La face cachée de Marcel Proust : l’argent <!-- --> | Atlantico.fr
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Marcel Proust
Marcel Proust
©Capture d'écran / DR

Littérature et Argent

Marcel Proust, dont on célèbre le centenaire de sa mort cette semaine, aura été l’écrivain français le plus connu et le plus disserté dans le monde, mais il a aussi été un spéculateur invétéré, dépensier et investisseur. Il était riche et il aimait l’argent autant que les hommes.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Jean-Marc Sylvestre - Marcel Proust était riche. Il a hérité de beaucoup d’argent qu’il a donné en gestion à la banque Rothschild, mais il en a aussi gagné beaucoup par ses livres et par ses investissements, dans l’édition notamment. Tout cela lui a permis de mener grand train, de beaucoup dépenser et de jouer en bourse, comme au casino.

C’est un peu la face cachée de cet écrivain génial qui a décrit la société française de la fin du 19ème jusqu’au début du 20e siècle comme aucun autre.

 Les « proustiens », les amoureux de son écriture, ont rarement levé le voile sur l’argent de Proust. On sait tout de ses amours, de son libertinage, de ses frustrations, tout de Sodome et Gomorrhe, tout d’Albertine et du temps retrouvé. On sait tout de cette bourgeoisie française issue de la révolution industrielle. 

Et les plus lucides des proustiens et de La Recherche se doutent bien que l’argent, qui est tellement présent dans ses romans, parmi les plus de 2500 personnages récurrents dont il épluche la vie au gré des 7 volumes de son œuvre, était présent dans sa vie. 

A la recherche du temps perdu, c’est une fresque de la sociologie française, une étude de la psychologie de ses personnages qui appartiennent à toutes les classes de la société, mais c’est aussi son autobiographie. En volume et en tirage dans le monde, c’est plus que Victor Hugo, Balzac, Zola, Flaubert et Dumas réunis. 

Alors soyons clairs, je n’ai aucune légitimité ou compétence particulière à disserter l’œuvre de Proust. J’ai rencontré ce personnage à Trouville-sur-Mer, en Normandie, en ayant la chance d’habiter depuis plus de dix ans une maison voisine des « Roches noires », là où il venait passer l’été avec ses grands-parents. Il y est venu 3 ou 4 ans, jusqu’au jour où dans son journal intime, son grand père découvre qu’Albertine, qui faisait fantasmer l’adolescent qu’il était encore, s’appelait en réalité Albert. La famille a donc déménagé dans un château des hauts de Trouville, puis à Cabourg.

Il n'empêche que Proust a laissé sur cette plage une trace indélébile que même Marguerite Duras, qui a habité au même endroit pendant 30 ans, n’a pas réussi à faire oublier. « Situation sublime, forcément sublime » aurait pu-t-elle dire ! 

Cette empreinte est tellement forte qu’elle m’impose l’envie de percer le secret de cette réussite unique et inspirante. 

Le secret de la réussite de Marcel Proust est peut-être dans les trois premières lignes de La Recherche : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire « je m’endors ». Une demie heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ». 

Tout est dit.

Cette première phrase n’est évidemment pas une des plus longues qu’il ait écrite mais c’est sans doute la plus célèbre et pas seulement chez les proustiens, cette secte internationale et labellisée.  Fabrice Luchini, dans son dernier spectacle consacré aux Fables de la Fontaine et au confinement, a l’audace de citer cette phrase d’accroche. Mais il n’y arrive pas parce que le public du théâtre Montparnasse (700 places chaque soir pendant six mois) reconnait les premiers mots. « Longtemps, je me suis couché ». Et ce public, spontanément, enchaine la suite, à voix haute, en cœur et dans l’émotion. Étonnant, pour une France qu’on dit inculte et accro aux séries Netflix.  

Marcel Proust est mort il y a un siècle. En 1922, il avait 51 ans et cette disparition est commémorée dans presque toutes les universités du monde, toutes les librairies, toutes les bibliothèques. A Paris, la bibliothèque François Mitterrand lui consacre une exposition remarquable par sa richesse de documents, sa diversité et sa lisibilité, mais peu de choses sur l’argent.

Or, l’argent chez Proust est finalement très présent

D’abord, il est né dans une famille riche, d’origine juive, une famille de médecins mais il perdra ses parents assez jeune, ce qui fait que ses grands-parents lui seront si proches. D’autant qu’il est d’une santé fragile, il souffre d’asthme dit-on…  Mais Marcel Proust hérite d’une petite fortune, l’équivalent de 6 millions d’euros qu’il a la sagesse de confier à un de ses amis de la banque Rothschild. Cet argent sera bien géré et lui permettra de recevoir une rente mensuelle très, très confortable. Ce qui lui permet de passer son temps à écrire, visiter, batifoler, voyager et rencontrer des personnages qu’on retrouvera plus tard dans les différents romans. Marcel Proust écrit son journal depuis qu’il est tout petit, il remplit des cahiers mais ne publie pas, jusqu‘au jour où il va construire avec tous ces matériaux, l’œuvre de sa vie. 

7 tomes, 7 romans qui composent A La recherche du temps perdu. Ça commence par le plus connu, Du côté de chez Swan, Un amour de Swan, puis Les Jeunes filles en fleur, puis La vie qui passe.  

Et il va les publier comme un feuilleton, mais il ne va pas s’adresser à un éditeur. Il va éditer, préparer, marketer, faire imprimer, diffuser, distribuer, vendre et défendre les droits de reprise. 

Son gout du business va jusqu’à imaginer des produits dérivés : les madeleines, par exemple.

Alors, son modèle économique est simple. Il possède et contrôle tout et il fait appel à des prestataires. Comme Grasset, mais le dernier de ses prestataires est célébrissime, il s’appelle Gaston Gallimard et sa maison doit à Proust le début de sa fortune. Alors que les droits que demandent Marcel sont exorbitants pour l’époque : 30% et que Proust impose la possibilité de fixer des prix de vente très bas pour le public. Pour que le plus grand nombre puisse avoir accès à ses livres. 

Du coup, au cours des dix dernières années de sa vie, un prix Goncourt en prime, Marcel Proust va gagner beaucoup d’argent. 

Mais dans le même temps, il va en dépenser enormément. Il vit dans un apparentement somptueux boulevard Haussmann, il voyage beaucoup en Europe, beaucoup en France et gère une petite PME domestique avec un chauffeur personnel - qui est aussi son confident et son amant ou un de ses amants - des assistants pour corriger et dactylographier ses textes, une gouvernante, une cuisinière. Il vit comme un grand bourgeois de ce début du 20e siècle. Il spécule beaucoup, joue en bourse et au casino avec ses amis industriels qui fréquentent Deauville ou Cabourg. 

En fait, Marcel Proust travaillait beaucoup, énormément. Il était obsédé par le temps qui passe. D’où cette œuvre prolifique. Des milliers de pages, des heures de lecture possible, des milliers de personnage et de lieux. 7 volumes. Chez Netflix, on dirait 7 saisons.

Au final, c’est comme s’il avait inventé le concept Netflix. Une histoire interminable qu’on menace d’abandonner, mais à laquelle on s’accroche, où l’on retrouve tous les aspects de la société, ses injustices et ses intelligences, ses perversions et ses grandeurs. 

Et le secret de cette capacité de travail, il le dévoile dès le début : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure… » 



Pour en savoir plus : 

- A la Recherche du temps perdu se compose de 1,2 millions de mots, en 7 volumes et au total 2500 pages (Edition Gallimard). En livre audio, la recherche dure 128 heures d’écoutes. A la lecture et à raison de 2 heures par jour, il faut 64 jours pour achever la lecture.  C’est l’un des dix livres les plus vendus dans le monde depuis l’invention de l’imprimerie. 

- Pas de droits d’auteur. Marcel Proust est mort sans héritier direct. La durée du droit d'auteur étant de 50 ans, les droits sont tombés dans le domaine public et enrichissent l’Etat. 

En revanche, le droit moral est inaliénable et imprescriptible. A priori, ce droit moral est dévolu à la seule descendance de Proust, Patricia Mante-Proust, 41 ans, arrière-petite-nièce de Marcel Proust. Et le seul membre de la famille à porter encore son nom.  Marcel Proust avait un frère cadet Robert Proust, qui a eu une fille, Adrienne (Suzy) Proust. Patricia a donc grandi dans cette famille très littéraire, elle aurait décidé de vendre les souvenirs de son illustre aïeul, et notamment certains manuscrits.

Source : Le Proustographe de Nicolas Dragonneau éditions Denoël  
Marcel Proust : La fabrique de l'œuvre
De Collectifs, Nathalie Mauriac Dyer
Proust, le dossier  de  Jean-Yves Tadié  (Auteur), Benoît Heilbrunn  (Series Editor)




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