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Les élections législatives ne risquent-elles pas d’instaurer un climat toxique profondément mortifère ?
Les élections législatives ne risquent-elles pas d’instaurer un climat toxique profondément mortifère ?
©SAMEER AL-DOUMY / AFP

Electeurs désabusés ?

L'incertitude demeure sur les accords au niveau des appareils dans le cadre des élections législatives. Bien des candidats ne seront pas nécessairement uniquement les candidats de ce que leur étiquette indique… La démocratie peut-elle sortir grandie de ces multiples arrangements ?

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politiologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : Il n’y aura vraisemblablement pas de véritables accords formalisés au niveau des appareils (hormis au sein de la galaxie LREM, Horizons, Agir) dans le cadre des élections législatives. Va-t-on assister à des négociations au cas par cas entre LR et LREM, entre d’autres partis de la droite, parfois entre Reconquête et le RN ? Que penser des principaux échos de la course aux législatives et des premières négociations ou accords en sous-main ? Qu’est-ce que cela nous dit sur le climat politique actuel au sein des partis politiques ?

Xavier Dupuy : On observe, depuis le premier tour de l’élection présidentielle, des appels du pied de la majorité présidentielle envers les LR et quelques socialistes. L’appareil LR a clairement rejeté ces appels du pied, même si certaines personnalités LR ou issues des LR ont laissé entendre qu’elles étaient prêtes à participer à la prochaine majorité présidentielle. Pour l’instant, au regard des informations que l’on peut collecter, cela devrait concerner une minorité d’élus LR qui devraient répondre à ces sirènes. Il y a deux catégories d’élus LR : les députés sortants et les candidats qui potentiellement sont dans des circonscriptions qui sont susceptibles d’être gagnées.

Le résultat du second tour de l’élection présidentielle va peser lourd sur le comportement de certains élus LR, voire de certains élus PS sur leur inclinaison à répondre positivement à ces appels de la majorité présidentielle. La réélection d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen ne fait guère de doute. En revanche, le résultat laisse encore planer beaucoup de questions. Sera-t-il élu avec 53% ou 60% des suffrages exprimés ? Cela n’aura pas le même impact et les mêmes conséquences.

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Il est clair que si Emmanuel Macron est réélu président de la République avec un score égal ou inférieur à 55%, cela sera quand même considéré comme un échec retentissant. Est-ce que cela va attirer des élus voulant passer un pacte avec En Marche ? L'alliance impliquerait de ne pas présenter de candidat contre tel parti mais en contrepartie cette formation politique soutiendra le président de la République après. Le niveau de l’élection d’Emmanuel Macron va clarifier les positions de ceux qui sont susceptibles de répondre à ces sirènes. Si le président de la République est élu face à Marine Le Pen avec 54% des voix, cela voudrait dire que le vote de rejet est tout de même très élevé. Cela pourrait se reproduire aux législatives avec d’autres déterminants qui sont aussi les implantations locales. Probablement que certains élus LR n’auraient pas forcément un intérêt à partir avec l’estampille majorité présidentielle.         

Benjamin Morel : Ces élections législatives sont assez singulières et imprévisibles. Les enquêtes d'opinion pour ce scrutin, qui partent des résultats de l’élection présidentielle pour les calquer sur les circonscriptions, n’ont en général pas beaucoup de valeur. Le temps de latence entre les présidentielles et les législatives est de deux mois, ce qui est assez exceptionnel dans la période post-quinquennat. Et par ailleurs, la majorité sortante est beaucoup moins implantée que les anciennes majorités. Il y a également la fin du cumul des mandats qui va jouer encore une fois à plein. Tout cela fait qu’il y a des microcosmes locaux qui vont avoir un rôle d’autant plus important qu’il y a une vraie déconnexion entre la négociation locale et le champ politique national. Cela fait qu'on a à priori des élections législatives sont à mi-chemin entre des élections nationales et des élections locales qu’on a pu connaître dans ce quinquennat. D’où l’intérêt pour la majorité de ne pas négliger les partis d’opposition qui peuvent être mieux implantés et pour lesquels il a été observé, qu’avec une abstention massive et avec une forte implantation, ils pouvaient tailler des croupières quand bien même ils seraient très malades au niveau national. Il y a également la situation de fragilité profonde des partis politiques traditionnels comme le PS et LR qui vont chercher un soutien de la majorité, n’étant pas certains que l’ancrage sera suffisant pour battre des députés qui seraient envoyés contre eux. Cela est d’autant plus favorisé pour le PS par la difficulté d’envisager des alliances à gauche alors qu’à côté LFI a refusé de faire alliance avec le PS. Les autres formations politiques comme le PC trouvent qu’il est plus intéressant de faire alliance avec LFI qu’avec le PS.

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La situation pour les députés LR est plus confortable étant donné que si l’on étudie les précédentes élections, il y a plutôt eu une abstention massive. Ce phénomène a tendance à favoriser les partis centristes. L’électorat aisé et âgé vote et se mobilise davantage. Il ne s’agit pas de l’électorat du RN ou de Reconquête.

Pour un député sortant LR, il vaut mieux lorgner vers le centre. D’où la possibilité claire d’alliances dans ce camp politique.

Ces élections législatives seront-elles très particulières, notamment pour la majorité sortante ? Est-il si compliqué de savoir comment vont voter les électeurs ? Allons-nous assister à un fort taux d'abstention ?

Xavier Dupuy : Le fort taux d’abstention est assez probable. Depuis un certain nombre d’années, le taux de participation aux élections législatives est inférieur à 60%, ce qui est un taux très élevé pour des législatives. Un record avait été atteint en 2017 ou au premier tour l’abstention était légèrement au-dessus de 50%. Au deuxième tour, l’abstention était à 57-58%. Pour cette année, cela est difficile à anticiper.

Comme il s’agit de la réélection d’un président de la République et non pas de l’élection d’un nouveau chef de l'Etat, il a été observé que lors d’une réélection du locataire de l'Elysée, la dynamique des législatives est plus faible que lors d'une élection inédite. Aura-t-on pour le second tour des législatives une agglomération de votes hostiles sur le candidat restant face aux candidats de la majorité présidentielle ? Cela pourrait changer complètement la donne. Ou alors est-ce que l’on aura la reproduction de ce qu’il s’est passé en 2017 avec le camp de droite ou de gauche éliminé venant au secours du candidat de la majorité présidentielle face au candidat de la gauche ou de la droite restant. Cette année, le scénario pourrait être différent de celui de 2017. Une partie non-négligeable de l’électorat de gauche allait voter En Marche lorsque LREM affrontait un LR et qu’à l’inverse. Une partie non-négligeable des électeurs de droite allaient voter pour En Marche lorsque LREM affrontait un candidat de gauche. Il pourrait y avoir une progression des votes blancs et nuls et de l’abstention au deuxième tour des législatives cette année.

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Et quid du comportement de l’électorat Rassemblement National lorsque le parti de Marine Le Pen ne sera pas qualifié au deuxième tour ? Est-ce que beaucoup s’abstiendront ou est-ce qu’un nombre non négligeable iront voter contre le candidat restant contre La République en marche ? Nous aurons un début de réponse lors du second tour de la présidentielle. Si Emmanuel Macron est élu avec un score de 54-55% des voix, on peut penser que les législatives vont être très compliquées. S’il est élu avec 60% des suffrages, il bénéficiera d’une certaine dynamique.           

Benjamin Morel : Ces législatives sont en réalité assez illisibles. Le taux d’abstention en règle générale pour les législatives est à la fois important et très différencié. On dit souvent qu’après une présidentielle les électeurs veulent donner une majorité au président de la République. Mais en fait, cela n’est pas vrai. On assiste dans toutes les législatives post présidentielle à une forte mobilisation différentielle. L’électorat du chef de l’Etat se mobilise, considérant qu’il faut lui donner une majorité, et l’électorat de l’opposition qui est désespéré, dépité et ne se mobilise pas. C’est cette différence dans les mobilisations électorales qui font les vagues majoritaires et qui font le taux d’abstention. L’abstention forte de l’électorat de l’opposition peut –être déterminante.

Cette année, deux mois après le scrutin et dans une situation de relatif flottement politique, il peut y avoir malgré tout des dynamiques à droite comme à gauche qui peuvent être relativement fortes avec de nouvelles problématiques qui arrivent sur le tapis avec qui plus est l’idée que le président n’a pas été élu sur un projet positif mais plutôt un peu par défaut à travers une campagne de premier tour inexistante. Avoir cet effet de mobilisation différentielle n’est pas si évident. On peut assister à une remobilisation de l’électorat de l’opposition.

Si vous partez du principe qu’il y a une forme d’illisibilité du paysage politique au niveau national, il peut aussi y avoir une abstention importante et qui serait présente dans tous les partis. Les élections législatives ressembleraient plus alors aux élections municipales, régionales ou départementales avec une prime à l’implantation qui serait dommageable à l’actuelle majorité.

Tout cela est possible car nous n’avons aucun précédent. C’est la première élection post-quinquennat si Emmanuel Macron était réélu avec un président sortant qui serait reconduit avec sa majorité. Toutes les majorités ont été désavouées sauf celle de 2007, mais il y avait un changement de président de la République.

Nous n’avons jamais eu autant de latence entre une présidentielle et les législatives depuis le quinquennat. On expérimente pour la première fois le renouvellement d’une majorité sans aucun ancrage territorial. Pour toutes ces raisons-là, il est extrêmement difficile de dire comment réagira l’électorat.     

Bien des candidats ne seront pas nécessairement uniquement les candidats de ce que leur étiquette indique… Cela ne risque-t-il pas d’instaurer un climat toxique profondément mortifère car les étiquettes ne correspondront pas à ce que sera vraiment la personne élue pendant le reste du mandat ? La démocratie peut-elle sortir grandie de ces multiples arrangements ?

Xavier Dupuy : Il y a un vrai problème démocratique. Il s’agit d’utiliser les méthodes de la IVe République avec les institutions de la Ve. En réalité, ce que propose la majorité présidentielle est un système d’apparentement caché, qui n’est pas déclaré devant les électeurs avant l’élection. Un candidat En Marche peut être présenté mais si LR ou le PS est élu, au troisième tour la majorité est gagnante. Si elle avait placé son candidat LREM, c’était pour la majorité. Mais si elle place ce candidat LR ou ce candidat PS, lui aussi rejoindra la majorité. Le jeu est biaisé.

Les conséquences peuvent donc être lourdes par la suite. Si cela est le cas dans une centaine de circonscriptions, cela posera un vrai problème démocratique.  

Benjamin Morel : On risque d’avoir des étiquettes relativement floues. Pourtant la plupart des électeurs votent pour une étiquette. Ne pas mettre d’étiquette claire, c’est un peu vous tirer une balle dans le pied. En revanche, la clarté des étiquettes, elle, n’est pas évidente. Voter pour LR,  est-ce voter pour l’opposition ? Pour la majorité, cela va poser de vraies questions.

Si cela conduit à une forme de recomposition au sein du Parlement qui amène malgré tout à une forme de pluralité d’expression dans l’enceinte parlementaire, la démocratie peut malgré tout y gagner.

Un groupe ultra majoritaire extrêmement discipliné qui fait la pluie et le beau temps à la demande du président de la République, ce n’est pas tout à fait à l’image de la présidentielle que l’on vient de vivre.

Les élections législatives pourraient donner à LaRem un groupe, ce que tente de faire Emmanuel Macron avec un groupe unique, en tentant d’éviter une majorité plurielle à laquelle il aurait à répondre à Edouard Philippe, à une partie de la gauche, à François Bayrou…

Au vu des clivages au sein du pays, une majorité aux ordres et avec le doigt sur la couture du pantalon plutôt qu’une majorité plurielle qui justement représenterait les diverses composantes de l’électorat du président de la République, ne serait pas non plus représentative et souffrirait très rapidement un procès en légitimité.      

Alors que l’unité était attendue à gauche pour les élections législatives, Mathilde Panot, présidente du groupe des députés insoumis à l’Assemblée nationale, a rejeté la main tendue d’Olivier Faure et toute négociation avec le PS dans le cadre du futur scrutin. Cette réalité va-t-elle favoriser et donner une chance de victoire en juin prochain et permettre d’encourager des alliances à la droite de l’échiquier politique pour les LR et surtout pour Reconquête et le Rassemblement National ?  Les législatives vont-elles être un jeu d’alliances cachées pour la droite ?

Xavier Dupuy : Je ne crois pas. Pour une raison simple, les LR ont déjà désigné leur candidat dans plus de 90 ou 95 % des circonscriptions. Ces candidats sont déjà partis en campagne et en aucun cas ils ne renonceront. Il ne faut pas négliger également le financement des partis politiques qui est calculé sur le nombre de voix obtenues au premier tour pour les élections législatives. Et le deuxième critère d’attribution est le nombre de sièges de députés et de sénateurs.

Pour le premier critère, il y a des formations politiques, et je pense notamment à Reconquête, qui n’auraient pas forcément intérêt à limiter le nombre de leurs candidatures. Si Marine Le Pen est battue, ce qui est l’hypothèse la plus probable, il y aura peu de candidats issus de la mouvance Rassemblement National ou Reconquête qui seront élus députés. On ne devrait pas passer de 9 députés RN à 40. Mais en revanche, même si on devait passer de 9 députés RN à 20 ou 25, si Reconquête, après avoir passé une alliance avec le Rassemblement National, obtient deux députés, cela ne compensera pas financièrement le nombre de circonscriptions où ils n’ont pas présenté de candidats. Cela me semble difficile entre Reconquête et le RN. C’est mission impossible, entre LR d’un côté et le RN ou Reconquête. Le retrait de certains candidats RN ou de Reconquête pourrait aussi fragiliser ces formations politiques d’un point de vue financier.

Benjamin Morel : Il ne faut pas non plus surestimer la menace LFI pour le PS. Sauf si nous avons une forte mobilisation pour ces législatives, ce qui n’est pas tout à fait exclu mais qui n’est pas le scénario le plus probable. Nous aurons vraisemblablement des élections plutôt démobilisatrices.

La participation différentielle pesant, l’électorat centriste va être surreprésenté. Le PS est loin d’être en si mauvaise posture par rapport à ce qu’est en train de faire LFI. L’électorat populaire et le plus polarisé va être lui le plus sous-représenté, ce qui désavantage deux formations politiques : LFI et le RN, à la fois parce que leurs électeurs ne se mobilisent pas et parce que cela tue l’hypothèse de triangulaires.

Il faut faire plus de 12,5 % des inscrits pour se maintenir. Il faut un taux  de participation assez important pour des triangulaires et des quadrangulaires.

Il est assez probable que l’on se retrouve dans une bataille des centres lors de ces élections législatives avec un candidat LREM contre un LR, un candidat LREM contre un PS – Union de la gauche. En règle générale, ce sont des élections assez difficiles pour le Rassemblement National ou La France insoumise. Marine Le Pen est au second tour de l’élection présidentielle et elle n’a obtenu que six députés sur 577. 

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