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Jean-Luc Mélenchon lors d'une conférence de presse axée sur l'alliance de gauche "Union Populaire", à la Maison de la Chimie à Paris, le 21 avril 2022
Jean-Luc Mélenchon lors d'une conférence de presse axée sur l'alliance de gauche "Union Populaire", à la Maison de la Chimie à Paris, le 21 avril 2022
©BERTRAND GUAY / AFP

Diable et courtes fourchettes

En signant avec la France insoumise, les socialistes basculent dans le relativisme moral tant le mouvement de Jean-Luc Mélenchon s’écarte du champ républicain. Fermer les yeux sur les différences idéologiques a toujours relevé de l’habileté politique. Encore faut-il être habile… mais les « leaders » du PS ou d’EELV le sont-ils ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : « À force de dire que nous sommes un parti de gouvernement, nous avons pu oublier nos propres racines. Mais Mitterrand, c’était la radicalité, et pourtant nous l’avons fait » a déclaré Olivier Faure pour justifier l'accord du Parti socialiste avec LFI. Si Mitterrand s'est effectivement allié avec les communistes, la comparaison faite par le premier secrétaire du PS a-t-elle vraiment du sens ? Les leaders d'Europe Ecologie Les Verts et du PS, comme Julien Bayou et Olivier Faure, ont-ils la même habileté politique que ce qu'avait pu démontrer Mitterrand à l'époque ? 

Christophe Bouillaud : Vu les rapports de force électoraux issus du premier tour et du second tour de la présidentielle, vu les contraintes d’un mode de scrutin pour les législatives qui interdit de se maintenir au second tour à moins de 12,5% des inscrits, soit en tenant compte de l’abstention un score au premier tour d’au moins 20/25%, et vu la demande exprimée dans les sondages et dans le vote Mélenchon par la majorité des électeurs se situant à gauche d’une « union de la gauche », il aurait vraiment été stupide de ne pas saisir la main tendue par Jean-Luc Mélenchon. C’est la seule façon de sauver pour le PS, ou d’acquérir pour EELV et ses alliés, des députés en nombre suffisant pour exister sur le plan parlementaire. Donc on peut dire que, par leur capacité à tenir compte des rapports de force, les deux leaderships concernés se sont montré très mitterrandiens – ou simplement stratèges. 

Par ailleurs, les opposants à cet accord le  présentent comme une trahison des valeurs réformistes de la gauche de gouvernement. Or, en réalité, Mélénchon, bon prince, en invitant ces deux partis, en particulier le PS, à se joindre à lui leur donne en réalité un nouveau label de radicalité dont ils ont bien besoin auprès de l’électorat, les purifie de leurs reniements. 

En effet, le problème du PS en particulier, qui explique son vertigineux déclin électoral jusqu’aux 1,75% d’Anne Hidalgo, c’est qu’il est associé dans l’esprit de la majorité du « peuple de gauche » au quinquennat de François Hollande. Or ce dernier a été vécu comme une trahison de  tous les idéaux sociaux de la gauche, de ce qui faisait toute sa raison d’être. La loi El-Khomry de 2016, dite aussi « loi travail,  constitue le symbole de cette prise à revers des valeurs historiques de la gauche syndicale, socialiste, communiste liées aux revendications du monde du travail salarié  par les dirigeant socialistes d’avant 2017. C’est notre « loi Hartz IV », avec les mêmes effets repoussoir sur l’électorat socialiste traditionnel. Ce n’est pas un hasard si l’actuelle direction socialiste, celle d’Olivier Faure, a accepté d’inscrire la perspective de son abrogation dans l’accord avec la FI. Et ce n’est pas un hasard non plus si François Hollande et la plupart de ses anciens ministres sont très hostiles à ce qui revient en réalité à officialiser que le problème du PS, c’est eux et leurs choix anti-sociaux. 

En se ralliant à Mélenchon, les actuels dirigeants du PS et d’EELV démontrent donc à leurs électorats respectifs qu’ils entendent aller jusqu’au bout de leurs propres propositions. Pas celles de FI, mais je dis bien les leurs qui, à les lire, sont clairement en rupture avec le quinquennat Hollande. C’est là aussi assez mitterrandien : en s’alliant avec le PCF au cours des années 1970, Mitterrand, pourtant venu du centre-gauche où il se situe dans les années 1950, entend bien gauchir son image, ce qui lui permet d’être crédible auprès des classes populaires sans trop effrayer les classes moyennes.

Enfin, il ne faut pas oublier que le PS et dans une bien moindre mesure EELV sont présents dans les municipalités, départements, régions, et donc au Sénat, et que FI est presque inexistant au niveau des élus territoriaux. Le rapport de force entre les signataires de la « Nouvelle Union populaire écologique et sociale » est en réalité bien plus équilibré qu’il n’y parait en ne regardant que les rapports de force électoraux nationaux de cette année.

En signant avec la France insoumise, les socialistes basculent dans le relativisme moral au vu des écarts que le mouvement de Jean-Luc Mélenchon fait avec le champ républicain. Vont-ils avoir suffisamment d'habileté politique pour ne pas se laisser enfermer dans ce piège et ne pas se compromettre ? 

Les écarts que vous voyez de Mélenchon avec le champ républicain me paraissent une façon erronée de présenter les choses. Je me permets de reformuler les choses : sur le plan intérieur, Mélenchon, qui n’a pas hésité à dire dans un moment de colère que « la République, c’est lui », défend une lecture ouverte de la laïcité, une lecture qui se considère assez forte dans son caractère assimilateur à terme pour inclure l’Islam comme toutes les autres religions dans ce qu’il appelle la « créolisation » de la société française. Cette lecture ouverte de la laïcité est vue par ceux qui se revendiquent comme les seuls vrais gardiens de la laïcité, en particulier les membres du Printemps républicain, le centre macroniste qui a voté la « Loi séparatisme », la droite, l’extrême-droite et une bonne partie du PS, comme le cheval de Troie, de l’islamisme au mieux, ou du terrorisme islamique au pire. 

Du coup, effectivement, pour EELV et le PS d’Olivier Faure, accepter de faire alliance avec un parti qui ne pense pas que  les musulmans, sauf les apostats revendiqués, sont en fait inassimilables à la République française constitue un choix fort. Cependant, il se trouve que l’électorat jeune, urbain et diplômé, et la majorité des jeunes générations, ne se situe pas sur cette ligne de la « Kulturkampf » avec l’Islam. Ils craignent plus les bas salaires, la précarité, ou le réchauffement climatique, que de voir un « burkini » dans une piscine municipale ou une femme voilée lors d’une sortie scolaire.   Les dirigeants EELV et PS en tiennent compte. 

Par ailleurs, rien n’empêche ensuite, une fois les élections législatives passées, les dirigeants PS et EELV de se distinguer de FI sur ce point de la laïcité. 

Comment le PS et EELV doivent-ils politiquement jouer pour que l'accord, qui part d'une large prédominance de LFI, puisse leur être bénéfique ? 

Tout d’abord, il faut essayer d’avoir le maximum d’élus en juin prochain, donc jouer le jeu pleinement de cette alliance en incitant les électeurs de gauche à se rendre aux urnes. 

Première option, à la surprise générale, la NUPES réussit à être majoritaire. Dans ce cas, il est extrêmement peu probable que FI dispose à elle seule d’une majorité de députés pour gouverner seule. Du coup, les trois alliés devront absolument négocier s’ils veulent former un gouvernement, voter les lois, etc. Cela laissera une immense marge de manœuvre aux deux alliés minoritaires pour faire entendre leur voix. Comme le PS et EELV disposent de plus d’enracinement dans le pays, ils pourront aussi mieux sentir ce qui s’y passe que FI, et sans doute ne seront-ils pas en réalité des partenaires mineurs de cette « union de la gauche 2.0 ». 

Deuxième option, une défaite honorable de la NUPES. Dans ce cas, chacun aura ses députés, son groupe, et pourra ensuite dans l’arène parlementaire faire preuve de ses qualités. Que le meilleur gagne ! En effet, pour revenir sur le devant de la vie politique nationale pour le PS, ou pour s’y imposer enfin pour EELV, il faut absolument que ces partis se dotent d’un vrai leader. La réussite de FI, c’est d’abord celle de Mélenchon, qui a su exister pendant 5 ans comme leader d’un petit groupe d’opposition, 17 élus seulement, au Parlement. Il ne reste plus aux deux autres partis à se trouver leur leader dans ce cadre. Je soupçonne que Sandrine Rousseau, croit être ce leader attendu. Il y en aura peut-être plusieurs autres. 

Autrement dit, vu la dépendance du succès d’un parti dans les années 2020 à la personnalité de leur leader, rien n’est donc perdu pour le PS ou EELV, et rien n’est définitif pour FI. 

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