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La dure rentrée de François Bayrou
©LUDOVIC MARIN / AFP

Les temps sont durs

Le président du Modem était entendu ce mercredi par les policiers sur des emplois présumés fictifs au Parlement européen. Indépendamment du front judiciaire, ce sont surtout son poids et son avenir politique qui semblent aujourd’hui fragilisés.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : La rentrée politique de Françoi Bayrou s'annonce compliquée. A nouveau convoqué par la police dans le cadre de l'affaire des parlementaires européens Modem, le maire de Pau a un avenir politique plutôt flou. En quoi est-ce surtout l'alliance contractée en 2017 avec Emmanuel Macron qui le met dans cette position ?

Christophe Boutin : On pourrait se demander si le parcours de François Bayrou n’est pas typique de l'échec qu’aura connu en France la tentative d'implanter un parti de démocratie chrétienne, à l’encontre de ce qui a pourtant pu être fait dans d'autres pays - avec comme exemples évidents ceux de l'Allemagne et de l'Italie -, et quelle est la part des choix politiques de l’intéressé dans cet échec. Persuadé de son destin national, soucieux d’exister de manière indépendante, allié rétif et ombrageux, François Bayrou a en effet à chaque fois échoué à fédérer derrière lui la force politique qu’il dirigeait. C'est ainsi qu'en 2002 son refus de s'allier à un Jacques Chirac qui venait de reconquérir le pouvoir conduit au départ de l'UDF d'alors, que Bayrou présidait depuis 1998, de centristes séduits par les ors de ces ministères que le Béarnais prétendait dédaigner. Cinq ans plus tard, et pour des raisons analogues, mais cette fois avec Nicolas Sarkozy comme nouveau président, ce sera l'effritement de ce Mouvement des démocrates, le MoDem, qui remplaçait l'UDF. Ne restait alors autour de François Bayrou qu'une petite garde rapprochée et quelques électeurs qui, restés de centre-droit, furent bien surpris de voir leur leader, après avoir hésité, soutenir au second tour des élections présidentielles de 2012 François Hollande, avant d’attendre dans une superbe solitude un appel qui ne vint pas.

Pour l’élection de 2017, François Bayrou se montre donc plus conciliant, mais pas moins hésitant. Il soutient d’abord, contre un éventuel retour de Nicolas Sarkozy, la candidature d'Alain Juppé à la candidature des Républicains, puis le candidat désigné, François Fillon, avant, en février 2017, de se décider à rallier Emmanuel Macron. Il entend bien cette fois, avec un parti revivifié par la victoire, être présent dans les institutions et y jouer un rôle de premier plan auprès de cet homme nouveau qui, comme il l’a lui-même toujours souhaité, annonce vouloir dépasser le clivage droite/gauche. Hélas, même si ce ralliement a certainement boosté sa candidature, le nouveau président ne réserve aux élections législatives que le quart des circonscriptions promises aux candidats MoDem. Hélas encore, si François Bayrou est bien nommé Garde des Sceaux dans le gouvernement d'Édouard Philippe en mai 2017, il doit en démissionner un mois plus tard à la suite de l'affaire des emplois fictifs rémunérés par le Parlement européen.

L'alliance pensée conquérante s'est donc révélée aussi inefficace que les postures d'indépendance, et aujourd'hui la question se pose plus que jamais de savoir si le MoDem peut survivre comme force politique réelle, ou s’il n’est plus qu’une petite formation qui subsiste en permettant une rente pour quelques élus. Pour renaître, le parti devra nécessairement avoir des élus lors des prochaines élections locales qui s'annoncent, municipales, départementales et régionales, ne serait-ce que pour négocier en position de force des circonscriptions pour les prochaines législatives. Or, hasard du calendrier judiciaire sans doute, l'affaire des emplois fictifs réapparaît, ce qui n’est pas sans poser des problèmes au président du MoDem et à ses proches au moment ou l’on négocie pour les municipales.

La désignation de Sylvie Goulard pour la Commission Européenne est un autre camouflet pour le président du Modem. Dans quelle mesure est-il isolé au sein même de son mouvement ? Quelles sont les personnalités du Modem qui ont un poids au sein de la majorité ?

On sait en effet que François Bayrou a peu apprécié la démission brutale – elle ne lui aurait pas fait part avant de l’annoncer - de Sylvie Goulard, alors ministre des Armées du gouvernement d’Édouard Philippe, une démission peut-être liée au lien privilégié entretenu par la ministre, lorsqu’elle était au Parlement européen, avec un organisme américain qui rétribuait largement les notes qu'elle pouvait lui fournir, mais que l’on lia plus visiblement à cette question du financement d'emplois fictifs au sein du groupe MoDem. À partir du moment où Sylvie Goulard démissionnait, la position de François Bayrou ou celle de la très proche Marielle de Sarnez, elle aussi membre du gouvernement, n'était plus tenable et ils ont du suivre le mouvement. Si l’on ajoute à cela le fait qu’à la même époque Sylvie Goulard quittait le MeDem pour rejoindre LaREM, et se retrouvait quelque mois à peine plus tard nommés second sous-gouverneur de la Banque de France, on comprendra que François Bayrou ne soutenait pas vraiment sa candidature à un poste au sein de la nouvelle Commission européenne, et l’on peut penser qu’il aura fort mal pris cette décision jupitérienne. Mais le moyen de s’y opposer ? Soucieux de rester un « visiteur du soir » avec ligne directe avec le Président, il ne peut aller jusqu’à la rupture.

Quant à savoir s'il est isolé au sein de son mouvement, on rappellera que le mouvement centriste, on l'a dit, n'a cessé de connaître des défections depuis 2002, sans que l'on sache la part due à la personnalité de François Bayrou, qui a toujours estimé devoir exercer un leadership clair et apprécie peu les contestations, et celle due aux appétits de ceux qui choisissaient de quitter le mouvement à des moments clefs de leurs carrières. Son isolement est de toute manière relatif car il n’a pas de figure concurrente. À l’Assemblée nationale le MoDem compte 41 membres et six apparentés, et à part quelques figures historiques et clairement acquises à Bayrou, comme Marielle de Sarnez ou Jean-Louis Bourlanges, il n'y a pas de ténor nouveau clairement identifiable. Et si l’on trouve trois MoDem membres du gouvernement, le même constat peut être fait : Geneviève Darrieusecq secrétaire d’État auprès du ministre des armées s’occupe plus du moral des troupes que des questions de défense ; Marc Fesneau, chargé des relations avec le parlement, se trouve ainsi obligé de plaider le soutien du groupe MoDem ; et si Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, est une interlocutrice appréciée par ceux quelle rencontre, elle n’a pas vocation à mener une fronde politique. Reste donc Bayrou.

Dans quelle mesure le centre-droit d'Edouard Philippe lui fait-il de la concurrence ? Pourquoi ?

Édouard Philippe ne se définit pas vraiment lui-même comme étant du centre-droit, mais n'hésite pas à rappeler qu'il est « de droite », et c’est peut-être là toute l’explication d’une double concurrence avec François Bayrou, au poste de Premier ministre d’abord – poste dont aurait rêvé le maire de Pau -, mais aussi ensuite comme leader de la principale force d’appui au parti présidentiel. Mais quel aurait été l’intérêt d’Emmanuel Macron de nommer François Bayrou ? Il lui aurait fallu tolérer les foucades de ce dernier à ce poste, alors qu’une fois l'apport symbolique, largement médiatique, du ralliement de février 2017, ce dernier ne lui apportait pas grand-chose en troupes, ces dernières ayant été échaudées par la palinodie de 2012 au point qu’il avait choisi de ne pas se présenter en 2017.

Face à cette instabilité, de l’homme et au fait que son électorat lui était de toute manière déjà acquis, il était d’un tout autre intérêt pour le nouveau président de s'appuyer sur un homme dont l’ego ne le conduirait pas à l’affrontement et qui, venant de sphères plus lointaines, pourrait entraîner vers ce vaste centre qu’il voulait constituer de nouveaux convertis.  S’appuyer sur un transfuge des Républicains le laissait espérer réussir à terme la même captation d'électorat que celle qu'il venait d’opérer sur le défunt Parti socialiste, allant au plus loin possible, et permettant l’éclatement d’un parti qui ne laisserait plus que ruines entre LaREM et le RN. Une captation dont les élections européennes de 2019 nous ont prouvé qu’elle était possible, car le bon score réalisé par LaREM ne vient pas tant du soutien initial du MoDEM que de l'apport d'un électorat de centre-droit appartenant à l’UDI mais aussi aux Républicains, et qui, pour des raisons diverses - parmi lesquels le maintien de l'ordre public a toute sa place - a choisi d’autant plus facilement de soutenir la politique présidentielle que sur la question européenne, qui aurait dû être la question centrale de ces élections, la différence entre les deux listes LaREM et LR n'était pas si évidente. Contre ces considérations stratégiques, François Bayrou ne pouvait pas grand-chose et ne le peut pas plus aujourd’hui.

Comment peut-il selon vous retrouver son poids politique ?

On évoquait au début de cet entretien l’un éléments qui pourrait lui permettre de retrouver un poids politique  prouver qu’il a encore un poids électoral local, notamment lors des élections municipales qui s'annoncent. Mais plusieurs considérations sont à prendre en compte. La première est que, stratégiquement, LaREM, parti, nouveau, a impérativement besoin de créer son propre ancrage local, et de le créer de manière indépendante, c'est-à-dire sans se subordonner à une force politique préexistante ou la soutenir. Comme l’est d’ailleurs aussi son rival Édouard Philippe, François Bayrou pourrait donc être déçu en voyant des candidats LaREM se dresser face à des élus sortants. À Bordeaux ainsi, LaREM a investi Thomas Cazenave alors que le MoDem est dans la majorité du maire juppéiste sortant Nicolas Florian…

La deuxième considération est que le centre a longtemps bénéficié d’alliances favorables qui surestimaient sans doute son poids politique réel. Or le mode de scrutin des municipales, qui permet une recomposition des listes entre les deux tours, permet aussi d’éviter une répartition initiale à l’aveugle des candidats sur une liste d’union, pour ne faire cette répartition que lors d’une alliance finale, chacun des partenaires ayant alors clairement évalué auparavant sa force politique réelle.

Or, troisième considération, il n'est pas évident que cela servira François Bayrou. On peut en effet penser que le MoDEM dispose d’élus et de relais dont ne dispose pas encore LaREM. Mais il tout autant permis de se demander si le « dégagisme » qui a prévalu en 2017, et joué encore en 2019, ne frappera pas en 2020 des élus locaux qui, à la suite des restructurations des collectivités locales, ont fini par perdre le lien direct qu'ils avaient autrefois encore avec leurs administrés.

C’est pourquoi on peut se demander si François Bayrou sortira vainqueur des négociations en cours, et s’il ne préfèrera pas, pour sauver les places de quelques-uns, éviter une confrontation trop directe dans la plupart des grandes villes – quand bien même reprendrait-elle une fois encore la thématique de la « petite voix » qu’il faudrait faire entendre pour le nécessaire pluralisme au sein de la majorité présidentielle…

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