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La Belgique en accusation après les attentats du 13 novembre : pourquoi la plainte de la mère d'une victime pourrait se révéler fort utile au plat pays
©Reuters

Mauvaise blague belge

Alors que la mère d'une victime des attentats du 13 novembre décédée au Bataclan envisage de porter plainte contre la Belgique pour avoir laissé le terrorisme islamiste s'installer dans la commune de Molenbeek, cette plainte pourrait bien être fort utile à un système politique vérolé de l'intérieur.

Dominique Dupont

Dominique Dupont

Dominique Dupont est une journaliste belge, travaillant dans l'un des plus important journal quotidien du pays. Elle s'exprime ici sous un pseudonyme.

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"Molenbeek est un laboratoire social qui dérange et continuera à déranger, disait-il. Quels mots prophétiques!".

Voilà ce qu’exprimait au lendemain des attentats du Bataclan Hendrik Vuye, le chef de groupe N-VA au parlement fédéral de Belgique en reprenant, non sans ironie, les propos de Philippe Moureaux, celui qui fut maire de Moleenbeek durant vingt années sans discontinuer pour le plus grand malheur de nombreux Belges… et des Parisiens.

Alors que mercredi une énième perquisition était encore menée dans cette commune bruxelloise désormais mondialement célèbre, faut-il réellement s’étonner qu’une plainte puisse être déposée par la maman d’une victime du Bataclan contre la Belgique ? En effet, c’est ce qu’a dernièrement laissé entendre sans aucune ambigüité sur le plateau de BFMTV Mme Nadine Ribet-Reihart dont le fils Valentin, jeune avocat, a perdu la vie le 13 novembre dernier.

En réalité, une fois de plus il est sidérant de constater combien la Belgique s’enfonce dans le déni. En effet quand la plupart des assaillants qui ont participé à l’équipée sauvage qui a tué plus de 130 personnes et blessé 350 autres sont originaires ou en lien direct avec Molenbeek, ce qui semble anormal, c’est justement de constater l’absence de questionnement public par rapport à cette interpellante réalité.

Dans ce contexte, la volonté de cette mère de victime, elle-même victime, de faire émerger des responsabilités dans le chef des autorités qui ont laissé filer Molenbeek dans sa dérive islamiste dérange au plus haut point.

L’actuelle maire de Molenbeek, Françoise Schepmans, qui y exerce de hautes fonctions depuis plus de vingt ans a troqué son rire nerveux du lendemain des attentats pour une mine sinistre que chaque action menée par la police dans son fief djihadiste vient assombrir un peu plus.

Pas de chance pour l’équipe en place, voilà une victime qui a choisi de ne pas courber l’échine et qui ne compte pas s’en tenir à « une marche blanche » avec son traditionnel « lâché de ballons » et sa salve de « plus jamais ça » immédiatement atténuée par les « pas d’amalgames » de circonstance.  Non, ce que Mme Ribet-Reinhart semble rechercher, ce sont des réponses pragmatiques par rapport à l’enchaînement des décisions qui auraient pu éviter le drame du 13 novembre et qui n’ont pas été prises par les personnes compétentes.

Interrogée par la presse belge, Marie-Aude Beernaert, professeur de procédure pénale à l'Université Catholique de Louvain se dit sceptique quant à l’issue d’une telle plainte qui déboucherait selon elle au mieux sur  "la condamnation d'une ou plusieurs personnes physiques et des dommages et intérêts sans commune mesure avec le préjudice subi". En réalité, tout dépend de l’objectif poursuivi par cette mère qui a quasiment tout perdu. Comme il est évident que son but n’est pas d’obtenir des institutions belges qu’elles lui versent un dédommagement à neuf chiffres, le simple fait de parvenir à épingler les manquements dans le chef de certains et de mettre des noms sur les responsables, même si ceux-ci écopent de peines symboliques constituerait une indubitable victoire.

