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La France dans le miroir des Européennes : les sous-titres d’une élection beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît
©PATRICK HERTZOG / AFP

Dans la tête des Français

Voici les quatre enseignements essentiels qu'il ne fallait pas rater pour comprendre les résultats des élections.

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway. Il est l'auteur de "La Présidence anormale – Aux racines de l’élection d’Emmanuel Macron", mars 2018, éditions Cent Mille Milliards / Descartes & Cie.

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Atlantico : Sur le plan de la prise de décision des électeurs, que montrent les résultats ? Quand est-ce que les électeurs se sont décidés et pourquoi ?

Bruno Jeanbart : Comme souvent lors des élections européennes, la campagne a été extrêmement courte et tardive. Stable pendant des mois, voire légèrement en baisse, nos indicateurs de participation se sont brusquement envolés lors de la dernière semaine pour gagner 4 points en milieu de semaine dernière, puis 6 points le vendredi. Si nous n’avions pas encore un niveau anticipé équivalent à celui de la participation finale (50%), la tendance était très claire et nous faisait écarter un record d’abstention. Mais cette évolution de dernière minute, souligne incontestablement un choix électoral tardif des électeurs, comme le confirme notre enquête réalisée dimanche auprès de 6853 électeurs inscrits sur les listes électorales : 18% des votants déclarent avoir fait leur choix le dimanche et près d’un sur deux, 44%, dans les derniers jours. Encore une fois, ce n’est pas propre à cette élection 2019 mais à ce scrutin des européennes, puisque nous avions des proportions comparables en 2014. Ce type de comportement est plus rare lors d’une élection présidentielle : ainsi, en 2017, seuls un tiers des votants avaient choisi leur candidat dans les derniers jours et c’était un quart environ à la présidentielle 2012. Au-delà de la difficulté des Français à appréhender les enjeux spécifique des européennes, qui rappelons, se déroulent dans 27 autres pays et ne déterminent pas la majorité qui dirigera la France, il est évident que le mode de scrutin, proportionnel, qui éclate l’offre électoral, multiplie les listes entre lesquelles un électeur peut hésiter. Ainsi, les partis de la gauche de gouvernement, qui n’avaient que deux candidats en 2017, présentaient dimanche sur le même espace 5 listes.

Ces caractéristiques (abstention élevée et qui se cristallise tardivement, choix tardif) expliquent pourquoi quasiment toutes les élections européennes se singularisent par de fortes surprises lorsque les résultats sont connus. On peut faire pour l’une d’entre elle, le haut niveau des écologistes, un parallèle avec 2009, élection au cours de laquelle l’envolée de la liste Cohn-Bendit avait été extrêmement tardive également.

En quoi l'élection est-elle la manifestation de la fracture sociologique française ?

Les Européennes 2019 confirment la polarisation sociologique du vote constatée depuis plusieurs scrutins et qui avait consacré deux blocs lors du premier tour de la présidentielle 2017, autours des candidatures Macron et Le Pen. On note cependant que les deux blocs sociologiques qui s’opposent dimanche ne s’articulent pas autour de la liste RN et LREM, mais plutôt autour de la liste RN et des listes LREM et d’EELV. Ceci est lié à la forte abstention, non pas pour ces Européennes mais pour ce scrutin en général puisqu’au final, près d’un électeur inscrit sur deux n’a pas voté, contre un peu moins d’un quart à la présidentielle. Dès lors, le corps électoral qui s’est exprimé est bien plus diplômé, issu des catégories sociales supérieures et on note que LREM et écologistes se sont disputés ce vote-là : 23% des cadres et professions intellectuelles supérieures ont voté pour EELV, 24% pour LREM. A l’inverse, seuls 10% d’entre eux n’ont voté RN mais 38% des ouvriers l’ont fait. EELV et LREM n’ont recueilli que respectivement 6% et 17% de cet électorat. Même phénomène sur le diplôme : 18% des diplômés supérieurs à Bac+2 ont voté EELV, 27% LREM, mais seulement 12% RN. Tandis que les moins diplômés ont choisi à 39% le Rassemblement National, mais seulement à 7% et 16% EELV et LREM. Je soulignerais toutefois que les écarts sont moins marqués que lors de la présidentielle 2017, non pas en raison d’un mouvement profond mais plutôt de l’éparpillement traditionnel plus fort du vote aux Européennes, qui tend à lisser ces fractures. Il est aussi frappant de constater que les fractures générationnelles sont moins fortes que lors de la présidentielle dans le vote pour le Rassemblement National, qui obtient 29% parmi les 50-64 ans et 22% chez les 65 ans et plus, contre seulement respectivement 23% et10% dans ces mêmes tranches d’âge en 2017. Si cette évolution n’est pas que conjoncturelle, elle change radicalement la donne pour l’extrême droite et ses chances de succès dans des élections au scrutin majoritaire..

