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La France est-elle vraiment à l'abri d'un krach obligataire ?
La France est-elle vraiment à l'abri d'un krach obligataire ?
©Reuters

Impact dans : 3, 2, 1...

La perspective d’un blocage complet du marché des emprunts pour cause de hausse des taux d’intérêt, qui laisserait du jour au lendemain l’État français dans l'incapacité de se refinancer, n'est pas sans faire peur. A ce sujet, deux visions s'opposent.

Simone Wapler

Simone Wapler

Simone Wapler est rédactrice en Chef des Publications Agora (analyses et conseils financiers).

Elle est l'auteur de "Comment l'Etat va faire main basse sur votre argent: ... et ce que vous devez faire pour vous en sortir !", paru chez Ixelles Editions en mars 2013.

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : La France est-elle vraiment à l’abri d’un krach obligataire, c’est-à-dire un blocage complet du marché des emprunts pour cause de hausse des taux d’intérêts ? Quelles sont les conditions qui pourraient conduire la France à subir un effondrement du marché obligataire ?

Simone Wapler : L'abri de la France est très précaire. La complaisance des créanciers étrangers tient en partie au concours de laideur auquel se livrent actuellement les grandes monnaies : euro, yen, dollar, livre et même franc suisse. L'euro était jusque-là plutôt fort. La dette d'un grand pays libellée en euro ne rapporte pas grand chose mais au moins le risque de change était faible. Ce n'est plus le cas avec les grandes manœuvre de Mario Draghi. Aujourd'hui le dollar semble la moins pire des monnaies et un Treasury a 10 ans rapporte presque le double d'une OAT française (2,58% contre 1,43%).

Ceci dit, aujourd'hui, le marché de la dette française ne se bloquera pas du jour au lendemain. La France étant jugée "trop grosse pour faire faillite", de grandes manœuvres de la Banque centrale européenne sont prévisibles en cas de remontée des taux. Elles échoueront probablement mais elles reculeront l'heure du jugement dernier.

Nicolas Goetzmann : Depuis 2012 et la déclaration de Mario Draghi indiquant que tout serait mis en œuvre pour sauver l’euro, "whatever it takes" (quoi que ça coûte, ndlr),  le risque d’un vrai krash généralisé est tout à fait hors de propos. Parce que les mots du Président de la BCE signifiaient que la BCE agirait en dernier ressort, le signal donné aux marchés était de dire qu’il ne servait à rien de jouer à ce jeu sur les taux italiens ou espagnols, etc. Pourquoi ? Parce que la BCE dispose d’une capacité infinie de créer de la monnaie. Jouer contre elle revient à jouer contre un mur. C’est inutile et les marchés le savent. Le jeu a donc cessé et les taux des pays du sud ont commencé à baisser sensiblement à partir de ce moment-là. Pour la France, c’est encore plus évident. La zone euro et l’euro lui-même ne peuvent exister sans la France, aucune tension réelle ne peut apparaître, car les investisseurs savent que dans ce cas, ils croiseraient la route de la BCE et de son arme absolue.

Bien entendu, si la BCE ne donnait pas cette garantie, la situation pourrait être différente. Mais dans ce cas-là, c’est l’ensemble de la zone euro qui pourrait préparer ses valises.

Il ne faut pas non plus oublier que même si la dette a considérablement augmenté ces dernières années, les intérêts payés par le pays sont en baisse. Le résultat est que depuis plusieurs années, le poids des intérêts de la dette par rapport au total des recettes de l’Etat s’est considérablement réduit. Ce qui veut dire que pour le moment, le prix de la dette pour le pays correspond à moins de 5% des ressources annuelles de l’Etat.

Intérêts de la dette / recettes totales de l’état

La situation du marché obligataire est-elle différente qu’auparavant ? Quels sont les points communs et les différences avec la situation en 1994, année marquée par l’effondrement du marché obligataire ?

Simone Wapler : Les marchés obligataires de 1994 et de 2014 n'ont rien a voir du point de vue de la taille. Nous sommes aujourd'hui en face d'une bulle obligataire mondiale sans précédent historique tant pour l'endettement des ménages que pour la dette d'Etat. Les conséquences de l'effondrement d'un petit marché ou d'un énorme marché ne sont pas du tout les mêmes. Par ailleurs, les taux étant très bas, les obligations sont très sensibles, oui, ces petites bêtes le sont ! Si un taux passe de 1% a 1,5% les effets sont plus considérables que s'il passe de 5% a 5,5%. Dans le premier cas, la dette coûte 50% plus cher et dans le second 10%. La solvabilité du débiteur n'est pas la même.

