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François Hollande ne voit pas l'intérêt de le faire avant 2017 mais, oui ou non la France peut-elle s'en sortir sans modifier les traités européens ?
©Reuters

Telle est la question

Lors du sommet franco-britannique organisé vendredi, David Cameron a maintenu sa position, appelant à une révision des traités de l'UE d'ici 2017. La France "souhaite que la zone euro puisse être davantage coordonnée, intégrée et s'il y a des modifications de textes, elles ne nous paraissent pas aujourd'hui de l'ordre de l'urgence", a déclaré François Hollande.

Atlantico : Dans les conditions actuelles, en respectant les traités, la France peut-elle sortir de la crise ? Peut-elle s'en sortir sans une relance européenne et un deal franco-allemand ?

Nicolas Goetzmann : La zone euro ne peut que survivre avec les traités actuels, elle ne peut pas vivre ou espérer. La demande de révision des traités est pourtant une aubaine pour François Hollande, il s’agirait pour lui de prendre la balle au bond et d’imposer de réelles réformes de fond. Mais cela suscite d’aller dans le dur, et cela se prépare. Pour cela, il va falloir convaincre l’Allemagne, comme vous le mentionnez, mais le terrain est peut-être favorable. Les récents évènements dans les pays émergents ne sont pas bons pour le modèle actuel de la zone euro, car ce modèle repose sur la demande extérieure. De plus, les statistiques publiées cette semaine, sur la baisse du crédit, la baisse de l’inflation, sont autant de menaces supplémentaires pour l’économie européenne. Pour être clair, ça clignote au rouge de tous les côtés depuis quelques jours et si la BCE ne réagit pas jeudi prochain, la situation peut déraper très vite. Le contexte est tel que l’Allemagne pourrait être prête à négocier. François Hollande dispose d’une « chance » historique, maintenant, de renverser la tournure désastreuse de son quinquennat. Imposer la relance monétaire, avec fermeté.

Alain Fabre :  Si vous faites référence aux derniers traités, non seulement au traité de stabilité budgétaire, c'est grâce aux traités que la France peut sortir de la crise. La crise qu'elle connaît aujourd'hui est une crise de compétitivité mais aussi d'une incapacité à maitriser ses dépenses publiques, ses déficits. S'imposer une contrainte internationale pour atteindre son objectif est certainement pour la France le meilleur levier pour cela. Les traités lui apportent un soutien important pour fluidifier et consolider sa politique économique.

En refusant de modifier les traités européens, François Hollande se tire-t-il une balle dans le pied ?

Nicolas Goetzmann : Il faut être sérieux, les propositions faites par François Hollande au début de cette année ne sont pas une réponse aux problèmes de la France ou de la zone euro. Il faut tout de même se rendre compte que les Etats-Unis ont injecté plus de 3000 milliards dans leur économie pour obtenir des résultats satisfaisants. A l’échelle de la France, cela représenterait  plus de 400 milliards d’euros. Alors que la baisse de charges envisagée par le président est de 10 milliards et les baisses de dépenses publiques prévues vont de toute façon neutraliser ces efforts. Il est donc grotesque d’envisager un véritable effet de ces mesures, eu égard au contexte actuel. Les montants sont dérisoires et la méthode de l’offre ne répond pas à une crise de la demande.

La zone euro marche sur la tête depuis 6 ans, et l’euro est devenu l’outil de sa propre destruction. C’est-à-dire que la défiance actuelle des peuples européens, en raison du chômage, de la précarité, ne sont que le résultat d’une gestion désastreuse de la monnaie européenne. L’euro est son propre ennemi. Il suffirait de réadapter la façon dont on gère cette monnaie pour permettre de faire baisser le chômage suffisamment rapidement pour redonner du souffle au projet européen. Plus on attend, plus le risque de voir l’ensemble se replier sur lui-même est important.

Alain Fabre :Les Anglais cherchent à renégocier certains traités en faisant pression sur les Européens pour attirer l'Europe vers une économie de libre-échange plutôt que vers une zone intégrée. Je pense qu'il ne faut pas rentrer dans le jeu des Anglais.

Il y a de toute façon deux Europe, complémentaires. Il faut s'en réjouir. Il y a la zone euro qui se construit sur un projet politique et sur des institutions fédérales. Les Anglais sont en dehors car ils ne rentreront jamais dans l'euro. Cela nous permet de faire une Europe politique que les Anglais ne veulent surtout pas voir émerger. Depuis le XVIIIe siècle, les Anglais ne veulent pas voir d'hégémonie européenne. Dès que l'Europe s'unifie, dès qu'un pays prend l'ascendant sur les autres pour structurer l'Europe, les Anglais se mettent en travers car ils estiment que cela amoindrirait leur capacité d'influence.

Si des modifications doivent être faites, quelles sont les priorités ? Faut-il, par exemple, changer le mandat de la Banque centrale européenne pour mettre la politique de l'emploi au même rang des priorités que la stabilité des prix ?

Nicolas Goetzmann : C’est exactement ça. Voici concrètement la situation :

Les traités européens prévoient ceci : l’article 127, paragraphe 1, du traité définit l’objectif principal de l’Eurosystème : « L’objectif principal du Système européen de banques centrales [...] est de maintenir la stabilité des prix ». Sur le site de la BCE, et si vous n’avez pas encore compris, voici ce que vous pouvez lire : « Par conséquent, la stabilité des prix constitue non seulement l’objectif principal de la politique monétaire conduite par la BCE mais aussi un objectif de l’Union européenne dans son ensemble. Ainsi, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et le traité sur l’Union européenne fixent une hiérarchie claire entre les objectifs de l’Eurosystème, le maintien de la stabilité des prix constituant la contribution la plus importante que la politique monétaire puisse apporter à la réalisation d’un environnement économique favorable et d'un niveau d’emploi élevé. »

A l’inverse, voici le mandat de la Fed : « promouvoir effectivement les objectifs que sont l’emploi maximum, des prix stables, et des taux d’intérêts de long terme mesurés ».

La différence ? La BCE fait de l’inflation sa priorité absolue alors que la FED en fait un objectif équivalent à celui de l’emploi maximum. Le résultat ? 12% de chômage et 0,8% d’inflation en zone euro, et 6,7% de chômage et 1,5% d’inflation aux États-Unis.  Le mandat de la BCE est une honte, c’est un blanc-seing donné au chômage de masse.

Alain Fabre : Il est surtout important de bien faire fonctionner ce qui est à l'œuvre depuis le début de la crise de la zone euro, en particulier les institutions fédérales. La Banque centrale a fait sa mue en devenant un vrai prêteur de dernier ressort. Elle a un fonctionnement assez similaire aux autres banques centrales internationales et cela est plutôt bien. Il y a tout un tas d'éléments qui vont dans le bon sens.

Un autre élément pourrait être mis en avant par les Européens : il absolument réduire la concurrence par les normes. Il est important que la zone euro ait des taux d'impôts dont les écarts soient resserrés, notamment l'impôt sur les sociétés. Par exemple on a 12,5% d'impôt sur les sociétés en Irlande, 43% en France et entre les deux l'Italie, l'Allemagne… Dans un système fédéral comme aux États-Unis ou en Allemagne, les États ne se font pas concurrence entre eux. Il faut donc éviter que les États de la zone euro se fassent concurrence entre eux. La France doit donc accepter de converger avec les politiques de ses voisins en la matière.

Les règles budgétaires, 3% de déficit et 60% d'endettement public, sont-elles encore appropriées à la zone euro ?

Nicolas Goetzmann : Elles le sont si la BCE fait son travail, c’est-à-dire si elle relance et que la croissance additionnée de l’inflation atteint 5%. Parce que c’est sur cette base que ces règles ont été développées. 5% de croissance nominale permettent d’avoir un déficit de 3% sans impacter le niveau de dette qui se situe à 60% maximum. On refait le calcul : une économie vaut 100, elle a une croissance nominale de 5%, elle se retrouve donc à 105 en fin de l’année. Le déficit est de 3%, soit 3. Mon niveau de dette autorisé est de 60%, soit 60. Au total, et à la fin de l’année nous avons un PIB de 105, une dette existante de 60 + les 3  de déficits, soit 63. Et 63, c’est 60% de 105. Et voilà c’est magique, bravo les technocrates.

Le problème c’est que la croissance est à 0 depuis 6 ans, ce qui veut dire que la brillante formule tombe à l’eau. Mais ce n’est pas grave, il faut quand même appliquer le reste parce que c’est la règle. Et voilà comment nous nous retrouvons avec un chômage de masse, des impôts qui crèvent le plafond et une dette de 93% du PIB. C’est un cas qui devra être étudié, parce qu’il atteint des sommets.

Alain Fabre :  Elles ont déjà le mérite d'exister. Je pense que, même si toute règle de ce type-là a un côté arbitraire et artificiel, le fait qu'elles existent obligent les États à agir. L'Europe est malade d'un excès d'endettement public. Tout ce qui va dans le sens du désendettement va donc dans le bon sens. Il faut l'encourager. Il faut absolument que les États se désendettent pour que l'épargne se dirige plutôt vers le secteur productif que vers les besoins des États. C'est un facteur qui permettra à moyen terme de réactiver la croissance.  

D'un point de vue plus général, n'y a-t-il pas une forme de déconnexion entre le fonctionnement de l'Union européenne et les démocraties qui la composent ? 

Nicolas Goetzmann : Il y a une déconnexion entre les règles du traité et la réalité. Les Traités sont bâtis sur l’idée d’un monde de bisounours ou les crises n’existent pas. En tout état de cause, ils ont été imaginés en ne prenant pas en compte une seule seconde ce qui s’est passé en 1929. C’est-à-dire que les moyens de lutter contre les causes même de l’autodestruction européenne entre 1939-45 n’ont même pas été prévus lors de la rédaction des traités. Le vide. Alors soit on les révise pour donner à l’Europe les moyens de lutter soit l’Europe va continuer à se désagréger.

Bien évidemment la situation ne fait pas rêver les Européens. Le problème est aussi que les problèmes monétaires ne sont pas non plus des sujets grand public, et que la pression politique autour de la stabilité des prix est très vive. La génération des dirigeants aux commandes a été bercée par des problèmes d’inflation dans les années 1970, et ils y voient le mal absolu. Mais ils ont oublié la déflation, et c’est ce que nous vivons aujourd’hui.

Alain Fabre :  C'est un problème qu'il faut traiter. Le fait d'avoir une monnaie unique et une banque centrale indépendante a eu pour effet de mettre en évidence le besoin d'une politique budgétaire commune ou convergente. Comme les politiques économiques sont la base de la démocratie libérale – pas d'imposition sans représentation – il faudra mettre en œuvre des mécanismes de contrôle des dépenses au niveau fédéral. Il ne faut cependant pas se dire que pour l'instant, il n'y a rien à faire. L’Allemagne en est un bon exemple. Le Bundestag joue un grand rôle dans le suivi de la politique économique européenne. L’Assemblée nationale est de ce point de vue en retard. 

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