La bombe cachée : quels métiers restera-t-il en 2022 à la France périphérique (et les leçons des régions “oubliées” qui s’en sortent malgré tout) ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
A l'horizon 2022, les services liés à la santé devraient être la source de création d'emploi.
A l'horizon 2022, les services liés à la santé devraient être la source de création d'emploi.
©Reuters

Rats des villes et rats des champs

Le rapport "Métiers 2022" remis au gouvernement mercredi 29 avril ne laisse pas présager un bel avenir pour les régions françaises aujourd'hui sinistrées... Mais ne prend pas en compte les ressources d'un passé glorieux, véritable valeur ajoutée sur laquelle elles pourraient bâtir un avenir meilleur.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

Voir la bio »
Antoine Colson

Antoine Colson

Diplômé d'HEC, Antoine Colson est responsable du marketing et des partenariats pour le salon Parcours France, qui a pour vocation d'aider professionnels et particuliers à s'implanter dans une région de France.

Voir la bio »

Remis au gouvernement mercredi, le rapport "Métiers 2022" de France Stratégie – consultable à l’adresse suivante – pointe des disparités territoriales en matière de répartition des métiers et explore les métiers qui seront demain porteurs de croissance.

Le rapport établit trois scénarios pour la croissance de l'emploi à horizon 2022. Selon le scénario central fondé sur une hypothèse "médiane" de sortie de crise progressive, l’économie française créerait 177 000 emplois par an en moyenne sur la période 2012-2022. Au coeur de cette dynamique, "les services liés à la santé, l’action sociale, l’éducation et les services aux personnes, ainsi que les activités récréatives, culturelles et sportives". D'autres secteurs devraient également être source de création d'émplois comme la distribution, l'hôtellerie ou encore la restauration. 

C'est au sud de la France, dans les régions PACA, Corse, Languedoc-Roussillon et Aquitaine, que l'on trouve d'ores et déjà davantage de professions issues de l’économie résidentielle, c’est-à-dire les métiers "répondant aux besoins de la population résidente ou liés au tourisme". Sur l'axe Atlantique et dans le Sud, l'économie a su se maintenir, "notamment parce que ces régions ont  bénéficié d'un effet démographique qui a permis le développement d'une économie de service", explique Antoine Colson. Tous les pans de l'économie sont donc portés par des dynamiques démographiques. D’ailleurs d'après les estimations du rapport "Métiers 2022", la démographie devrait continuer de bénéficier aux régions du sud, ainsi qu'à l’ouest et aux régions des Alpes. "Ce rapport est marqué par des perspectives d'emploi dans le résidentiel et plus il y a de monde, plus il y a de services mais ces emplois ne sont pas liés à l'innovation", resume Antoine Colson. 

Des projections démographiques qui ne sont, à l'inverse, pas de bon augure pour le Nord et l'Est. Car les régions des "territoires à dominante industrielle" sont impactées par la baisse des emplois industriels et par une démographie en berne. Champagne-Ardenne et Lorraine pourraient perdre "plus de 10 % de jeunes de moins de 20 ans d’ici 2040", comme l’indique le rapport. En matière d’emploi, il y a fort à parier que les tendances mises en exergue sur les périodes précédentes se prolongent d’ici 2022 : ainsi, les territoires du nord et de l’est risquent de rester exclus de la dynamique économique. 
Il suffit de consulter le document publié par l’Insee - Croissance dans les régions : davantage de disparités depuis la crise – pour s’en convaincre. Les régions ayant connu la plus forte croissance de leur PIB entre 2008 et 2011 – de 0,5% à 1,9% par an – sont, évidemment, l’Ile-de-France, mais aussi la Corse, les Pays de la Loire, le Poitou-Charentes et l’Aquitaine. Rhône-Alpes, PACA et Midi-Pyrénées talonnent ces premières régions, avec une croissance par an sur la période située entre 0 et 0,5% - c’est aussi le cas dans le Nord Pas de Calais, la Haute et la Basse Normandie. L’étude de l’Insee montre ainsi que c’est dans le Limousin et la Bourgogne que la croissance économique a été la plus faible sur la période 2008-2011 : leurs PIB ont reculé "respectivement de 1,1 % et 1,2 % en volume et en moyenne par an". 

Autant les professions administratives, conducteurs de véhicules ou autres métiers de proximité sont répartis également sur le territoire, autant les cadres, les ouvriers industriels et ou agricoles font l’objet de distinctions territoriales liées, comme l’indique le rapport, "à l’histoire économique des territoires, à leurs spécialisations sectorielles et aux stratégies d’implantation des entreprises". Ainsi, en 2010, 61% des emplois de cadre se situaient dans les grandes aires urbaines de plus de 500 000  habitants, l'aire urbaine de Paris employant à elle seule 35% des cadres. Outre ce processus de concentration métropolitaine, la réduction des disparités de revenu entre les territoires s'inverse. Mais selon un rapport du think tank Terra nova, il ne faut pas pour autant craindre que les populations n'habitant pas dans une métropole soient laissées de côté. Ce que le rapport désigne sous le nom de "systèmes productivo-résidentiels" (interraction entre l'économie productive et l'économie résidentielle sur un etrritoire donné)  peuvent permettre de trouver "une véritable synergie entre les métropoles et leurs hinterlands résidentiels", et éviter de cette manière une fracture. Ce qui n'empêchera pas une fracture entre ces "systèmes productivo-résidentiels" eux-mêmes.

Atlantico : Quels sont les facteurs historiques qui expliquent que certaines régions s'en sortent aujourd'hui mieux que d'autres ? 

Antoine Colson : Il y a d'abord un effet métropole, même si certaines petites villes tirent leur épingle du jeux malgré tout. Dans certaines grandes villes régionales, on crée aujourd'hui déjà plus d'emplois qu'avant la crise. A Nantes, Lyon, Toulouse et Bordeaux, par exemple. Il y a deux dynamiques : une dynamique présentielle, les villes de Toulouse, Nantes ou encore Bordeaux ont une forte croissance démographique et attirent les gens de la région et même d'autres régions, et cela crée de l'activité et de l'emploi. C'est également le cas d'Arcachon ou encore de La Rochelle. La première dynamique est liée à des flux migratoires, et l'autre à l'entreprise et aux secteurs productifs. Toulouse mélange les deux avec l'aéronautique et les start-ups qui se développent dans les secteurs parallèles mais aussi grâce à des gens qui s'installent parce qu'il fait bon vivre. Il y a un effet d'entraînement tout-à-fait bénéfique.

Des fondements culturels peuvent entre autres expliquer les disparités entre régions. En Vendée, le climat social et le rapport à l'entreprise peuvent être différents. Sur les anciens bassins industriels et en Paca, les relations sont souvent plus difficiles. Pour ce qui est du rapport à l'Etat, les Vendéens sont des chouans, on ne compte pas sur l'Etat pour obtenir sa pitance, l'initiative privée y est davantage valorisée. Je ne dis pas par là que certaines régions attendent tout de l'Etat, loin de là. Mais disons que ceux qui n'en attendent pas tout réussissent mieux que ceux qui en attendent quelque chose. Dans certaines villes préfectures en revanche comme Moulin ou Nevers, la sphère publique fait vivre la ville et il est difficile de faire émerger des entrepreneurs. Dans ces villes, il n'y a pas une grande entreprise locale. Mais ce dynamisme dépend en partie d'une volonté politique. Vitré, où le maire Pierre Méhaignerie va chercher les entreprises, en est un bon exemple.

Quelles sont les solutions potentielles concrètes pour les régions sinistrées en matière d’emploi ? 