D'où vient le bon score des Verts : d'un effet repoussoir ou adhésion ? Quelle est la place du régionalisme dans leur succès ?

D’abord il faut rappeler que les élections européennes sont celles qui historiquement permettent aux écologistes d’obtenir leurs meilleurs scores. Mais leur score de dimanche est supérieur en voix à celui de la liste Cohn-Bendit de 2009, en raison de la participation : plus de 3 millions de voix contre 2,8 millions à l’époque. Leur succès est avant tout celui d’une liste qui a réussi à capter le vote sur cet enjeu : 91% des électeurs d’EELV déclarent que l’environnement est le sujet qui a motivé leur vote. Pendant longtemps dans cette campagne, la domination de la préoccupation environnementale ne se traduisait pas par un bon score pour EELV, mais on a senti dans la dernière semaine que cela changeait : dans nos enquêtes, ils ont gagné 3 points pour devenir clairement la première liste de gauche. On peut penser que le choix de La République en Marche d’insister sur ces thématiques écologiques dans la dernière ligne droite les a servi, d’autant plus que dimanche, 15% des électeurs Macron qui ont voté  l’ont fait pour EELV. Et incontestablement, les écologistes ont réussi à capter un vote qui se porte dans d’autres scrutins vers des courants régionalistes. Deux exemples l’illustrent : en Corse, ils arrivent en seconde position, avec des scores qui sont plus élevés dans les communes rurales que dans les « grandes villes », là où les listes autonomistes / nationalistes réussissent mieux traditionnellement. D’ailleurs, Bastia fait exception ,la ville comme par hasard gagner par Gilles Siméoni en 2014. Autre exemple, la Nouvelle-Calédonie, où les écologistes font de très bon score sur la façade orientale de l’île, la où le vote pour l’indépendance était le plus élevé lors du référendum de 2018. Rappelons cependant que dans ces territoires, la participation est plus faible que sur le continent, comme toujours.

Qu'on voté ceux qui comprenaient ou soutenaient les Gilets jaunes ?

Dans notre enquête de dimanche, le soutien au mouvement des gilets jaunes auprès de l’ensemble des électeurs inscrits est de 47%, contre 51% d’opposants, soit stable avec nos mesures réalisées tout au long du mois de mai sur le sujet. Le premier constat que l’on peut faire, c’est que le rapport au mouvement n’a pas été déterminant dans le fait de voter ou de ne pas voter dimanche. Ce chiffre de 47% de soutien au mouvement est le même parmi les votants que parmi les abstentionnistes. En revanche, la distribution du vote des soutiens aux Gilets Jaunes n’est évidemment pas du tout à l’image du vote global. 35% de ceux qui les soutiennent ont voté pour le Rassemblement National et seulement 4% pour La République en Marche. Auprès de ceux qui les soutiennent « tout à fait », à savoir le plus favorables au mouvement, le RN recueille même 48% contre 2% pour LREM. Soulignons que l’un des échecs de la France Insoumise fut probablement de ne pas réussir à capter ce vote de contestation : seuls 12% des personnes qui soutiennent le mouvement ont voté pour la liste de Manon Aubry.

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