La fin de l’immigration européenne au Royaume-Uni va transformer l’économie britannique et voilà ce que nous devrions en retenir<!-- --> | Atlantico.fr
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Le secteur anglais de la restauration fait partie de ceux qui employait le plus de travailleurs immigrés européens. Ici, un restaurant à Londres.
Le secteur anglais de la restauration fait partie de ceux qui employait le plus de travailleurs immigrés européens. Ici, un restaurant à Londres.
©Tolga Akmen / AFP

Post-Brexit

L’enjeu n’est pas tant que les migrants Européens avaient pris des emplois aux Britanniques mais que des pans entiers de l’économie s’étaient adaptés à l’existence d’une main-d'œuvre bon marché.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Entre le Brexit et la pandémie, le nombre d’immigrés européens au Royaume-Uni a été diminué. La disparition de cette main d’œuvre, disposée à accepter des salaires moindres, va-t-elle changer l’économie du pays ? Quels secteurs vont le plus voir ce changement ?

Michel Ruimy : En raison du Brexit et des multiples confinements, des milliers d’expatriés ont quitté la Grande-Bretagne. Une bataille de chiffres a encore lieu. Pour certains, 1,3 million de personnes auraient quitté le Royaume-Uni, dont 700 000 rien qu’à Londres (8% de la population). La plus grande migration depuis la Seconde Guerre mondiale ! D’autres pencheraient pour des départs qui se situeraient plutôt entre 400 000 et 900 000 personnes.

Le départ de ces migrants n’a pas nécessairement été provoqué par la perte d’un emploi. Il pourrait s’agir d’un exode temporaire. Certains ont pu avoir quitté le pays tout en percevant le chômage partiel, d’autres avoir préféré rejoindre leur famille car ils avaient la possibilité de télétravailler. Rien ne dit qu’ils n’ont pas l’intention de revenir quand l’activité reprendra totalement. Toutefois, pour un plus grand nombre (ceux issus d’Europe centrale et orientale), embauchés dans des secteurs nécessitant un contact direct, ils sont plus susceptibles que le reste de la population d’avoir perdu leur emploi. De fait, la restauration, l’hôtellerie et autres secteurs de services (logistique, santé…) sont les domaines ayant été le plus durement frappés par cette émigration que la pandémie a accentuée. Les entreprises de ces secteurs employaient, en 2019, jusqu’à 30% de travailleurs étrangers (15% d’Européens). En réalité, la situation économique et l’état du marché du travail, plus que la situation politique (Brexit), ont poussé les individus à faire des choix. D’autant que la pandémie a eu pour conséquence de fermer certains secteurs sur une longue période. Il est donc difficile d’évaluer l’impact que cela a eu et que cela aura quand l’activité repartira.

Il n’en demeure pas moins que la crise doit servir d’électrochoc. Afin de garder leurs employés, les entreprises vont devoir augmenter les salaires et offrir des contrats de travail plus sûrs. Aujourd’hui, le salaire moyen dans la restauration est de 8,50 livres / heure (environ 10 euros), loin des 13,30 livres du revenu horaire médian. Surtout que dans les années à venir, de moins en moins de travailleurs étrangers arriveront au Royaume-Uni, le nouveau système d’immigration imposant aux futurs arrivants de gagner 25 000 livres (environ 30 000 euros) par an. Très loin, d’un salaire de serveur.

Cette pénurie de main-d’œuvre pourrait donc freiner la reprise et créer de l’inflation.

Quels sont les dangers d’avoir des emplois sans rationalité économique qui ne permettent pas des conditions de vie décentes comme cela a pu être le cas pour certains immigrés en Angleterre ?

Aujourd’hui, de nombreuses formes atypiques de relations d’emploi se sont développées de façon importante. Elles s’appuient sur la flexibilité du contrat de travail pour faire face aux variations erratiques de l’activité économique. Elles exposent donc de nombreux travailleurs à l’instabilité et à l’insécurité qui créent des situations de précarité dans le travail.