Laurent Chalard : Tout d’abord, il convient de rappeler que les projections du rapport "Métiers 2022" reposent sur les projections démographiques de l’Insee, qui souffrent d’un énorme défaut, puisqu’elles reposent uniquement sur un scénario tendanciel, c’est-à-dire le prolongement des tendances constatées depuis 1999, donc elles ne prennent pas en compte l’éventuelle existence d’une rupture structurelle qui viendrait modifier en profondeur les logiques des dynamiques territoriales du pays. Rappelons que dans les années 1970, les projections démographiques et économiques de la Lorraine étaient particulièrement optimistes par rapport au Sud-Ouest de la France, l’Insee n’ayant pas anticipé la crise de la sidérurgie lorraine. Le déclin annoncé de certains territoires n’est donc pas assuré.

Cependant, si la tendance passée venait à se confirmer dans la prochaine décennie, la principale solution pour redynamiser les territoires les plus touchés par le déclin économique serait qu’ils prennent en main leur destin, s’efforçant de sortir d’une logique de guichet vis-à-vis de la capitale,c’est-à-dire d’attendre des subventions de l’Etat pour régler tous les problèmes. Il y a donc nécessité d’une autonomisation de l’économie et des élites politiques locales, sur le modèle breton. Cela passe par un diagnostic réaliste des forces et faiblesses de ces territoires et l’amorce d’une politique visant à renforcer le dynamisme endogène. Il faudrait aussi dans certains territoires un renouvellement des élites politiques locales, souvent trop âgées et consécutivement défaitistes, et une plus grande ouverture sur l’internationale.

Les régions en déclin du Nord-est peuvent essayer de miser sur le développement d’une économie présentielle, tout en gardant en tête que cela ne sera pas suffisant. L’émergence d’une économie présentielle doit avant tout permettre de changer l’image de ces territoires, élément qui dans un second temps sera favorable au renforcement de leur attractivité pour les entreprises. En effet, si l’économie présentielle d’origine française a peu de chances de se développer, pour des raisons climatiques (froid à l’est, pluvieux au nord) et géographiques (éloignement de la mer) essentiellement, par contre, du fait de leur proximité géographique de la mégalopole européenne, leur clientèle potentielle est énorme, car si ces régions se situent au nord pour les Français, pour les Néerlandais, les Belges et les Allemands, elles se trouvent au sud ! Le cas typique est le massif de l’Ardenne, très touristique en Belgique, mais relativement peu côté français alors que les paysages sont les mêmes. Le potentiel touristique du département des Ardennes est donc non négligeable sous réserve d’une valorisation à l’international.

Il convient de distinguer la situation économique de ces régions. En effet, l’Alsace, comme son voisin allemand, se porte relativement bien et n’a pas besoin réellement d’une redynamisation de son tissu industriel. Pour les autres régions, lutter contre la désindustrialisation apparaît complexe, cependant, la spécialisation sur des niches, dans lesquelles une production de qualité est faite, sur le modèle allemand est envisageable, mais nécessite de gros efforts. Concernant plus spécifiquement les solutions envisagées par les travaux de la Datar, si l’alter-industrialisation relève du jargon technocratique qui ne veut pas dire grand-chose, par contre, la reconstruction industrielle verte est effectivement une voie intéressante à prendre.

Antoine Colson : Il serait possible de s'inspirer de quelques exemples américains de la "rust belt" qui connaissaient un solde migratoire négatif. Des régions ont réussi à faire valoir leurs atouts, Baltimore a connu pas mal d'élans de la part de jeunes créatifs. Ces territoires désindustrialisés deviennent des territoires des possibles car il y a des bâtiments, des services publics, des gares, et tout ce qu'il faut pour y vivre correctement à des coûts moindres relativement à ce qui se fait dans les métropoles en plein boum. Ce qu'il faut à ces régions ce sont des pionniers. Il faut donc parier sur la jeunesse mais c'est un pari difficile à relever. Il faut attirer des jeunes, notamment par des écoles de bon niveau. Car ce sont les jeunes qui partent les premiers. Il faut développer des industries créatives. Par exemple, beaucoup de hipsters s'installent à Detroit. C'est la même vague qu'a connue Berlin et l'Allemagne de l'est. Et aujourd'hui avec Londres, c'est le cœur des start-up en Europe.

