Un temps éditorialiste pour Les Echos et Le Monde, il analyse aujourd'hui la politique économique et internationale pour Le Point.

Il est l'auteur de Lettres béninoises et de Chroniques du déni français aux Editions Albin Michel.

 
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L’épidémie de Covid-19 déstabilise tout particulièrement les démocraties, car les mesures sanitaires, notamment le recours au confinement, portent atteinte aux libertés fondamentales, tandis que l’organisation des élections et le débat public se trouvent profondément perturbés. La France fait cependant exception par la concentration extrême des décisions entre les mains du président de la République, comme par l’ampleur des restrictions aux libertés. La Ve République, organisée autour du primat de l’État et de son chef, n’a jamais été un régime libéral. La présidentialisation et la centralisation du pouvoir n’ont cessé de s’amplifier. La pandémie marque cependant un tournant, en poussant à l’extrême la tentation étatique et autoritaire qui caractérise le quinquennat d’Emmanuel Macron. L’absence d’anticipation de l’État, puis la perte de contrôle de la situation sanitaire, économique et sécuritaire ont provoqué un effet de sidération et de panique chez les dirigeants comme chez les Français, créant une quête frénétique de sécurité au détriment de la liberté.

Nombre de démocraties ont eu recours à des dispositions de temps de crise, à l’image de l’état d’urgence nationale en Italie ou de l’état d’alerte en Espagne. La France demeure cependant la seule à avoir créé, avec la loi d’urgence sanitaire du 23  mars 2020, un nouveau régime d’exception, qui s’ajoute à l’article 16 de la Constitution, à l’état de siège et à l’état d’urgence. Notre pays expérimente ainsi l’état d’urgence permanent, de 2015 à 2017 en raison du terrorisme, puis depuis 2020 en raison de la Covid-19.

L’état d’urgence sanitaire a autorisé l’exécutif, par simple décret, à restreindre ou supprimer les libertés, à mettre en place des mesures de quarantaine ou d’isolement, à réquisitionner tous biens et services, à contrôler les prix. Tous les pouvoirs sont en réalité transférés au président de la République, qui les exerce à travers le Conseil de défense sanitaire. La gestion de l’épidémie se trouve ainsi placée sous un cadre militaire et régie par le secret-défense, alors qu’elle relève du Conseil des ministres ou du conseil restreint. Le recours au Conseil de défense, qui s’inscrit dans le droit fil de la rhétorique guerrière, constitue un détournement de pouvoir. Il contribue à expliquer la faillite sanitaire de la France face aux vagues successives de l’épidémie : son fonctionnement interdit en effet d’associer aux décisions les élus, les entreprises et les citoyens – coopération qui se trouve, à l’inverse, au principe de la réussite du CoronaKabinett, mis en place par Angela Merkel.

La concentration des décisions entre les mains du président est allée de pair avec le désarmement des contrepouvoirs. Le Parlement s’est transformé en chambre d’enregistrement, sans jamais débattre au fond de l’état d’urgence sanitaire ni du plan de relance. De leur côté, les tribunaux se sont arrêtés durant trois mois, au printemps, avant de partir en vacances, ce qui n’a pas d’équivalent dans le monde développé. Les ultimes garde-fous en matière de libertés publiques proviennent désormais des juridictions et du droit européens.

Force est de constater que les démocraties qui ont le mieux répondu à la crise sanitaire et économique n’ont pas eu recours à des législations d’exception, ni suspendu les contre-pouvoirs, ni dégradé leur État de droit. Au prétexte de remédier à la faillite de l’État dans la lutte contre l’épidémie et la montée de la violence, la France s’est engagée dans une course à la limitation des libertés individuelles et à l’extension incontrôlée des pouvoirs de l’exécutif, qui pourrait prendre un tour tragique en cas d’arrivée à la tête de l’État d’un dirigeant populiste. Les instruments d’une démocratie illibérale se mettent en place dans l’indifférence générale ; il ne leur manque plus que d’être mis en action par un véritable autocrate.

La sécurité est la première des libertés, mais la remise en question des libertés individuelles n’améliore en rien la sécurité collective. Au lieu de prétendre donner des leçons de liberté d’expression au monde, nous serions mieux inspirés de restaurer l’État de droit. Benjamin Franklin rappelait à juste titre que « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre ».

Extrait du livre de Nicolas Baverez, « (Re)constructions », publié aux éditions de L’Observatoire

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