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La 5G devait être une révolution technologique. Ses promesses sont loin d’avoir été tenues
©PAU BARRENA / AFP

Déception

Si la 5G a longtemps été présentée comme une révolution technologique, son utilisation reste aujourd'hui limitée malgré un déploiement très coûteux

Pierre  Ledru

Pierre Ledru

Pierre LEDRU travaille dans les télécoms depuis plus de 30 ans. Après une expérience de 10 années, expatrié comme assistant technique aux autorités locales des Télécoms au Yémen, il devient formateur puis formateur-développeur à l’institut de formation Alcatel-Lucent. Il possède une grande expérience de la téléphonie et a suivi toutes les évolutions de la ToIP.

Il est également acteur amateur de théâtre et appartient à la troupe du théâtre de la griffe.

Il est notamment l'auteur de Téléphonie sur l'IP (ToIP).

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Atlantico : Que pouvons-nous dire aujourd’hui du déploiement de la 5G ? Dans quelle mesure ce déploiement a-t-il été décevant ?

Pierre Ledru : La 5G n’était pas une révolution, mais une évolution devant permettre de diminuer ce que l'on appelle les temps de latence, c'est-à-dire le délai qui s'écoule entre l'émission d'une information et sa réception. En termes généraux, plus le délai de réception est court, plus l'utilisateur est satisfait. Il s’agit d’une réponse immédiate à la question qu'il se pose et qu’il va rechercher.

Cette satisfaction, qui constituait l’un des buts de la 5G, n’a pas été obtenue car les opérateurs n’ont pas tenu compte d’un fait. Pour que ce délai soit le plus court possible, il faut définir des degrés de priorité très précis pour certaines applications, pour certaines requêtes que l'on fait dans les réseaux. En considérant une voiture qui fonctionne en mode autonome, donc entièrement pilotée via l'Internet, il faut que cette voiture ait la garantie de l'immédiateté des réponses aux questions qu'elle se pose et donc le délai minimum. Toutefois, cela demande qu’Internet détecte que ce trafic, en provenance ou à destination d'une voiture autonome, est hautement prioritaire.

A partir de ce moment, toute l'information qui va être transportée doit être en permanence marquée comme étant très prioritaire et le transport entre le point d’origine et le point de destination doit lui-même être capable de gérer cette priorité.

Il se trouve qu’Internet veut dire interconnexion de réseaux. Mais rien ne garantit que du point d'émission au point de réception, les priorités qui ont été définies au départ de l'information seront traitées de la même manière à l'interconnexion de tous les réseaux. Certains réseaux ne sont peut-être pas capables de gérer certaines priorités car ils ne savent pas les reconnaître. Dans ce cas-là, la rapidité, l'immédiateté de la réponse à la question peuvent être affectées par le fait que tout le réseau ne garantit pas le même traitement de priorité du départ à l'arrivée.

Pour que la 5G soit vraiment efficace en termes de réduction du délai de transmission des informations, il faut être sûr que la priorité marquée au départ soit traitée exactement de la même manière d'un réseau à un autre. Sinon, il se peut très bien que certains réseaux par lesquels circule l'information, considérée très urgente au départ ne soit pas traitée en priorité. Elle serait analysée comme une information normale, ce qui établirait de nouveau un délai qui peut être insupportable.

A quoi était dû l'emballement général, au démarrage de la 5G, dans les médias et dans les milieux économiques ?

Le problème est que le tissu économique s’est interrogé sur qui avait le plus besoin de la 5G. Et il se trouve que ce ne sont pas les industriels. Tout simplement parce qu’ils s'échangent des informations qui ne sont pas forcément prioritaires, et pour lesquelles le délai de transmission n'a guère d'importance. Passer d'un délai initial de 10 secondes par exemple, à 9,5 secondes n’intéresse pas les industriels. L'essentiel pour eux est que leur information soit transmise de la meilleure des manières, de l'origine à la destination, avec un maximum, non pas de rapidité, mais de sécurité.

Au départ, quels secteurs économiques devaient être révolutionnés par la 5G ? Qu'en est-il maintenant ?

Les gens les plus favorables à la 5G étaient, au départ, ceux qui effectuent du téléchargement, du streaming, soit des activités sans aucun intérêt économique, et sans gain de productivité si ce n'est pour les plateformes de divertissement. Cette industrie pouvait considérer que la 5G était très utile, car elle a ainsi pu gagner des clients, mais pour ses utilisateurs, c'est-à-dire pour vous et moi, non.

Les voitures autonomes, la chirurgie à distance devaient être concernées mais là encore, dans le cas d’un acte chirurgical à distance via l'Internet, ce n'est pas la rapidité qui compte, c'est la précision.

Au départ, ce qui a fasciné les gens, concernait le fait de pouvoir charger ou télécharger très rapidement des contenus de divertissement pour voir immédiatement par exemple le dernier film à la mode. Cela doit de préférence se faire sur son téléphone mobile parce que nous sommes sans cesse en déplacement et nous voulons bénéficier de ce service-là où que l'on soit. C’est la rapidité qui prime.

Mais ce qui a été mal évalué, c’est d’abord le passage d’un réseau à l’autre qui ne garantit pas la même rapidité. Deuxièmement, les réseaux ne tiennent pas toujours compte dans les mêmes termes de la priorité de l’information qu'ils transportent. Troisièmement, le réseau doit être disponible à l'instant où l’on souhaite charger ou télécharger un fichier.

C’est le concept fondamental de la bande passante disponible. Elle représente le flux de toutes les applications telles que les jeux, les vidéos de loisir, etc, qui ont tendance aujourd'hui à consommer beaucoup trop, parmi toutes les ressources demandées : que ce soit par rapport à l'intérêt que cela représente ou par rapport à l'intérêt des industriels qui auraient besoin de la 5G.

Comment améliorer aujourd'hui la 5G pour que cela bénéficie à beaucoup plus de monde et notamment au secteur économique de manière générale ?

Les principaux fournisseurs de téléphonie mobile comme AT&T, Verizon ont l’intention de créer des réseaux 5G dont ils sont entièrement propriétaires, de façon à ne pas passer par d'autres réseaux que par le leur. C'est ce qu'ils appellent du « stand alone », c'est-à-dire recréer des réseaux complètement indépendants : AT&T de bout en bout, Verizon de bout en bout, T-Mobile de bout en bout, Orange de bout en bout, ou Free de bout en bout et ne pas passer tantôt chez Orange, chez T-Mobile ou chez Verizon pour transmettre une information. Aujourd'hui, c’est justement ce passage de réseaux différents à réseaux différents qui fait que la 5G n'est pas très opérante en termes de garantie de rapidité, de priorité, de bande passante et de sécurité.

À chaque fois que l’opérateur veut corriger la bande passante, la sécurité, la priorité, il engage des process dans le traitement des informations, ce qui a tendance à rajouter du délai. Donc ce qui est gagné d’un côté, est perdu de l’autre.

Aujourd'hui, la garantie d'une excellente 5G, se limite au trajet qui se fait entre le terminal que j'ai dans ma main et l'antenne mobile la plus proche. Mais aussitôt que je me déplace, je risque de passer par les réseaux d'autres opérateurs, et de perdre ainsi en rapidité, en bande passante, en priorité et éventuellement en sécurité.

C'est pour cela que les gros opérateurs américains sont en train de réfléchir à faire des réseaux « stand- alone », donc indépendants, où ils n'utiliseront que leurs propres ressources, leurs propres machines, de façon à ne pas dépendre d’un autre opérateur.

Ils vont réaliser une offre auprès des industriels en leur garantissant que leurs données doivent aller vite, sont très nombreuses, et qu’ils fournissent tout le chemin, en tant qu’opérateurs, de l'émetteur au récepteur. Mais c’est très compliqué car cela coûte très cher.

De surcroît, il existe déjà l’infrastructure de réseau fixe depuis plus d’un siècle et qui continue à être utilisée même pour la téléphonie mobile. C’est le fait de la mobilité, pouvoir se connecter à un réseau via une antenne.

Une fois connecté, les données, la voix, l’image, seront transportés dans des réseaux qui seront soit, entièrement mobiles, soit, fixes. La nouvelle interconnexion engendre un nouveau risque de délai dans la transmission, et un nouveau risque de délai.

Quant à la notion de stand-alone, c'est quelque part un retour en arrière. D'un point de vue technologique, ce n’est pas un progrès. Jusqu’au début des années 2000, les industriels avaient déjà réfléchi à regrouper tous les réseaux en en faisant un seul gros. C'est ce qui a donné Internet : le regroupement d'une multitude de petits réseaux. A l’inverse, les opérateurs de réseau souhaitent maintenant recréer des réseaux indépendants les uns des autres, ce qui va à l'encontre de la démarche qui a impliqué des milliards et des milliards d'investissements dans le courant des années 2000.

Cela va coûter énormément d'argent. L’augmentation des coûts aura des répercussions directes sur les clients. Il s’agit du client ordinaire, celui qui télécharge des films, de la musique, etc, après avoir ciblé l’industrie. C’est une manière pour les gros opérateurs qui se sont endettés, de se relancer, car ils ont eu beaucoup de mal à avoir un retour sur investissement auprès de l’industrie. D’autant que si le secteur d'activité de la voiture autonome est enthousiasmant technologiquement, il prend du temps à mettre en place sur le marché. Nous pouvons le constater.

Si nous avons investi dans des accès aux réseaux mobiles, si nous avons investi des milliards pour des voitures autonomes que l'on verra peut-être dans 20 ans, alors dans 20 ans, nous ne parlerons plus de la 5G.

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