Mais la feuille de route est propre à chaque territoire. Il faut d'abord aller chercher ce qui fait leur singularité. Par exemple Chaumont, qui fut la capitale des grandes imprimeries de presse, a capitalisé sur ses acquis. Il y a aujourd'hui un festival de graphisme mondialement connu. Et cela attire des créatifs, c'est le genre de personnes que l'on voit dans les espaces de co-working. Cette réussite est liée à l'histoire de Chaumont.

En Franche-Comté, la spécialisation est à la microtechnique, la micromécanique, héritière de la sous-traitance horlogère qu'a connue cette région. Les tout petits éléments de pointe dans le secteur médical, dans l'aéronautique sont fabriqués par des entreprises franc-comtoises. Dans ces régions, la valeur ajoutée par entreprise et par emploi est très élevée. C'est pour cela que je pense que le rapport France 2022 ne montre qu'une réalité partielle.

Il faut miser sur son passé industriel et sur ses entrepreneurs. C'est là que se trouve la valeur ajoutée, c'est ce qui fait le succès de l'Allemagne et du Japon. C'est ce qui donne les possibilités de croissance. Toujours à Chaumont, se trouvent les deux plus grands fabricants de prothèses. Et à l'échelle d'un bassin d'emploi, pour Chaumont, c'est essentiel. L'industrie a beaucoup de valeur ajoutée et ce rapport "Métier 2022" passe à côté de la valeur ajoutée des emplois car on ne peut se contenter de constituer son tissu économique sur de l'économie de services, et notamment de services à la personne.

Comment davantage profiter de la croissance des métropoles, la capter plutôt que la subir ?

Laurent Chalard : Le problème réside dans le fait que les fonctions métropolitaines ne se développent, par définition, que dans les territoires abritant des métropoles, ce qui constitue la faiblesse des territoires concernés du Nord-Est et du Centre. En effet, en-dehors de Lille dans le Nord, ces territoires n’ont pas vraiment de grande métropole ayant une taille suffisamment importante pour attirer de manière massive ces fonctions. Strasbourg demeure trop petite pour être un moteur pour l’ensemble du Grand Est, d’autant plus qu’elle est coincée à la frontière avec l’Allemagne, ce qui freine son développement du fait de l’existence de concurrentes sérieuses de l’autre côté du Rhin. En conséquence, promouvoir les fonctions métropolitaines dans ces territoires relève du vœu pieux !

Quelles leçons peut-on tirer des régions qui s'en sortent ?

Laurent Chalard : En théorie, les régions du Sud-Ouest, qui mêlent attractivité résidentielle et dynamisme économique des grandes métropoles (Bordeaux et Toulouse), se présentent comme des modèles à suivre. Cependant, le contexte local est très différent du Nord-Est et leur développement relève partiellement de la chance, l’aéronautique ayant été portée par l’Etat français dans ces régions à l’origine car elles étaient éloignées de la frontière allemande dans l’Entre-deux-Guerres. Finalement, c’est plutôt vers les régions industrielles de l’ouest, comme le district du choletais ou la Vendée, au contexte plus proche, qu’il faudrait regarder.

La Vendée est un cas particulier car son développement industriel repose sur de fortes densités rurales et la présence d’une population relativement jeune et bien formée, ce qui n’est pas vraiment le cas dans le nord-est, où sauf exception, les densités rurales sont très faibles et les jeunes, de moins en moins nombreux, sont mal formés. En conséquence, l’enseignement que l’on peut tirer du modèle vendéen est que la bonne qualité de la formation est indispensable pour donner les moyens aux jeunes d’entreprendre sur place plutôt que de migrer vers d’autres territoires. Dans le Grand Ouest, on peut donner un exemple qui donne de l’espoir, qui est la tenue du Laval Virtual à Laval, salon international des nouvelles technologies de réputation mondiale, qui entraîne la création de start-ups dans la réalité augmentée par des jeunes mayennais. Même si le phénomène n’est qu’émergent, il témoigne bien que dans des régions rurales, avec une formation adéquate, l’innovation est possible.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !