La guerre de l’anthropocène : quand les scientifiques se déchirent sur l’impact de l’homme sur la géologie de la planète<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Les scientifiques se déchirent sur l’impact de l’homme sur la géologie de la planète.
Les scientifiques se déchirent sur l’impact de l’homme sur la géologie de la planète.
©autourduciel.blog.

Tant qu'il y a de la vie...

La notion "anthropocène" désigne l'entrée de notre planète dans une nouvelle ère, celle de la domination humaine. Mais elle fait largement débat au sein de la communauté scientifique, et tout particulièrement sur une question : dater précisément l'apparition de ce phénomène.

Patrick De Wever

Patrick De Wever

Patrick De Wever est géologue et professeur au Muséum national d’histoire naturelle (Paris).

Voir la bio »

Atlantico : Depuis quelques années un débat agite la communauté scientifique : celui de déterminer à partir de quelle époque l'homme est devenu à tel point maître de la planète qu'il en a modifié l'existence. Ce qu'on appelle le début de l'ère de l'anthropocène. Mais d'abord qu'est-ce que le concept d'anthropocène ? Sa réalité fait-elle l'unanimité ?

Patrick De Wever : L’anthropocène est une notion qui a été reprise et popularisée par Paul Crutzen, le prix Nobel de chimie 1995, et qui désigne l’empreinte de l’homme sur la planète, et non sa maîtrise. Cela signifie que l’activité humaine marque la totalité de la planète. L’ambigüité commence avec le mot même d’anthropocène, car il est construit sur le modèle d’une ère géologique, comme existe le miocène, l’oligocène etc. Cela porte à confusion, car il est vrai que l’anthropocène peut être une nouvelle ère, pendant laquelle l’homme marque la planète, mais elle n’est surtout pas une "ère géologique" car ce ne sont ni les mêmes critères ni la même temporalité. En effet, l’ère géologique la plus courte a durée 65 millions d’années.

L’existence de l’anthropocène n’est pas remise en cause, ce qui est remis en cause est le fait de dire qu’il s’agit d’une ère géologique. Pour moi, je m’engage mais je suis loin d’être isolé, dire qu’il s’agit d’une ère géologique apporte de la confusion dans le débat, car il ne s’agit pas des mêmes critères, mais surtout pas les mêmes "pas" de temps.

>> A lire également : Anthropocène : la Terre est entrée dans une nouvelle ère depuis le 16 juillet 1945

Au sein de la communauté scientifique aujourd'hui quelles sont les principales hypothèses qui s'affrontent concernant la datation du début de l'anthropocène ?

Le début de l’empreinte de l’homme sur la terre fait débat. Les limites ne sont pas figées, c’est la même chose que pour la Renaissance qui pour certains dure 60 ans et pour d’autres 4 siècles. Les uns diront que la Renaissance commence avec Christophe Colomb, les autres avec l’imprimerie etc. Pour ce qui est de l’empreinte de l’homme sur la planète, on retient généralement la même date que pour l’industrialisation, c’est-à-dire la mise au point par James Watt de la machine à vapeur, qui a permis cette industrialisation. Mais attention, je n’ai pas dit que James Watt l’a créée ou inventée, il a juste amélioré une bricole dans le procédé mais a déposé tous les brevets en rapport avec cela, ce qui n’avait pas été fait auparavant, ce qui lui a permis de faire fortune. Cette machine puissante permettait de pomper l’eau dans les mines de charbon, ce qu’on ne pouvait pas vraiment faire avant. Grâce à cela, on a pu extraire beaucoup plus de charbon et utiliser beaucoup plus de machines à vapeur, pour fabriquer d’autres choses comme des locomotives ou des locomobiles. Beaucoup de scientifiques, par convention, prennent donc la date de dépôt du brevet de James Watt, 1769, comme début de l’anthropocène.

D’autres scientifiques disent que ce qui a marqué la planète, par la globalité de la retombée sur la planète, sont les expérimentations nucléaires au début des années 60. Les essais de bombe atomique à l’air ayant été réalisés après la guerre, à cette période-là.

Pour certains autres scientifiques, l’homme a commencé à marquer la terre quand il a commencé à bruler le bois pour faire fondre le métal comme le cuivre ou le fer. Cela révèle donc plutôt du domaine des archéologues. Il est vrai qu’on en trouve des traces, avec l’augmentation de Co2 dans les sédiments au néolithique.

Ces hypothèses font donc toujours appel à l’empreinte de l’homme sur la planète, et non sa maîtrise sur celle-ci. Il y a d’autres qui ont été proposées mais celles-ci sont les principales. Disons que chaque scientifique mettra son domaine de spécialité en avant, en affirmant que le début de l’anthropocène a un lien avec ce qu’il étudie.

L'anthropocène est donc parfois présentée comme une ère géologique qui succèderait à une autre, en l'occurrence l'holocène. Quels sont les critères qui définissent le passage d'une ère à une autre ?

Généralement, en tout cas pour les évolutions récentes, il s’agit des grandes crises du monde biologique. Mais celles-ci ne se passent pas sur un coup de sifflet, même la fameuse crise Crétacé-Tertiaire s’est déroulée sur des centaines de milliers, voire des millions d’années. Certes, une météorite s’est écrasée sur la terre à ce moment-là, cela peut ressembler à un coup de sifflet mais c’est totalement artificiel car même chez les dinosaures, qui illustrent le mieux cette crise, 50% des espèces avaient disparu dix millions d’années avant. Il y avait donc une tendance à la disparition des dinosaures non-aviens.

Un mot a un sens, mais il ne faut pas, parce qu’il ressemble, le confondre avec autre chose. Il y a deux ans environ, beaucoup de journaux avaient parlé du Congrès mondial de géologie à Brisbane (Australie) en affirmant que les géologues avaient discuté de l’acceptation ou non de cet anthropocène. Des journalistes m’ont posé la question à ce sujet, cela m’était passé au-dessus de la tête. Je me suis donc renseigné auprès d’une commission scientifique internationale, à l’université de Californie, pour savoir ce qu’il en était, et ils m’ont répondu qu’aucune décision n’avait été prise car cette discussion n’était pas à l’ordre du jour. Or plein de journaux en parlaient. D’ailleurs lors de ce congrès géologique, seules deux communications avaient été faites sur le sujet de l’anthropocène par des Britanniques. D’ailleurs sur ce point, il faut rappeler que cette notion a été acceptée par la Société géologique de Londres, qui s’appelle tout simplement la "Geological Society", nos amis d’outre-Manche ayant gardé leur goût caractéristique pour l’empire. Les journalistes se sont donc dit qu’il s’agissait de la Société géologique mondiale. Mais au congrès cela n’a pas été débattu, le président m’a d’ailleurs dit qu’il n’y avait pas les critères pour bien que certains voulussent en parler, car le concept n’a rien à voir avec la géologie. La pression des médias pourrait tout de même jouer pour imposer le sujet.

L'anthropocène se caractériserait par d'importants changements sur la planète induits par l'être humain. Aujourd'hui quelle vision a-t-on de ces changements ? Ne devrait-on pas encore attendre très longtemps pour juger de l’empreinte de l’homme ?

Voilà une opinion très raisonnable, c’est exactement ça. Vouloir décider aujourd’hui que l’empreinte est là et qu’elle restera, n’est pas possible. Mais peut-on prédire ce qu’il se passera dans quelques centaines d’années ? Personne ne peut le dire. A l’heure actuelle on ne peut donner une échelle de temps. Si on voulait faire rentrer cela dans le cadre de la géologie, il faudrait alors attendre quelques millions d’années.

Il y a certes des manifestations qui sont visibles et globales, comme le réchauffement climatique. Que l’homme y ait son importance, c’est plus que probable, bien qu’on ait tendance à ne parler que du Co2, or par exemple l’eau est l’une des premières sources de gaz à effet de serre. D’ailleurs selon un rapport du GIEC, l’eau est responsable de plus de 70% des émissions de gaz à effet de serre. Or, dans les simulations climatiques, on ne la prend pas en compte parce qu’on ne sait pas ce qu’elle devient, elle peut donner des cumulonimbus qui ont tendance à refroidir la terre, mais aussi des cirrus qui produisent un fort effet de serre. Or on ne peut pas comptabiliser cela actuellement, donc on ne le fait pas, malgré l’importance. Une autre manifestation : la pollution de l’homme sur la totalité du globe, cela se voit et se mesure. Il y en a d’autres : l’homme par ses travaux déplace plus de terre et de sédiments, c’est nouveau et global.

Au-delà de l'intérêt que peut susciter ce débat sur la naissance de l'anthropocène, quelle importance le sujet revêt-il pour la science ?

Oui, si on s’intéresse à l’environnement, on est obligé de prendre en compte la notion d’anthropocène, elle a donc un intérêt scientifique. Mais ce n’est pas pour ça qu’il faut généraliser et ne pas dire qu’il s’agit d’une ère géologique car c’est une erreur.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !