La Chine serait-elle en train de discrètement renoncer à sa stratégie diplomatique du "loup guerrier" ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Zhao Lijian a été un ardent défenseur de la thèse complotiste et révisionniste selon laquelle les États-Unis auraient été à l’origine de la Covid-19.
Zhao Lijian a été un ardent défenseur de la thèse complotiste et révisionniste selon laquelle les États-Unis auraient été à l’origine de la Covid-19.
©Greg Baker / AFP

Diplomatie

La Chine a écarté du ministère des Affaires étrangères l'un des plus fidèles du président Xi Jinping.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : La Chine a placé Zhao Lijian à la tête du département des affaires frontières et océaniques. Cet homme de 50 ans était auparavant un proche conseiller du ministre des Affaires étrangères et était devenu depuis février 2020 l'un des fonctionnaires les plus en vue de Chine, avec près de 8 millions d'adeptes sur le réseau social Weibo. A quel point ce personnage a-t-il eu son importance ces dernières années ? Quelle était son idéologie ?

Emmanuel Lincot : Porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Zhao Lijian a fait des études en Corée avant d’être nommé secrétaire d’ambassade au Pakistan. Il est de la même génération que Lu Shaye, actuel ambassadeur en France, ou Qin Gang fraîchement nommé ministre des Affaires étrangères. C’est un « loup combattant » qui ne mâche pas ses mots et qui, côté chinois, a très tôt eu recours à la diplomatie sur Twitter. Il a été un ardent défenseur de la thèse complotiste et révisionniste selon laquelle les États-Unis auraient été à l’origine de la Covid-19. Son agressivité à l’encontre des ennemis de la Chine va désormais se reporter sur des pays de la périphérie chinoise avec lesquels Pékin entretient des relations souvent conflictuelles, que ce soit le Vietnam ou le Japon. Zhao Lijian est en tout cas le symptôme d’un changement de paradigme dans l’histoire de la diplomatie mondiale. Il y a encore 20 ans, lorsqu’un diplomate avait son nom dans un journal c’était en quelque sorte déchoir et par rapport à son rang et par rapport à la discrétion pour ne pas dire la culture du secret dont il était, de par ses fonctions, le dépositaire. Secrétaire (d’ambassade) en français comme « mishu » en chinois nous renvoient précisément à cette attitude comme habitée par le « secret » (la racine est commune) et l’opaque. De ce point de vue, avec ses éclats et ses 8 millions d’adeptes sur Weibo. Zhao Lijian est aux antipodes de la diplomatie au sens le plus traditionnel. 

Pourquoi les autorités chinoises ont procédé à ce changement ?

Pour l’écarter sans doute des écrans radars occidentaux et parce que symboliquement le ministre des Affaires étrangères changeant, les postes les plus médiatiques doivent également changer. On y voit une promotion mais dans les faits Zhao Lijian n’a pas l’envergure d’un grand diplomate non plus que l’expérience des hauts postes. C’est un idéologue qui doit ses avancements de carrière à la fidélité qu’il porte à l’orthodoxie de Xi Jinping. Cynique, le président l’expose aux avant-postes de confrontations qui promettent d’être rugueuses. Il va être éprouvé et sa nomination peut être aussi une façon de vouloir s’en débarrasser. 

Cette décision intervient deux semaines après l’arrivée d’un nouveau ministre des Affaires étrangères. La Chine est-elle en train de modifier en profondeur sa stratégie diplomatique du « loup guerrier » ?

Je ne le crois pas. Qin Gang succède à Wang Yi parce qu’il était ambassadeur à Washington. Or, vu de Pékin, la relation la plus complexe, la plus dangereuse aussi donc jugée la plus importante est celle que la Chine entretient avec les Américains. Et fondamentalement, dans le système communiste chinois, il ne faut jamais perdre de vue le fait que les Affaires étrangères relèvent de la compétence de deux ministres et le plus important des deux, Yang Jiechi en l’occurrence, est en phase directe avec le bureau politique. En somme, cette dyarchie subordonne l’autorité du diplomate à celle de l’idéologue. Il ne faut donc pas s’attendre à un assouplissement mais au contraire une bien plus grande dureté à l’encontre des Occidentaux.

Dans ces conditions, les relations entre la Chine et les Etats-Unis peuvent-elles se réchauffer à moyen terme ?

Pas vraiment. Nous allons entrer dans une phase de très grande anxiété géopolitique. Ni Washington ni Pékin ne voudront céder d’un pouce. Les opinions sont d’ailleurs chauffées à blanc : côté américain, un « China bashing » se développe et l’Europe semble vouloir lui emboîter le pas. Côté chinois, cela ne vaut guère mieux. C’est la recherche du bouc-émissaire qui prévaut. Ce qui est stupéfiant dans ce contexte c’est le silence de l’ONU ou l’incapacité de certains États à vouloir emprunter une voie médiane, conciliatrice et exemplaire. Dans un esprit gaulliste, cette voie, c’est celle incarnée par la France. Où est la France ? Se fait-elle entendre ? Soyons opportunistes et visionnaires: les peuples attendent autre chose que cet ensauvagement généralisé qui peut nous conduire au pire. Les peuples ont besoin qu’on leur parle de culture. Ils ont besoin d’espérance, de dignité, de considération. C’est cela que la France doit porter comme message aux peuples. Tout simplement parce ni les Chinois ni les Américains n’ont en eux les ressources pour le faire et parce que tout le monde comprend que la confrontation sino-américaine est synonyme de mort et n’a donc aucun avenir. Soyons réalistes : cette dure confrontation sino-américaine doit être une chance pour la France. Sachons la saisir et vite !

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