La démence sénile, nouveau serial killer chez les femmes<!-- --> | Atlantico.fr
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On estime le nombre de cas de démence en France aux alentours d'un million.
On estime le nombre de cas de démence en France aux alentours d'un million.
©Pixabay

Folie

On estime le nombre de cas de démence en France aux alentours d'un million, ce qui en fait de loin le premier problème de santé publique. Si les femmes sont davantage touchées que les hommes, c'est parce qu'elles vivent plus longtemps, mais aussi à cause de facteurs d'ordre biologique.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Atlantico : Gavin Terry, responsable de la Société d'Alzheimer, a déclaré: "Avec 225 000 personnes touchées par la démence chaque année et un nombre qui monte en flèche, la démence est un des plus grands problèmes de santé auquel le Royaume-Uni fait face." Qu’en est-il en France?

André Nieoullon : Vous avez raison, les démences représentent, et de loin, le premier problème de santé publique en France, comme partout dans les pays industrialisés. Aujourd’hui les estimations sont autour d’un million de cas, dont 860.000 malades souffrant d’une forme ou d’une autre de maladie d’Alzheimer. En fait le tableau démentiel est assez hétérogène et comporte dans un nombre élevé de cas des composantes vasculaires, qui accompagnent les processus dégénératifs liés plus spécifiquement à la maladie d‘Alzheimer. Pourquoi cette augmentation constante du nombre de cas ? Très vraisemblablement parce que le principal facteur de risque connu et avéré de la maladie d’Alzheimer et des démences associées est l’avancée en âge. De fait, il se trouve relativement peu de cas avant l’âge de 60 ans, sauf de rares formes d’origine génétique sur lesquelles nous reviendrons, et ensuite le nombre de cas augmente rapidement de façon quasi exponentielle avec l’avancée en âge.  Et cela atteint des chiffres effrayants, considérant qu’au-delà de 85 ans c’est une femme sur quatre à une femme sur trois qui est atteinte de démence. Une perspective peu encourageante si l’on prend en compte que l’espérance de vie pour une femme aujourd’hui est justement de l’ordre de 85 ans. Dans ce contexte il est alors aisé de comprendre pourquoi il s’agit d’un problème majeur de santé publique, considérant aussi que la maladie se développe sur une dizaine d’années en moyenne et qu’elle génère un handicap doublé d’une dépendance ayant un impact humain inacceptable et un coût social absolument faramineux.

La démence sénile est aujourd'hui la première cause de mortalité des femmes, causant au moins trois fois plus de décès que le cancer du sein. Pourquoi les femmes sont-elles plus touchées?

La réponse est déjà en partie dans la réponse précédente : d’abord parce que les femmes vivent plus âgées que les hommes, environ 5 années de plus en moyenne et donc, mécaniquement, la proportion de femmes atteintes est plus élevée parce qu’elles vivent plus longtemps et que le risque augmente avec l’âge. Mais ceci n’est qu’un constat. Pour le biologiste l’explication n’est pas connue mais il est possible que certains facteurs génétiques encore non identifiés puissent créer une vulnérabilité chez les femmes particulièrement. Cela étant, il y a bon nombre d’hommes qui sont également atteints par la maladie du fait de la progression de la durée de la vie à laquelle nous assistons également chez eux, heureusement par ailleurs. L’une des explications toutefois avancée assez régulièrement dans la littérature est liée au fait que les hormones féminines, les œstrogènes, ont un effet "protecteur" sur les neurones. Dans ce contexte, la ménopause pourrait alors représenter un moment d’augmentation du risque lorsque la production d’œstrogènes diminue considérablement. A cet égard, bien que les données puissent être contestées par certains auteurs, d’autres admettent que le traitement substitutif hormonal (TSH) puisse être susceptible de "protéger" le cerveau de la maladie d’Alzheimer, voire de ralentir les effets de la maladie lorsque celle-ci est déjà présente.

On ne connait actuellement pas le facteur déclenchant qui fait que la cellule disparaît. Mais quelles pistes de réflexion la recherche médicale peut-elle apporter?

Le processus qui conduit à la mort des neurones n’est pas élucidé à ce jour et de nombreux travaux sont encore nécessaires pour comprendre le processus physiopathologique. Toutefois nous avons de nombreux résultats qui montrent que la maladie d’Alzheimer s’accompagne de changements structuraux qui conduisent à la disparition de neurones particuliers du cerveau. Il s’agit de microscopiques accumulations de protéines qui s’installent progressivement et qui sont vraisemblablement à l’origine de la mort de ces neurones. Ces protéines sont identifiées pour certaines, dont deux principales jouant des rôles divers : la protéine amyloïde, qui s’accumule à l’extérieur des neurones dans des entités que l’on nomme "plaques séniles" et qui sont nombreuses dans le cerveau des malades, et une autre protéine dénommée "protéine tau" qui s’accumule quant à elle à l’intérieur des neurones, neurones qui vont disparaitre. Ces deux protéines sont des constituants normaux des neurones. Simplement et pour des raisons que nous ne comprenons pas encore entièrement aujourd’hui, dans le cerveau des malades, ces protéines normalement "solubles" perdent leur capacité de solubilité et s’accumulent sous forme d’agrégats. La recherche porte alors ses efforts sur ces mécanismes moléculaires et tente de comprendre ce processus pathologique et d’en cerner l’origine, probablement en partie d’ordre génétique.

Pourquoi est-il difficile de détecter une démence chez une femme? Quels sont les signes avant-coureurs de cette maladie? Et quels sont les procédures de pronostiques?

Les tableaux démentiels sont d’une très grande variété et s’installent de façon très insidieuse, sous des formes diverses qui font que c’est rarement le malade qui se rend compte de son état au tout début de la maladie mais plutôt son entourage. Conventionnellement le grand public imagine que la maladie commence par des troubles de la mémoire évidents. Il n’en est rien et il est parfois plusieurs années avant que l’on puisse porter un diagnostic, suggérant que si la maladie est diagnostiquée en général assez tardivement comme on l’a dit, il n’est pas impossible que le processus pathologique démarre bien plus tôt, faisant que la maladie ne se déclare pas franchement. Les troubles de la mémoire que les séniors craignent tant (la perte des clés, la recherche du mot, ou des noms de personnes, etc.) ne sont en fait que des signes de ce que l’on nomme des troubles "bénins" de la mémoire et ne sont pas particulièrement inquiétants. Par contre, lorsque la personne commence à présenter des troubles de ce que nous qualifions la sphère "spatio-temporelle", c’est-à-dire qu’elle a une propension à l’égarer ou à ne plus savoir quel jour nous sommes, alors il y a lieu de consulter un neurologue et de faire un bilan de la mémoire.Lorsque la démence sénile est dite modérée, quels sont les moyens de contrer une démence sévère?

Au stade actuel de l’avancée des connaissances, il faut admettre que nous ne disposons pas de médicament efficace pour traiter la maladie d’Alzheimer. Tout au plus, dans les premiers  stades de la maladie, ce que vous appelez la démence modérée, certains médicaments sont à même de prolonger quelque peu l’autonomie des malades et leur sociabilité, étant entendu que, comme cela a été mentionné, lorsque la maladie progresse le malade devient inéluctablement dépendant de son entourage et de ses aidants. Bien entendu la recherche progresse et une centaine de médicaments potentiels sont en voie d’expérimentation. Mais il faut reconnaître avec honnêteté qu’à ce jour la plupart des pistes sont restées infructueuses en dépit d’efforts considérables de la communauté des chercheurs.

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