La bataille du Nil<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
L’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie sont en négociation depuis de nombreuses années au sujet de la gestion et du remplissage du réservoir du grand barrage construit sur le Nil Bleu
L’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie sont en négociation depuis de nombreuses années au sujet de la gestion et du remplissage du réservoir du grand barrage construit sur le Nil Bleu
©ZACHARIAS ABUBEKER / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

L’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie sont en négociation depuis de nombreuses années au sujet de la gestion et du remplissage du réservoir du grand barrage construit sur le Nil Bleu. Le Soudan a demandé officiellement lundi 15 mars à l’ONU et aux Etats-Unis de jouer les médiateurs dans les négociations.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

Voir la bio »

Le grand barrage éthiopien de la renaissance a une nouvelle fois défrayé la chronique avec le voyage récent du Président égyptien Al Sissi à Khartoum, la capitale soudanaise. L’objectif de cette rencontre était de constituer une alliance entre les deux pays, un front contre l’Éthiopie et ce barrage.

Cet accord illustre l’importance du sujet pour ces deux pays dont les relations ne s’apparentent pourtant pas à un « long fleuve tranquille », notamment à cause des différends frontaliers.

L’enjeu de cette bataille du Nil est le remplissage du bassin de rétention de ce barrage éthiopien avec le tarissement du débit, la diminution des apports de limon et donc de l’approvisionnement des barrages situés en aval.

Pour l'Égypte, le sujet est vital. Le Nil est sa colonne vertébrale, son oxygène. Sans ses eaux, ses alluvions, les rendements agricoles diminueront et le Nil ne serait plus le fleuve nourricier qu’il a été depuis la nuit des temps. On pourrait assister à la onzième plaie d’Égypte ; rappelons-nous que la crue du fleuve a été divinisée avec Hâpy.

Premier responsable du pays de 1991 à sa mort en 2012, M. Meles ZENAWI a lancé en 2013 la construction du premier barrage hydroélectrique d’Afrique d’une capacité de 6 500 MW ; le remplissage du réservoir devrait commencer en 2022. S’il ne se trouvait pas en Ethiopie, on dirait qu’il s’agit d’un ouvrage pharaonique : 1 800 m de longueur sur 170 m de hauteur, un réservoir de 79 km²… Ce projet s’inscrit dans un plan de construction de barrages engagé à partir de 1995 pour augmenter les surfaces irriguées et accroître les capacités électriques d’un des pays les plus pauvres au Monde, avec un peu plus de 600 $ de PIB par habitant.

Si le Nil est le poumon de l’Égypte, il est la bouée de sauvetage de l’Éthiopie ! Les enjeux sont cruciaux pour ces pays dont les besoins sont corrélés avec

  • Une forte croissance démographique. L’Égypte a dépassé la barre des 100 millions d’habitants, l’Éthiopie en compte 108 et le Soudan 45.
  • Une vive croissance économique. De 45 Md$, le PIB égyptien est le triple de celui éthiopien et plus du sextuple du soudanais. Depuis une décennie, le PIB de l’Éthiopie enregistre une croissance de près de 10 % ; ses besoins en eau et électricité sont essentiels.

Même si l’Égypte et le Soudan sont les deux pays les plus concernés, le sujet dépasse ces États. Couvrant plus de 3,2 millions de km², le bassin du Nil s’étend sur 10 % de la superficie du continent africain et concerne 11 pays (Burundi, Égypte, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Ouganda, République démocratique du Congo ou Congo-Kinshasa, Rwanda, Soudan, Soudan du Sud et Tanzanie) ; c’est le troisième bassin après ceux de l’Amazonie et du Congo.

Long de 6 400 à 6 700 km², le Nil est le résultat de la confluence du Nil bleu et du Nil blanc qui se réalise à Khartoum :

  • Le Nil bleu est la branche orientale du fleuve et s’écoule en Éthiopie, Érythrée et Soudan ; avec 1 400 km, il est plus court mais contribue à 90 % du débit et 96 % des sédiments.
  • Le Nil blanc est la branche occidentale et débute au Lac Victoria.

Le sujet est compliqué car les États concernés ne peuvent s’affranchir de l’eau et des limons du Nil et il ne peut y avoir de situation gagnant-gagnant. Il y a forcément un, voire plusieurs perdants. Cette absence de perspective s’inscrit dans un contexte de lourd passif hérité des traités coloniaux :

  • Avec le traité anglo-éthiopien du 15 mai 1902, Londres impose à Ménélik II et à l’ancien pays de Pount de ne pas construire de barrage et de ne pas perturber le cours du fleuve

Après avoir imposé cet accord totalement déséquilibré, l’Angleterre a continué à imposer ses règles entre ses deux colonies d’Égypte et du Soudan avec les traités de 1906 et de1929.

  • L’accord de 1959 entre l’Égypte et le Soudan a permis au les constructions des barrages d’Assouan et de Roseires sur le Nil Bleu ainsi que le partage du débit annuel entre les deux pays. Les deux pays s’entendent sans associer l’Éthiopie.

Il s’agit de traités dolosifs qui expliquent l’attitude éthiopienne consistant à agir de manière unilatérale, ce qui fonde le reproche le Président égyptien. Ayant besoin du Nil, l’Éthiopie se soucie peu fort peu des conséquences pour ses voisins qui l’ont négligée durant plus d’un siècle !

L’enjeu est tel pour les économies concernées que le risque de guerre n’est pas à exclure. Il est néanmoins peu vraisemblable. Que peuvent faire les Égyptiens, les Soudanais ? Bombarder le barrage de la discorde ? La réplique serait tout aussi catastrophique car les protagonistes ont aussi des points faibles avec leurs barrages et surtout Assouan et Rosières. Envahir l’Éthiopie ? Égyptiens et Soudanais doivent se souvenir de l’amère expérience des Italiens qui n’ont ni oublié la défaite d’Adoua de mars 1896, ni réussi à s’implanter entre 1936 et 1941.

Seule une négociation peut permettre de trouver un pis-aller. Aucune procédure diplomatique n’a été à ce jour couronnée de succès, ni la médiation américaine d’il y a un an, ni le Conseil de sécurité de l’ONU, ni l’intervention de l’OUA. La communauté internationale doit se mobiliser pour aider les Parties à trouver une solution. Dans ces conditions, comment régler cette pomme de discorde ?

La question la plus problématique est la durée de remplissage du réservoir ; les Éthiopiens souhaitent le réaliser en 7 ans ; les Égyptiens et Soudanais demandent un étalement sur 21 ans. Un arbitrage doit être trouvé entre la durée et les délais nécessaires à la mise en place ou au développement des solutions alternatives :

  • Le contrôle et la limitation de l’évaporation
  • La récupération des eaux, leur épuration et réutilisation. L’Égypte a un vrai savoir-faire en ce domaine avec notamment la station de Gabal El Asfar construite sur financement de l’Agence française de développement, également impliquée dans celle d’Alexandrie Est.
  • L’accroissement des capacités de dessalement.

La solution est loin d’être trouvée, et il faut espérer que la patience prévale et que les événements ne prennent pas une tournure critique.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !