La ligne d’Emmanuel Macron face à la Russie est-elle en train de créer des fractures profondes avec nos alliés ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Défense
Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz lors d'une conférence de presse à Berlin, le 15 mars 2024.
Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz lors d'une conférence de presse à Berlin, le 15 mars 2024.
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Diplomatie

Emmanuel Macron et Olaf Scholz ont manifesté leur soutien « indéfectible» à l'Ukraine lors d'un sommet ce vendredi à Berlin. Les déclarations d'Emmanuel Macron sur le conflit en Ukraine ont pourtant suscité des divisions ces dernières semaines au sein des pays européens.

Michel  Foucher

Michel Foucher

Michel Foucher est géographe et diplomate. Ses derniers ouvrages parus sont "Ukraine Russie, la carte mentale du duel, Tract n° 39", Gallimard, mai 2022 et "Ukraine, une guerre coloniale en Europe", éditions de l’Aube, septembre 2022.

Voir la bio »

Atlantitco : En dépit des critiques et des jugements sur le fond de la ligne d’Emmanuel Macron face à la Russie, le chef de l'Etat français est-il en train de créer des fractures profondes avec nos alliés dans le cadre de ses prises de position et de ses déclarations vis-à-vis de Moscou ?

Michel Foucher : La France fait partie des quelques pays de l’Alliance atlantique, avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays Bas et le Canada, qui ont signé un accord de sécurité avec l’Ukraine. Cet accord est mis au vote du Parlement français le 12 mars 2024, avant la visite du Président Macron à Kiev, sur laquelle Dimitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, a fait planer une menace. Le 6 mars dernier, la rencontre du Premier ministre grec, Kyriakos Mitsokakis avec le Président Volodymyr Zelensky, avait été marquée par l’explosion d’un missile russe à 150 mètres de leur lieu de visite sur le port. Josep Borrell avait dû se réfugier dans un abri de Kyiv le 12 février dernier. 

Les propos du Président français en marge de la conférence de Paris sur le soutien consensuel des Européens à l’Ukraine auraient dû être nuancés, dès lors que l’expression de « troupes au sol » signifie l’envoi de combattants et non de simples conseillers ou d’infirmiers. Ils n’auraient du reste pas dû être tenus, dès lors qu’ils reflétaient des débats légitimes et nécessaires, à huis clos et dont il ressort qu’un consensus avait été agréé. 

Il ne faut non plus exclure non plus une manœuvre, dans un jeu de billards à plusieurs bandes, visant à mettre le Rassemblement national en difficulté dans la perspective des élections au Parlement européen.

Le « no limit » annoncé publiquement par Emmanuel Macron est-il un chiffon rouge avec nos alliés ?

Le Président dispose évidemment d’analyses précises élaborées par l’appareil d’État français qui démontrent que le Kremlin n’a pas renoncé à ses objectifs initiaux : conquête du littoral de la mer Noire jusqu’à Odessa et la Transnistrie rebelle ; déstabilisation politique à Kyiv et assujettissement de l’Ukraine. 

Selon le Secrétaire général du Parti communiste français, Fabien Roussel, le Président Emmanuel Macron a esquissé, lors de la rencontre avec les chefs de partis politiques et carte à l'appui, le scénario d'une avancée du front "vers Odessa ou vers Kiev", "ce qui pourrait engager une intervention" car "il ne faudrait en aucune manière le laisser faire". Il a dès lors décrit un président russe "prêt demain à s'engager dans une escalade guerrière qui peut être dangereuse". C’est dans ce contexte que le président de la République a affirmé qu'il n'y avait "aucune limite" ni "ligne rouge" au soutien de la France à l’Ukraine agressée par la Russie. La difficulté est que les Européens ne sont pas en guerre mais que la ligne de front de l’Ukraine orientale est bien la nôtre avec ses enjeux de sécurité collective, de défense de la souveraineté nationale et de protection de nos valeurs. 

Ne s’agit-il pas de sujets qu’il faudrait traiter en privé et éviter d’aborder lors des conférences de presse ?

A l’évidence. Et pour deux raisons. D’abord, il y a ce travers culturel français à vouloir toujours être le premier, à lancer des idées sans faire le service avant-vente si l’on peut dire, c’est-à-dire sans consulter personne en amont alors qu’il convient de travailler ensemble à bâtir des positions communes. Il est vrai – et c’est mon expérience de diplomate – que l’on attend souvent de la France qu’elle lance des idées neuves. Mais comme le disait l’ancien secrétaire général du Quai d’Orsay, Jean-Marie Soutou : « en tête, pas d’échappée ». Le jeune Président français est toujours dans l’échappée. Ensuite, l’ambigüité stratégique ne doit pas s’accompagner d’une énonciation explicite. Ainsi, dans la doctrine de dissuasion, les intérêts vitaux de la France ne sont jamais définis ; ils relèvent de l’appréciation exclusive du Président de la République. 

La « lâcheté » évoquée devant la communauté française de Prague faisait référence à une analyse de l’écrivain tchèque Milan Kundera. Mais ce terme a été mal reçu à Berlin et là encore c’est un grand tort d’exprimer des désaccords franco-allemands en public alors que l’unité est requise, qui existe d’ailleurs sur le soutien à l’Ukraine. 

Malgré la méthode confuse et le non-respect de la grammaire diplomatique (« troupes au sol »), un débat est lancé pour anticiper la suite du conflit, qui ne peut que s’aggraver après l’illusion de l’impasse actuelle qui est en réalité une période de « recharge » où les deux belligérants tentent de se doter des moyens d’emporter la décision dans les deux années qui viennent. Et le message a été reçu au Kremlin.

Michel Foucher est Géographe et diplomate

Derniers ouvrages parus :

Ukraine Russie, la carte mentale du duel, Tract n° 39, Gallimard, mai 2022

Ukraine, une guerre coloniale en Europe, éditions de l’Aube, septembre 2022

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !