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La France où l’on s’installe pour le cadre de vie et celle où l’on déménage pour l’emploi
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Mobilité

La ville de Béziers a lancé le 10 juin une campagne de publicité dans le métro parisien pour tenter d'attirer les citadins, en mettant en avant le confort de vie dans une ville moyenne du sud de la France.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Cet argument avancé par la ville de Béziers peut-il vraiment porter ? Quelle est la part de ce déterminant "confort de vie" dans les causes de la mobilité résidentielle en France ?

Laurent Chalard : De plus en plus de territoires de Province organisent des campagnes de publicité dans le métro parisien dans l’optique d’attirer des populations franciliennes qui ne supportent plus les inconvénients de la vie dans une mégapole de plus de 10 millions d’habitants, c’est-à-dire la promiscuité, la pollution, les bouchons, ou encore l’insécurité. L’argument mis en avant est toujours le même, la sempiternelle « qualité de vie », qui serait forcément bien meilleure dans une ville moyenne que dans une grande métropole. Cependant, si certaines villes moyennes offrent réellement une qualité de vie appréciable, c’est loin d’être toujours le cas, car moindre taille ne signifie pas forcément moins de problèmes, Béziers en étant un exemple frappant. En effet, le parisien qui quitte l’Ile de France ne souhaite pas y retrouver les mêmes problèmes alors qu’il ne pourra plus bénéficier de ses avantages (commerces, équipements, qualité de l’enseignement, desserte en transports…). Or, dans de nombreuses villes moyennes, dont Béziers, les problèmes d’insécurité sont tout aussi importants qu’en banlieue parisienne et la pollution n’y est pas absente du fait d’une circulation automobile intense, alors que parallèlement l’offre en services laisse à désirer, ce qui sous-entend que la qualité de vie n’est pas au rendez-vous. 

Par ailleurs, il faut garder en tête que la part du déterminant « qualité de vie » est variable en fonction de l’âge des individus. Pour des jeunes entrant dans la vie active, il joue un rôle secondaire, l’emploi étant plus important que tout. C’est plutôt en vieillissant que ce déterminant devient primordial dans la mobilité résidentielle des français. C’est le cas, bien évidemment, pour les retraités. Lorsqu’ils choisissent de déménager au moment de quitter leur vie active, ils privilégient les territoires dont ils jugent le cadre de vie attractif : les littoraux (Atlantique, Méditerranée), les régions ensoleillés (moitié sud du pays) ou les régions aux beaux paysages (Bretagne ou Quercy par exemple). C’est aussi le cas, à un degré moindre, pour les actifs bien insérés sur le marché du travail, qui souhaitent parfois changer de lieu de résidence pour changer de vie, jugeant leur vie trop stressante là où ils habitent. Cependant, sauf exception, le déménagement ne peut se faire sans perspectives de trouver un emploi sur place, limitant donc grandement les destinations potentielles.

D'autres déterminants n'auraient-ils pas du être davantage mis en avant (bassin de l'emploi dynamique, présence de services publics, etc.) ? Est-ce que ce ne sont pas ces déterminants qui expliquent en premier lieu la mobilité résidentielle dans le pays ?

Effectivement, on aurait pu penser que d’autres déterminants auraient pu être mis en avant, mais encore faut-il que la ville concernée puisse s’enorgueillir de bonnes performances dans le domaine. Or, concernant la situation de l’emploi, si la commune de Béziers connaît une progression de son nombre d’emplois ces dernières années, elle est bien moindre que celle de la population active, d’où un taux de chômage considérable, qui touche 23,2 % de la population communale en 2015, en augmentation depuis 2010. Autant dire que cela risque de ne pas faire rêver l’éventuel candidat parisien au départ ! Concernant l’attractivité commerciale, le centre-ville de Béziers ne se démarque guère de la tendance générale au déclin qui se constate dans la plupart des villes moyennes hexagonales, avec de nombreuses devantures fermées. A nouveau, cela ne peut pas faire rêver ! Enfin, concernant les équipements publics, la commune n’offre pas un panel complet de formations universitaires, la présence d’un IUT n’étant pas satisfaisante pour l’éventuel migrant parisien, qui préfèrera s’installer à Montpellier s’il se fait du souci pour l’avenir de ses enfants.

La mobilité résidentielle des français, et encore plus des parisiens, ne repose effectivement pas uniquement sur la qualité de vie, mais avant tout sur l’emploi, tout du moins pour les actifs. Ces derniers se dirigent préférentiellement vers une agglomération où ils ont trouvé un emploi ou où ils ont de fortes chances d’en obtenir un. Ils vont donc privilégier les villes dynamiques dans ce domaine, que sont principalement les grandes métropoles, les performances des villes moyennes étant, en règle générale, bien moins bonnes, d’autant que leur manque de diversité économique rend compliqué pour le conjoint du migrant de trouver un emploi sur le nouveau lieu de résidence. Outre la question primordiale de l’emploi, la présence d’équipements et de services publics joue aussi un rôle non négligeable dans les choix résidentiels des ménages, dans un contexte de disparition des services publics dans de nombreux territoires. Dans la société actuelle, l’individu cherche à s’épanouir, ce qui passe par la proximité d’un certain nombre de services. S’ils sont absents du territoire, le migrant urbain, sauf choix personnel assumé de l’isolement, ne souhaitera pas venir y habiter, comme le montre le refus de nombreuses mutations dans des villes de taille intermédiaire de la part de cadres parisiens.

Le recul des activités agricoles et industrielles, et la vogue d'un travail à distance favorisé par la numérisation de nombreuses activités tertiaires, sont-ils à l'origine d'un mouvement d'exode urbain comme on pourrait le prévoir ?

Il est compliqué de répondre à cette question pour la simple raison que la réponse dépend largement de ce que l’on met derrière le terme « d’exode urbain ». Est-ce que cela s’applique au processus de périurbanisation, entendu comme les personnes qui quittent la partie dense des agglomérations urbaines pour habiter dans des communes rurales environnantes où ils peuvent accéder à la propriété dans des maisons individuelles ou est-ce que cela concerne les français qui quittent les aires urbaines pour habiter dans l’espace rural profond, éloigné de toute métropole ? Si l’on retient la première définition, il y a effectivement eu un exode urbain considérable dans notre pays depuis les années 1970, puisque de vastes couronnes périurbaines ont émergé autour des principales agglomérations françaises, mais, les populations qui y résident continuent de travailler, de faire leurs courses et d’effectuer leurs loisirs en ville. Ils restent donc des urbains. Par contre, si l’on retient la seconde définition, ce n’est pas le cas, les espaces ruraux profonds de France étant globalement peu attractifs, sauf pour les personnes âgées, ce qui ne fait que renforcer leur vieillissement. Concernant les jeunes actifs, il demeure un fort tropisme vers les grandes métropoles, qui concentrent les établissements d’enseignement supérieur et les créations d’emploi. Si l’on ne considère pas la périurbanisation comme un phénomène anti-urbain, il paraît donc erroné de parler « d’exode urbain » pour l’instant, en gardant en tête que cette question de définitions n’est pas définitivement tranchée au sein de la communauté scientifique !

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