Les travailleurs précaires ont souvent une exposition accrue aux risques (affectation fréquente aux travaux les plus pénibles et dangereux, formation insuffisante, faible connaissance des lieux et procédures de travail du fait de leurs rotations incessantes dans les postes occupés…), ce qui augmente leur vulnérabilité. Par ailleurs, l’enchainement de contrats courts, la grande diversité des lieux de travail, rendent très difficile leur suivi médical (accidents de travail, maladies professionnelles, traçabilité de leurs expositions aux risques professionnels, notamment chimiques). Enfin la fatigabilité et le stress sont accrus avec l’enchaînement de missions différentes, avec l’obligation de suivre le rythme des autres salariés malgré la méconnaissance du poste, avec des prises de risque pour être à la hauteur et la réticence à demander des informations par manque de confiance ou de peur d’apparaître incompétent.

Tous ces éléments constituent des facteurs de risque professionnel supplémentaires aussi bien physiques que psychologiques. Les marges d’action des travailleurs précaires sont donc très limitées pour faire valoir leurs droits de protection en matière de santé et de sécurité au travail.

Les pénuries de travailleurs créées par ce manque de main d'œuvre vont-elles se résorber ?

Pour ceux qui souhaitent travailler, l’Angleterre est toujours un pays, qui laisse toujours sa chance aux débutants et qui mise davantage sur l’expérience et la motivation que sur les diplômes universitaires. Ainsi, le candidat doit faire preuve de beaucoup d’abnégation et surtout renoncer à certains idéaux de qualité de vie : priorité de la vie professionnelle sur la vie de famille, acceptation du stress / pression qui régit presque tous les domaines professionnels… Il ne doit pas trop regarder les conditions et le temps de travail et celles, éventuelles, du chômage. Comparé à la France, à la Belgique ou à la Suisse par exemple, ce pays est probablement l’une des nations qui propose les prestations chômage les moins avantageuses pour les salariés (400 livres sterling, soit près de 500 euros, maximum par mois, quel que soit le montant de votre salaire).

De surcroît, le Royaume-Uni a instauré, depuis début 2021, un système d’immigration à points (points-based immigration system) qui met fin à la libre circulation des personnes dans l’espace européen Schengen et qui donne la priorité aux anglophones et personnes qualifiées. Ces dernières conditions ont suscité de fortes inquiétudes parmi certains chefs d’entreprise qui n’ont pas eu le temps de s’y préparer. Elles risquent d’être dévastatrices, à court terme, en particulier pour des secteurs recrutant des travailleurs peu qualifiés ou peu rémunérés (santé, hôtellerie, restauration, agriculture, services sociaux, BTP …) qui pourraient enregistrer une pénurie de main d’œuvre.

Quelles leçons ces constats outre-manche doivent-ils nous permettre de tirer ?

L’économie britannique ne souhaite plus dépendre d’une main-d’œuvre bon marché en provenance d’Europe, mais se concentrer plutôt dans des secteurs d’activité stratégiques (technologie numérique, automatisation…). Dès lors, les employeurs devront donc s’adapter et plus un candidat sera qualifié, en particulier dans ces domaines, plus il sera le bienvenu, via le visa « Global Talent », même sans offre de travail en poche. Ainsi, il est probable que le Royaume-Uni continue d’attirer et d’employer nombre de banquiers, d’informaticiens, d’ingénieurs et de chercheurs. En revanche, l’avenir de secteurs comme le BTP et la santé semble être compromis. Celui des traducteurs, des enseignants en langue, des commerciaux à l’international… est incertain et dépendra du degré d’ouverture du marché du travail britannique.

C’est une immigration choisie. La modification du régime d’immigration britannique fonctionne comme le gouvernement l’entend. Les conditions d’emploi dorénavant requises contribueront à réduire le nombre global de migrants (près de 70% de la main-d’œuvre actuelle de l’Union européenne ne satisferait pas aux exigences en matière de qualifications). A une époque où les inégalités économiques sont croissantes et la polarisation idéologique soulèvent des inquiétudes, ces constatations ont des implications sociales et politiques importantes.

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