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La hausse des inégalités, enfant du libre-échangisme
©Reuters

Bonnes feuilles

Jour après jour, le monde s'installe dans une société totalitaire de moins en moins démocratique et le champ de nos libertés individuelles se rétrécit sérieusement. Exemples à l'appui, le Comité Orwell a choisi de dénoncer les dérives de nos sociétés. Parce qu'il y a peu de chances qu'un candidat à la présidentielle de 2017 se saisisse de ces sujets, alors qu'ils sont les seuls qui vaillent, les seuls qui déterminent la capacité à agir - ou la totale impuissance - du futur Président. Extrait de "Bienvenue dans le pire des mondes", de Natacha Polony et le comité Cornwell, aux éditions Plon 1/2

Natacha Polony

Natacha Polony

Natacha Polony est directrice de la rédaction de Marianne et essayiste. Elle a publié Ce pays qu’on abat. Chroniques 2009-2014 (Plon) et Changer la vie (éditions de L'Observatoire, 2017).

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Ce nouvel étage de la libéralisation du commerce est en phase de négociation au moment même où la contre-révolution libérale des années 70-80 qui l'a portée connaît à son tour un certain reflux après quarante ans d'hégémonie sur la politique économique mondiale. Outre la multiplication des crises financières et la hausse des inégalités, le néolibéralisme confronté à la déflation doit assumer en son coeur, les États-Unis, le recul de la productivité, signe manifeste de son essoufflement.

Une récente étude du FMI a enfoncé le clou. Intitulée « Néolibéralisme : survendu ? », elle confirme le revirement académique entamé durant les années 2000, plus sensible de l'autre côté de l'Atlantique qu'en Europe. Piquant, quand on sait que le FMI fut le fer de lance de la politique néolibérale, inspirée par les économistes monétaristes, avec à leur tête Milton Friedman et le fameux « consensus de Washington ». Symbolique cette fois, puisque l'une des principales règles sur laquelle se fonde son corpus théorique, le revenu permanent, est « fausse », comme le dénonçait récemment un éditorialiste de Bloomberg (1).

De ce côté-ci de l'Atlantique c'est peu ou prou comme si de rien n'était. En France, la presse a ignoré superbement les travaux de Branko Milanovic´. Le Monde par exemple n'a consacré que très récemment une interview à cet ancien chef économiste de la Banque mondiale, suite à son passage aux rencontres économiques d'Aix-en-Provence. Son dernier livre (2) qui consacre dix ans de travaux a pourtant jeté un pavé dans la marre en montrant comment trente ans de libre-échange ont bouleversé les inégalités de revenus dans le monde et ont fragilisé les classes populaires des démocraties occidentales. Son graphique dit « de l'éléphant », publié en 2014, consacré graphique de l'année par Paul Krugman, permet d'un seul coup d'oeil de contempler les ravages de la mondialisation pour les classes populaires des pays de l'OCDE. Dans une interview accordée à Marianne en 2014, il expliquait : « Le processus de mondialisation des échanges, tel qu'on le connaît aujourd'hui, a pu pleinement se mettre en oeuvre après la chute du mur de Berlin. Cela, d'une part, a assuré l'émergence d'un monde capitaliste sur l'ensemble du globe, et, d'autre part, l'entrée de la Chine dans l'OMC, devenue l'atelier du monde. Si l'on prend la planète comme un tout, cela s'est traduit par une forte hausse du revenu pour un grand nombre de travailleurs principalement situés dans des pays comme la Chine. Mes travaux montrent que entre 1988 et 2008 les revenus nets de cette "nouvelle classe moyenne mondiale", composée de centaines de millions de travailleurs, ont fortement progressé, de près de 80% en termes réels. Idem pour une super élite, le fameux “top 1%”, les 1% les plus riches de la planète, qu'on trouve dans les pays émergents comme dans les pays de l'OCDE. En revanche, deux autres types de population ont souffert. Il y a évidemment les laissés-pour-compte de la mondialisation, les très pauvres dans les pays très pauvres. Mais, ce qui est inattendu, c'est que les perdants sont aussi les populations qui disposaient d'un revenu qui les plaçait auparavant entre les très riches et cette nouvelle classe moyenne mondiale, c'est‑à-dire la population des classes moyennes et populaires des pays de l'OCDE. » Comment ne pas voir dans cette paupérisation des classes populaires et moyennes des pays occidentaux l'origine des tensions dans les démocraties occidentales, comme le montre le vote pro-Brexit ? Ou encore la montée du populisme. Aux États-Unis, où les travailleurs qui ont vu leur part de revenu passer de 32% en 1979 à 21% aujourd'hui, ont massivement voté pour Donald Trump aux primaires du Parti républicain.

La probable présence de Marine Le Pen au second tour de mai 2017 en France montre aussi combien les fractures françaises sont elles aussi profondes. Cette France périphérique, où se concentre 60% de la population selon Christophe Guilluy (3), est bien celle qui se trouve loin des centres urbains pleinement intégrés et gagnants de la mondialisation. Pour Milanovic´ encore : « L'alliance de fait entre les "gagnants" – les élites des pays riches et les classes moyennes des pays émergents – les place en situation de rupture avec les classes populaires au sein de leur propre pays. Si vous y ajoutez l'accumulation d'un patrimoine gigantesque pour le top 1 %, et ses stratégies de séparatisme social, cette divergence d'intérêts vis‑à-vis de l'ouverture économique, l'autre nom de la mondialisation, est à mon sens un grand danger pour les démocraties. Il peut se résumer au concept des deux P : populisme et ploutocratie. »

1. Noah Smith, dans Bloomberg.com/du 26 juillet 2016.

2. Global Inequality : A New Approach for the Age of Globalization, Harvard University Press, 2016.

3. La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014.

Extrait de "Bienvenue dans le pire des mondes - Le triomphe du soft totalitarisme", de Natacha Polony et le comité Cornwell, publié aux éditions Plon, novembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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