La nouvelle méthode d’Emmanuel Macron ? Deux doses de démagogie et une dose d’anti-parlementarisme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le président français Emmanuel Macron prononce un discours au palais de l'Élysée à Paris, le 3 juin 2022.
Le président français Emmanuel Macron prononce un discours au palais de l'Élysée à Paris, le 3 juin 2022.
©JULIEN DE ROSA / POOL / AFP

Une pincée de technocratie

Dans un entretien à la presse régionale ce vendredi, le chef de l'Etat a annoncé la création d'une nouvelle instance au lendemain des législatives, un "Conseil national de la refondation". Une technique en réalité destinée à habiller d’un vernis pseudo-démocratique des choix technocratiques

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : Pour sa première interview depuis la présidentielle, accordée à plusieurs titres de la presse quotidienne régionale dont Le Parisien, Emmanuel Macron a dévoilé sa nouvelle méthode et notamment la volonté de créer un Conseil national de la refondation comportant «toutes les forces vives et des citoyens tirés au sort» car «les Français sont fatigués des réformes venues d’en haut. Ils ont plus de bon sens que les circulaires». Que penser de cette nouvelle méthode ?  

Christophe Boutin : D’abord que ce n’est pas un hasard si, pour son premier entretien après sa victoire à l'élection présidentielle, mais, surtout, à une semaine du premier tour des élections législatives, Emmanuel Macron choisit de s’exprimer dans la presse quotidienne régionale, la plus lue en France, alors que son parti, LREM devenu Renaissance, a toujours, après cinq années de pouvoir, un côté « hors-sol ». Il sait que cette presse peut contribuer à changer cette image, qui est aussi la sienne, et, effectivement, tente ici d’établir un contre-feu face aux critiques qui lui sont souvent faites. On sait que ses détracteurs lui reprochent en effet régulièrement d'être un autocrate autiste, quand ses thuriféraires évoquent, eux, un génie aux fulgurantes intuitions solitaires, mais l'image est finalement toujours la même, celle d’un pouvoir « d’en haut », celui du Jupiter élyséen. 

C’est donc dans la France réelle, profonde, périphérique, qu’Emmanuel Macron s’apprêterait selon lui  à aller chercher son inspiration, au plus près des Français, dans « 1200 bassins de vie » et grâce à un « Conseil national de la refondation » composé « avec les forces politiques, économiques, sociales, associatives, des élus des territoires et de citoyens tirés au sort ». Nous retrouvons ici, sans grande surprise, une méthode déjà utilisée par le Président, celle de la Conférence citoyenne sur le climat. Présentée trop souvent comme l’aboutissement d’une moderne « démocratie participative », il s’agit en fait d’une technique destinée à habiller d’un vernis pseudo-démocratique des choix technocratiques. 

Rappelons en effet, d’abord, que le lieu du débat dans notre démocratie est le Parlement, un organe qui n'est pas composé de citoyens « tirés au sort », ou de ces « personnalités qualifiées » dont on apprend avec surprise la qualification en même temps que la nomination, mais  de représentants élus par les citoyens à cette fin. Un Parlement dans lequel l’Assemblée nationale, qui a le dernier mot sur la quasi-totalité des textes, joue le rôle principal. Or cette Chambre a été pour le moins atone pendant cinq années, en grande partie à cause du mépris dans lequel la majorité présidentielle a tenu les oppositions, de droite ou de gauche, et il est à craindre que la même morgue ne prévale dans les cinq prochaines années. 

On crée alors une structure parallèle pour donner un semblant de légitimité démocratique à ce qui n'est plus que la validation parlementaire de ces choix technocratique dont on sait maintenant qu'ils sont parfois largement inspirés par des cabinets de consultants étrangers. On peut en effet penser qu’avec le Conseil national de la refondation il en sera de même qu'avec la Conférence citoyenne pour le climat : entre le choix des participants et celui des intervenants, le contrôle de l'information, l'intervention de groupes de pressions ou de lobbies, on peut en fait obtenir de cette structure informe la réponse que l’on attend, que ses organisateurs ont ensuite l'audace de présenter comme étant « le choix des Français ».

Que mille fleurs s’épanouissent donc, avec des « discussions […] sur le terrain » mêlant, pour la Santé « les médecins, les paramédicaux, les élus et nos associations de patients », ou, pour l'école, « personnels éducatifs, parents d'élèves, personnel périscolaire, élus et lycéens ». Une sorte de « Nuit debout » où ne manquent plus que les ratons-laveurs de Prévert. Mais, même dans leur aspect consultatif, ces structures concurrencent de manière bien inutile les si nombreux organes destinés à la même tâche, comme aussi les commissions parlementaires. Et si Emmanuel Macron veut connaître les choix des Français, et ce de manière tout à fait démocratique cette fois, il est un moyen fort simple : user du référendum législatif. 

JS Ferjou
@jsferjou
Pour sa nouvelle méthode, E. #Macron annonce la création d’un Conseil national de la refondation qui sera créé avec «toutes les forces vives et des citoyens tirés au sort» Car «les Français sont fatigués des réformes venues d’en haut. Ils ont + de bon sens que les circulaires»⤵️
Citer le Tweet
Le Parisien
@le_Parisien
·
Sur la réforme des retraites, Emmanuel Macron assure qu'elle «entrera en vigueur dès l’été 2023» ➡️l.leparisien.fr/NTuz
Afficher cette discussion
Image

Le président revendique une référence au Conseil national de la résistance. A trop jouer et agiter les symboles et références ne  finit-il pas par les vider, eux et la politique, de leur sens et entretenir la confusion politique généralisée ? 

Le Conseil national de la Résistance, mis en place par le général De Gaulle avec Jean Moulin en 42-43 pour unifier les mouvements de Résistance, va effectivement, sous la direction de Georges Bidault, son président en 43, rédiger un rapport, le rapport Courtin, qui va constituer le noyau dur du programme mis en place à la Libération. On y trouve notamment la création de la Sécurité sociale, l'extension de la retraite à de nombreuses catégories de salariés, la nationalisation des grandes entreprises - Renault, SNCF –, de certaines banques, ou de l’énergie – EDF. 

On mesure la différence de ce programme d'avec celui d'Emmanuel Macron. Point de nationalisation ici des assurances ou des banques, mais la nécessité de préserver ces dernières des risques que leur font courir leurs traders en nationalisant leurs pertes en cas de coup dur. Sous couvert ensuite d’application des directives de l’Union européenne, le précédent quinquennat a continué à dérèglementer et dépecer les entreprises nationalisées et le secteur de l’énergie. On s’attaque enfin aux retraites, et on laisse la Sécurité sociale, minée de partout, s’effondrer lentement sur elle-même. 

La différence entre le deux était pourtant prévisible : le CNR était dans une logique dans laquelle les nécessaires améliorations sociales passaient par un renforcement du niveau national – ou, pour le dire autrement, le peuple était protégé par et dans la nation. Au contraire, le projet macronien s’inscrit dans une logique de déconstruction de la nation, notamment, on le sait, Emmanuel Macron le proclamant de manière régulière, au profit de l’Union européenne, le tout étant plus globalement inscrit dans la mondialisation. Quant au peuple au profit duquel travaillait le CNR, divisé politiquement mais partageant une évidente identité commune qui permettait la solidarité recherchée, il a été remplacé par des populations coexistant sur un même territoire, et la défiance actuelle entre ces groupes empêche cette même solidarité. C’est aussi toute la question même du terme de « refondation » utilisé dans le projet macronien : refonder, ce peut être retrouver des bases oubliées et indispensables, pour rebâtir sur elles, mais il s’agit plutôt ici de tout araser. 

Dans cette comparaison faite sans rougir entre le CNR et le Conseil macronien, on ne sait donc pas ce qui relève de l’aveuglement sur la politique menée ou du cynisme le plus absolu s’il s’agit de se réclamer de l’héritage gaullien, mais il est certain  qu’il fallait l’oser. 

Le Président évoque aussi ses oppositions politiques - notamment Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon - et sa volonté de réformer les institutions. Que cela nous dit-il de la vision des rapports institutionnels du président ?

Le président n'évoque dans cet entretien ses principaux opposants que de manière totalement caricaturale. Ainsi, lorsqu'il parle de l'énergie - sans répondre d’ailleurs à la question de savoir si EDF doit continuer de brader sa production à ses concurrents à bas coûts pour la racheter plus cher -, tout ce qu'il indique c'est que « ce que proposent M. Mélenchon comme Mme Le Pen, c'est le black-out, un risque des coupures ». Et quand, ensuite, on lui demande quelles doivent être les réformes institutionnelles, il déclare seulement que « le projet de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine Le Pen, c'est le désordre et la soumission. Ils expliquent qu'il faut sortir de nos alliances, de l'Europe, et bâtir des alliances stratégiques avec la Russie. C'est la soumission à la Russie. » Là encore, il s’agit de peser sur les législatives en agitant des éléments de peur sans débattre.

Ailleurs, lorsque Emmanuel Macron évoque la possibilité de nommer Jean-Luc Mélenchon à Matignon en cas de victoire de NUPES, il rappelle à juste titre la totale liberté de choix présidentiel du Premier ministre, mais va peut-être un peu loin en considérant qu’« aucun parti politique ne peut imposer un nom au Président ». Il oublie en effet bien rapidement ici toutes les armes dont dispose l’Assemblée nationale, de la motion de censure, bien sûr, aux moult possibilités de blocage des textes présentés, pour rendre incapable de fonctionner, en bloquant la production normative, un gouvernement dirigé par une personne que sa majorité parlementaire estimerait ne pas être celle qu'elle attend à ce poste. 

On voit en filigrane derrière ces réflexions la manière dont la « commission transpartisane » qui devrait réfléchir aux réformes institutionnelles va avoir à travailler. Rien ne change en fait dans le rapport aux oppositions, et la principale réforme institutionnelle que propose Emmanuel Macron est bien cette fameuse « nouvelle méthode » qui passe par la création d'organes consultatifs ad hoc aux noms ronflants destinés à court-circuiter le Parlement et à légitimer l'action du gouvernement par un simulacre de démocratie directe.

Il défend un projet et cinq objectifs pendant la campagne : l’indépendance (industrielle, militaire, alimentaire…), le plein-emploi, la neutralité carbone, les services publics pour l’égalité des chances et la renaissance démocratique avec la réforme institutionnelle. Il esquisse des contours de ce qu'il entend faire sur ces sujets. Qu'est ce que cela nous apprend ? A quel point cela laisse-t-il nombre de sujets majeurs de côté ?  

Nous venons de voir ce qu'il en est de la renaissance démocratique. Quels sont les autres thématiques évoquées dans cet entretien ? Le pouvoir d'achat d’abord, élément essentiel de la campagne présidentielle et toujours important dans ces législatives, avec l’annonce d’une « loi pouvoir d'achat » qui devrait voir le jour le plus rapidement possible. Ce que décrit le Président est en fait une loi d’assistanat ciblé, mêlant « chèque alimentaire » pour les personnes les plus défavorisés et « chèque essence » pour « les gros rouleurs », aides ponctuelles donc, sans qu'il y ait remise en question du taux des taxes portant sur les carburants, ou interrogation sur la curieuse inflation portant sur certains produits alimentaires. Derrière l’annonce, législatives oblige, que les aoûtiens pourront partir en vacances avec « la ristourne de 18 centimes », l’État maintient ainsi les assistés sous dépendance sans leur redonner une autonomie sur leur pouvoir d’achat.

Second élément évoqué, la question de l'énergie - au-delà cette fois des seuls carburants. Nous avons dit que le Président ne répondait nullement à la question de la vente de cette énergie par le producteur français à la concurrence à la suite de l'application des textes de l’Union européenne. Le seul élément véritablement évoqué à ce sujet est ici l’élaboration d’un « texte de simplification et d'urgence pour les projets d'énergie ». Traduisons : au regard de ce qui a déjà été fait lors du précédent quinquennat, il s’agit sans doute d’écarter certaines procédures de consultation des citoyens, comme celle de l'enquête publique, d’en remplacer d’autres par la seule autorisation préfectorale, bref, de mettre en place un moins-disant environnemental au profit des opérateurs oeuvrant dans le domaine des énergies renouvelables, et notamment de ceux du secteur des énergies éoliennes, dont on sait qu’elles sont de plus en plus contestées. 

Le dernier point plus spécifiquement évoqué concerne le secteur de la santé, au sujet duquel, après cinq années au pouvoir et les dégâts évidents que connait tout un chacun pour en avoir fait les frais dans sa vie personnelle, entre déserts médicaux et hôpitaux submergés, Emanuel Macron éprouve le besoin de créer une « mission flash » pour savoir s'il n'y aurait pas, peut-être, quelques légers dysfonctionnements. Mais, et là encore on est bien dans la logique d’un pouvoir incapable de se remettre en cause, pas question cependant de réintégrer les soignants non vaccinés, une nouvelle fois culpabilisés – et on remarquera en passant qu’Emmanuel Macron reste particulièrement flou sur la question de la mise en place de vaccinations obligatoires.

Les autres grands chantiers (« production, écologie, service public ») qui sont évoqués passeront eux après le « travail sur la réforme des retraites, qui est indispensable au financement de nos transformations » -une formule très claire quant à l’allongement de la durée de travail pour qui sait lire -, réforme des retraites qui devra entrer en vigueur « dès l'été 2023 ».

Il n’y a donc on le voit rien de nouveau dans la présentation de ces différents objectifs : nous sommes bien ici dans cette logique progressiste dans laquelle une remise en cause du mouvement engagé semble par principe inacceptable. Mais il n'est pas certain que les lecteurs de cet entretien, quelque part dans leur France périphérique, considère que le futur « conseil national de la Refondation » apporte une garantie démocratique suffisante pour légitimer cette fuite en avant.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !