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La France vue par l'Etat islamique
©Capture écran/Daily Mail

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Dans la logique salafiste, les pays du monde se classent en différentes catégories : d'abord les pays des apostats, comme l'Iran chiite, ceux composés de mécréants, où se trouve la France, et les terres régies par la charia islamique.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Comment l’Etat islamique voit-il la France ? Quelle vision cherche-t-il à en donner à ses affiliés ?

Alain Rodier : La France a le privilège d'être l'ennemi "numéro deux" de Daesh, voire désormais de "numéro un". En effet, pour l'idéologie salafiste-djihadiste qui est basée sur un retour aux valeurs initiales de l'islam vues à travers le Coran, les Hadiths et le récit de la vie de Mahomet, la France est un pays de "Dar al-harb" ou "Dar al-kufr" qui veut dire "demeure de la mécréance" ou "de la guerre" par opposition au "Dar al-islam", la "demeure de l'islam" qui est régie par la loi islamique, la charia. En plus, la France a un côté inacceptable pour Daesh : la grande majorité de sa population de religion musulmane se sent française. Cela constitue un affront inacceptable. D'où le piège qui est aujourd'hui tendu : diviser la société française en montant les communautés les unes contre les autres.

Pourquoi cultive-t-il une vision si biaisée ? La rhétorique de leur triste communiqué du 14 novembre par exemple, oscillait entre une caricature de discours moral (la France, présentée comme un pays "d’abomination, de perversion" ou encore "d’idôlatrie") et un goût outrancier pour la provocation (les rues "malodorantes" de Paris, le Président qualifié "d’imbécile") ?

Sur le plan moral, les choses sont simples pour les salafistes-djihadistes: tous les ressortissants de pays de "Dar al-harb" sont des mécréants. Il y a une distinction dans la détestation entre les "dhimmi" qui appartiennent à la religion du Livre (le Coran) dont font partie les juifs et les chrétiens, et les autres. Une mention particulière est faite pour les chiites qui sont considérés comme des "apostats", donc des traîtres à l'islam. Si les premiers méritent de vivre dans la mesure où ils se convertissent ou, au moins, payent une taxe, la "jizya", les deuxièmes doivent être exterminés.

A noter qu'en dehors du berceau syro-irakien, les salafistes-djihadistes de Daesh considèrent que toutes les terres musulmanes doivent être reconquises pour y établir leur vision particulière de l'islam, les dirigeants actuels de ces pays -en particulier la famille royale saoudienne- étant aussi considérés comme des traîtres et des vendus coupables d'apostasie.

Les termes employés répondent aux vrais sentiments que les salafistes-djihadistes qui n'ont jamais mis les pieds en France éprouvent à notre égard. A savoir que l'Occident en général et la France en particulier sont des civilisations "amorales" et en voie de perdition (l'effondrement de l'Empire romain leur sert parfois d'exemple). Pour les citoyens français ou européens partis mener le djihad, c'est bien différent. Au fond, leur foi en l'islam est secondaire (souvent, ils n'en connaissent pas grand-chose), seule leur révolte nihiliste leur importe. Les manipulateurs savent parfaitement utiliser cet état de faits (comme l'attrait des jeunes occidentaux vers les spectacles hollywoodiens).

L’EI partage-il la même vision qu’Al Qaeda ? On remarque par exemple une forte inflexion dans les méthodes de l’EI: aux longs prêches de Ben Laden ont succédé des clips quasi cinématographiques. Sur quelles caractéristiques particulières de la France insistent ces différentes postures ?

La doctrine -le salafisme-djihadisme- est rigoureusement la même. Le but des deux mouvements (Daesh n'est qu'une excroissance d'Al-Qaida "canal historique" qui a rompu avec al-Zawahiri pour une question d'ego de son chef, al-Baghdadi) est l'établissement du califat mondial. Même les tactiques sont proches. Elles font référence aux mêmes textes dont l'un des plus connus est "l'appel à la résistance islamique mondiale" d'Abou Moussab al-Souri dont on n'a plus de nouvelles depuis qu'il a été libéré des geôles syriennes en 2011.

Toutefois, Al-Qaida "canal historique" est plus sélectif dans ses cibles. On a pu le constater lors des attentats de janvier à Paris perpétrés sur ordre de sa filiale yéménite, Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA), le "Service Action" extérieur de la nébuleuse initiée par Oussama Ben Laden. Les activistes ont visé les journalistes qui avaient représenté le prophète, des policiers et des juifs. Le 13 novembre, Daesh a tiré sans distinction sur tout ce qui bougeait sans distinction de sexe, de race et de religion. Cela dit, Al-Qaida n'avait pas fait de détail le 11 septembre 2001. Si un musulman est tué, il est accepté comme une perte collatérale. Dans l'esprit de certains activistes, si la victime est un "bon" musulman, il va directement au paradis, si c'est un "mauvais" musulman, il n'a eu que ce qu'il méritait.

Dans leur détestation générale et manichéenne du monde, font-ils un classement du pire ? Le Maghreb a-t-il la même place par exemple que l’Europe ? Et l’Europe, des États-Unis ?

Le Maghreb est musulman et ses dirigeants sont donc des "apostats". Il convient donc, pour Daesh et Al-Qaida "canal historique", de les chasser. Les États-Unis sont "le grand Satan" que rêvent de frapper les deux mouvements, mais Al-Qaida "canal historique" en fait une cause encore plus personnelle. En effet, Al-Zawahiri ne rêve que de reproduire un 11 septembre. Aucune de ces organisations ne se sont encore attaqué directement à l'Amérique latine, pourtant très majoritairement chrétienne...

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