Ce serait une façon de parvenir à ce qu’il y ait un « après-Molenbeek », comme il y a eu un « après-Seveso » en envoyant un signal fort aux responsables politiques pour leur indiquer que leur responsabilité est réellement engagée, pour le meilleur. Et pour le pire aussi ! Ce serait une façon de dépasser la dimension tragique de ces événements pour qu’ils trouvent une finalité ailleurs que dans l’horreur absolue voulue par les terroristes. Ce serait une opportunité pour réaffirmer la force de notre société, et notre résilience aussi. La vraie, celle qui conduit à réformer les systèmes qui dysfonctionnent, comme c’est malheureusement le cas en Belgique.

Que les Belges ne s’y trompent pas. Cette action venue de France n’est pas une offense, mais une véritable occasion dont il faut s’emparer avec raison pour déconstruire un système bancal. Il faut permettre à la justice de se pencher avec mesure sur un tournant de notre histoire qui, s'il est mal négocié, risque de nous plonger dans le déchaînement incontrôlé des passions. Aucun système n’aime voir ses têtes tomber. Pourtant, il faudra, tôt ou tard y consentir. Sinon, d’une façon ou d’une autre ce sont les fondements mêmes de la démocratie qui seront à terme menacés.

Rappelons-nous déjà à ce stade tout ce que nous avons perdu en quelques années dans notre vie de tous les jours en termes de sécurité et donc de liberté. Nous avons intégré le risque terroriste dans notre quotidien au même titre que les données météorologiques. Ceci n’est pas une grande victoire des terroristes comme certains voudraient nous le faire croire. A vrai dire, les terroristes n’ont même aucun mérite car c’est bien l’inaction du politique et sa complaisance systématique avec le pire qui permet aux terroristes de s’installer, de prospérer et de fonctionner souvent aux frais du contribuable.

Après la violente agression le 15 janvier contre des équipes télévisées de FR3 et de RTL-TVI venues enquêter sur Chakib Akrouh, l'un des acteurs clés des attentats de Paris mort durant l'assaut, Molenbeek a encore été le théâtre d'une attaque cette fois menée par des mineurs contre des militaires. Comme le souligne l'analyste belge Nicolas Baygert, en termes d'image, cette commune est entrée dans une spirale négative que chaque nouvel événement vient amplifier.  "De quoi Molenbeek est-il devenu le nom?" soulevait-on lors de l'émission radio dominicale "Les décodeurs" sur la RTBF.  "De l'insécurité et de l'islamisation", répond Nicolas Baygert en commentant l'échange animé sur le plateau de FR2 entre Alain Finkielkraut et Daniel Cohn-Bendit concernant cette entité de l'Ouest de Bruxelles qui n'en finit pas de distiller quotidiennement sa singularité.  

Voilà qui ne fait pas vraiment l’affaire de Françoise Schepmans. A court d’argument, cette dernière dit aujourd’hui entendre « l’émotion » de Mme Nadine Ribet-Reinhart et propose de la rencontrer. Que n’a-t-elle entendu jadis les nombreuses voix qui se sont élevées pour lui indiquer combien la ficelle électorale du communautarisme était éminemment explosive ! Jusqu'à présent, toutes les tentatives lancées pour changer la donne se sont cantonnées à l'image et à des mesures cosmétiques.

Le politique tente vainement de diluer la gravité du recul de l'Etat dans le festif que ce soit en organisant des veillées aux chandelles où les colombes de la paix croisent de nombreux coeurs  ou en installant une surréaliste cabine téléphonique en face de la maison communale qui permet aux Molenbeekois de raconter la banalité de leur quotidien à ceux qui voudraient dissiper leurs craintes quant à un séjour à Bruxelles. La chimérique entreprise de "déradicalisation" que les autorités bruxelloises imaginent pouvoir mettre sur place devait emprunter le chemin de l'entertainment... jusqu'à ce que l'humoriste Ismaël Saïdi jette l'éponge, suivi par d'autres. A Molenbeek, ça ne rigole pas! Et le spectacle de l'humoriste français Yassine Bellatar venu soutenir l'adjointe au maire écologiste pour la jeunesse, Sarah Turine, islamologue de formation n'y changera rien. 

A présent, on imagine mal qu’à l’image d’un Obama, la maire puisse se sortir de la tourmente en exhibant face caméra un coin d’œil un peu humide qu’elle prolongerait d’un échange solennel de Kleenex. Mais comme en Belgique tout semble possible, peut-être aurons-nous droit à ce genre d’exhibitionnisme « émocratique » très en vogue.  Mais c'est de bonne guerre car de toute façon, il n’y a rien à perdre puisque dans le rationnel, point de salut. Les faits sont accablants… 

Aujourd’hui, la bourgmestre MR de Molenbeek sait, plus que jamais, que son sort est scellé à celui de son meilleur ennemi de toujours et partenaire politique d’hier, le PS Philippe Moureaux qui l’a précédée à ce poste. Le livre de ce dernier sur la dérive molenbeekoise est attendu prochainement en librairie. Le bougre devrait ainsi réussir à rester maître du jeu jusqu’à son dernier souffle dans un cynique « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette …»

Ces compromis à l’échelon localo-local qui ont permis à l’ensemble des formations politiques de se cacher derrière le petit doigt en invoquant une mixité fantasmée -là où en réalité ils ont substitué une population à une autre- débordent sur les autres niveaux de pouvoirs. Le MR et le PS jouent depuis tellement longtemps à polariser ce jeu de dupes - dans lequel ils ont entraîné les partis utilisés pour faire l’appoint comme Ecolo, le CDH ou le FDF- que finalement plus grand chose ne les distingue. Ni dans le programme. Ni dans les pratiques politiques. Les postes sont négociés et subtilement swappés dans un complexe tableau à entrées multiples où se bousculent des paramètres politiques, linguistiques et institutionnels. 

Voilà pourquoi paradoxalement alors que les occasions d’évincer l’ennemi n’ont jamais été à ce point nombreuses, la caste politique belge francophone ne s’est jamais sentie aussi soudée qu’au lendemain de ce drame. Pour preuve, malgré la gravité des faits qui se sont déroulés à Paris et que tout semble relier à Molenbeek, aucune volonté dans le sens de la mise en place d’une commission parlementaire n’a été évoquée au fédéral… Il y a une majorité. Il y a une opposition… et une hypocrite union sacrée. La gravité et la récurrence des faits a tout de même poussé le gouvernement fédéral belge à mettre un ensemble de mesures sur la table, telle la possibilité de mener des perquisitions 24h/24h. Inacceptable selon le président du tribunal de première instance de Bruxelles qui juge la mesure "terriblement attentatoire aux libertés". 

Dans un tel climat, la plainte de Mme Ribet-Reinhart pourrait très bien ne déboucher que sur une grande opération de communication à l’image de celle a qui tenu le pays en haleine dans le cadre de l’affaire Dutroux et au cours de laquelle on a pu voir quelques lampistes se faire lyncher en public pendant que  les meilleures scènes étaient diffusées en mondovision. Quant aux conséquences politiques, hormis une coûteuse réforme des polices qui n’a pas résolu les problèmes de sous effectif et de sous financement, c’est le néant.

C’est à l’aune de ce mémorable précédent qu’il faut interpréter l’initiative de Vincent Gilles, président du Syndicat Libre de la Fonction Publique section Police qui a exprimé dans une lettre ouverte le désarroi de la police en réponse au possible dépôt de plainte de Nadine Ribet-Reinhart.

« J’ai voulu assurer cette dame que les services de police belges ont toujours mis tout en œuvre pour contrer la menace terroriste. Mais nous devons travailler dans des conditions de plus en plus difficiles en termes d’effectifs et de moyens. Nous avons perdu 200 millions et nous demandons à les récupérer. Parmi les 18 mesures présentées par Charles Michel il est question de dégager un budget supplémentaire de 400 millions pour la sécurité. Nous demandons que la moitié soit affectée à la police » explique le représentant syndical de la police.