Nicolas Goetzmann : En 1994, le crash obligataire américain faisait suite à une volonté de la Réserve Fédérale de ralentir le rythme de la reprise économique.  Comme cela est visible dans le graphique suivant, le chômage avait fortement baissé depuis la mi 1992 et il atteint le niveau de 6.5% au début 1994. La FED décide donc de ralentir la croissance économique pour éviter un dérapage du côté de l’inflation, les taux sont relevés et le marché obligataire en a payé le prix, assez sèchement. Le marché actions a également souffert, mais ce n’est pas le problème de la Fed. Comme cela est visible dans le même graphique, cela n’a pas empêché l’économie américaine de créer des emplois tout au long de l’année 1994 et d’atteindre un chômage de 5.5% au cours de cette année.

Chômage. Etats Unis 1990-1995


Donc pour le moment, la situation de 1994 n’a pas grand-chose à voir avec celle de la France de 2014. Le pays n’est pas en situation de se rapprocher du plein emploi, comme c’était le cas aux Etats-Unis à cette époque. Le scénario peut être écarté.

Le gouvernement évoque, pour rassurer quant à la situation économique, les taux bas auxquels la France emprunte aujourd’hui. Y a-t-il réellement matière à se réjouir et se sentir protégé ?

Simone Wapler : Il ne faut pas raisonner en taux mais en charge de la dette. Aujourd'hui avec une croissance nulle et un endettement égal au PIB, la charge de la dette prend 1% de PIB si le coût moyen de l'emprunt est de 1%, 2% si le coût moyen de l'emprunt est de 2%, etc. Il n'y a plus de croissance possible puisqu'en nous endettant nous avons consommé la croissance du futur.

Ce raisonnement est une fuite en avant irresponsable et c'est le même que celui des grandes banques : nous sommes trop gros pour faire faillite et donc nous pouvons nous permettre de faire n'importe quoi. 

Nicolas Goetzmann : Des taux bas sont peut-être rassurants dans l’idée, mais c’est une mauvaise nouvelle. Si on veut schématiser grossièrement, les taux permettent de donner une indication des anticipations de croissance et d’inflation pour un pays, auxquelles se rajoute une prime de risque. Ainsi des taux bas sont le signe que le marché anticipe une croissance et une inflation basse, c’est donc bien une mauvaise nouvelle.

L’idée de taux bas est frauduleuse car on ne donne pas un élément de comparaison valable. Bas mais par rapport à quoi ? Parce qu’ici le 0 ne veut rien dire. Il faut comparer les taux par rapport à la croissance et à l’inflation pour se donner une idée de ce qui se passe réellement. Le Japon a affiché des taux à 0 pendant de nombreuses années, mais avec la déflation, la dette est arrivée à un niveau de 240% sur PIB.

Le seul élément qui peut être considéré comme rassurant est la prime de risque. Tant que cette prime est basse, tout va bien.

Quels sont les indicateurs valables qui permettent de voir quels sont les risques qui pèsent sur la dette française ? 

Nicolas Goetzmann : La prime de risque justement, c’est-à-dire le CDS (Credit default swap). Ce qui correspond à une sorte de prime d’assurance pour ceux qui souhaitent détenir de la dette de tel ou tel pays, et qui sont prêts à payer cette prime pour se garantir contre un éventuel défaut du pays concerné. Plus le risque est important, plus la prime est élevée.  Ainsi, au lieu de regarder le taux d’intérêt payé par un pays, il vaut mieux regarder le niveau de risque qui est affiché à travers le CDS. Et pour la France, le CDS est très bas, 40 points de base, soit deux fois moins que l’Italie, 12 fois moins que la Grèce mais deux fois plus que l’Allemagne ou que les Etats Unis. Et la tendance est très clairement à la baisse, notamment sur cette dernière année. Pour le moment, il ne sert à rien de jouer à se faire peur.

Et si les taux remontent dans les mois à venir, et que cette prime se stabilise, cela sera une bonne nouvelle. Cela indiquerait que croissance et inflation sont de retour. Voilà pourquoi les taux américains sont plus élevés que ceux de la France aujourd’hui. Cela n’a rien à voir avec la qualité du crédit, cela a à voir avec la dynamique économique.

Simone Wapler : Nous empruntons depuis longtemps pour rembourser la vieille dette, opération de cavalerie que l'on nomme élégamment "rouler la dette".

Nous empruntons pour dépenser le déficit courant puisque l'Etat persiste à vouloir dépenser plus que ses recettes fiscales. C'est un crédit revolving. Nous profitons des taux bas. 

Tant que le versement des intérêts ne paraîtra pas compromis la "Finance Sans Visage mais aux Longues Dents" ne bronchera pas. Mais il va venir un jour ou nous allons devoir emprunter pour rembourser les intérêts de la dette. Ce jour peut arriver très vite si les taux passent à 4%. Evidemment le rôle de la Banque centrale européenne sera d'essayer de casser le thermomètre. 

Il faut cependant réaliser une chose : le monde entier ne peut pas devenir japonais...

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