Dans la zone de police Ouest, celle qui recouvre Molenbeek, depuis plusieurs années, il manque près de 150 hommes sur un effectif de 600 ! Plus d’un an après l’assaut de la police belge donné contre la cellule terroriste de Verviers, rien n’a été mis en œuvre pour améliorer les conditions de travail. 

Outre les hommes et les moyens, Vincent Gilles plaide pour un assouplissement des règles des marchés publics qui s’appliquent à ses services et qui ne tiennent aucun compte de la spécificité du matériel destiné à la police. « Me croirez-vous si je vous dis que nous sommes contraints d’acheter les fusils de nos snippers en seconde main auprès des services néerlandais pour en accélérer leur acquisition ? » nous dit Vincent Gille avant d’ajouter : « Pouvez-vous vous imaginer les difficultés que nous rencontrons pour commander du matériel lorsqu’il est fabriqué en dehors de l’UE  comme les boucliers tactiques  made in USA ? C’est pourquoi nous demandons de toute urgence à bénéficier du même régime que les services de la défense pour l’attribution des marchés concernant le matériel de police ».

En Belgique, on ne pourra pas taxer les forces de l’ordre d’inaction. Au contraire, elles sont mises sous pression. A vrai dire, plus que de réels dysfonctionnements, la Belgique souffre de ses égarements idéologiques. La Belgique est devenue le train fou du communautarisme qu’il aurait fallu stopper dans son racolage éhonté du vote ethnique. Au contraire, cette lame de fond a bénéficié d’un coup d’accélérateur lors de l’adoption du droit de vote des étrangers hors UE.

Elle souffre aussi de la médiocrité du niveau de sa classe politique. Comment peut-on raisonnablement confier la sécurité d’un pays, fut-ce petit comme un mouchoir de poche, à une ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet, qui non contente de se mettre en scène dans un selfie avec un djihadiste (depuis lors décapité par ses coreligionnaire en Syrie) maintient dur comme fer dans une émission de téléréalité, face à une classe d’enfants médusés qui tentent vainement de la reprendre, que les dauphins sont des poissons ?

On dirait une blague belge. Mais c’est en Belgique que le drame du Bataclan s’est joué. Depuis de années des voix se sont élevées pour dénoncer la dérive islamiste qui gangrénait Molenbeek, et pas seulement. Mais elles ont été systématiquement tues. Il faut avouer qu’en Belgique francophone, dans un univers médiatique traditionnel totalement acquis à la gauche qui parle d’une seule voix, celle du pouvoir subsidiant et qui ne connaît pratiquement qu’un seul genre, l’hagiographie à la gloire des représentants de ce pouvoir subsidiant, l’ouvrage de Laurent Obertone, La France Big Brother, trouve l’un de ses plus formidables terrains d’expression.

Dans cet entre-soi, dans un système aussi fermé que celui qui s’est progressivement institué en Belgique, les possibilités de changement sont rares et peuvent difficilement émerger de l’intérieur. C’est pourquoi, Madame, votre initiative est tellement nécessaire à la Belgique, ce petit pays où la lassitude a à ce point gagné la population qu’on y mesure désormais le taux d’abstention alors que le vote y est pourtant obligatoire…

Toutes les bonnes âmes peuvent répéter en boucle qu'il ne faut pas stigmatiser, ni céder aux amalgames et poursuivre en assénant un véridique et incontestable "tous les habitants de Molenbeek ne sont pas des terroristes ni des islamistes en puissance". C'est évident et on est en est bien conscients, au même titre que nous savons tous que durant la seconde guerre mondiale seule une infime minorité des Allemands étaient membres du parti nazi, et que probablement seulement 2% de la population française était active dans la résistance. Tout conflit se joue à la marge. Dès lors,  les seuls effectifs à prendre en considération sont les minorités agissantes. Grâce à Molenbeek, il sera  peut-être possible de déterminer à partir de combien d'individus se situe le seuil critique pour "perdre" une population de 90.000 habitants...  

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