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L’urgent débat sur la géo-ingénierie
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Sauver le climat

Face aux nouveaux enjeux climatiques, la géo-ingénierie (manipulation du climat) apparaît comme l'une des seules solutions crédibles pour résoudre les problèmes liés à l'action humaine.

Xavier Landes

Xavier Landes

Xavier Landes est professeur à la Stockholm School of Economics de Riga. Ses recherches portent sur les question de justice, de multiculturalisme et sur la justification du rôle économique de l'État.

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Plus les gouvernements, entreprises et citoyen-ne-s tarderont à réduire de manière significative leurs émissions de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, etc.), plus l’ingénierie climatique (ou géo-ingénierie) apparaîtra comme une option sérieuse, voire une nécessité, ne serait-ce que pour nous permettre de « décarboner » nos économies. Et l’échec répété des conventions des parties (COP) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques n’incite guère à l’optimisme.

En dépit du récent espoir créé par l’étude publiée dans Science sur la plantation d’arbres à grande échelle, le temps joue en faveur de l’ingénierie climatique et nous n’y sommes pas préparés. Le sujet ne suscite pas les discussions qu’il mérite, en partie à cause du rejet de l’idée même d’influencer le climat. Pourtant, la situation actuelle n’est que cela : le résultat d’une altération humaine à grande échelle depuis la Révolution industrielle.

À mesure que l’humanité se retrouve « piégée » par ses émissions et son incapacité à changer de modèle énergétique, que les prédictions apocalyptiques s’accumulent, la pression s’accroît afin de s’en remettre à des « solutions » technologiques plus ou moins réalistes. Ces dernières incluent, entre autres, la captation du CO2 et son emprisonnement dans des couches géologiques profondes ou au fond des océans, la fertilisation des mers avec du fer, le placement en orbite de panneaux réflecteurs ou encore la dispersion d’acide sulfurique dans la stratosphère.

Pour celles et ceux qui n’en ont qu’une vague idée, la géo-ingénierie rassemble des techniques (plus ou moins au point, plus ou moins onéreuses, plus ou moins dangereuses) qui visent à altérer le climat. La séquestration du carbone et le contrôle du rayonnement solaire constituent les deux principales approches.

Le sujet ne suscite pourtant que peu de débats en France (hormis quelques exceptions) malgré la gravité des enjeux scientifiques, économiques, politiques et moraux. Plus d’attention est captée par la proposition, nécessaire, mais loin d’être suffisante, de reboiser la planète (il faudrait déjà arrêter de couper les forêts existantes).

Ces derniers mois, des manifestations ont certes eu lieu en faveur du climat, emmenées par les jeunes générations. Mais, le temps que cela a pris doit nous forcer à modérer notre optimisme, en particulier quand on se souvient que les premières preuves à large échelle d’un changement climatique d’origine anthropique datent, au moins, des années 1980.

Quant à l’ingénierie climatique, la mobilisation risque de trop tarder. Nous n’avons pas 30 ans devant nous, d’autant plus que les spécialistes demeurent inaudibles. La situation est préoccupante, puisqu’en cas de mise en œuvre dans l’urgence, les citoyen-ne-s et scientifiques auront été évincés et le débat démocratique éludé. L’humanité avancera alors à tâtons en mettant en danger la vie de millions d’individus (en fonction de la technologie retenue) sans n’en avoir jamais publiquement discuté (ou très peu).

L’une des causes d’un tel déni est l’opposition de principe à la recherche sur le sujet. Nombreux sont celles et ceux qui ne se limitent pas à refuser la possible application des techniques de séquestration du carbone ou de gestion du rayonnement solaire, mais qui rejettent aussi toute étude. À les écouter, l’ingénierie climatique serait par définition nocive et il conviendrait de ne surtout pas creuser plus avant la question.

Leurs arguments sont que, d’une part, la géo-ingénierie est une mauvaise idée. Cela équivaut à s’immiscer dans des processus « naturels », complexes, et à prendre le risque de tout détraquer. Serait à l’œuvre la même attitude prométhéenne qui a précipité la catastrophe actuelle par une croissance économique basée sur la combustion d’énergies fossiles.

D’autre part, mener des projets de recherche sur le sujet revient à envisager la possibilité de recourir à ces techniques. Ce faisant, outre accepter l’inacceptable, cela créerait un aléa moral : les gouvernements, entreprises et citoyen-ne-s se sentiraient moins pressés de couper leurs émissions. Les études sur la géo-ingénierie favoriseraient donc le changement climatique.

Le souci est que, même si les critiques sont en partie justes, cela ne nous préservera pas longtemps d’expérimentations grandeur nature. Le débat existe depuis une bonne dizaine d’années dans le monde anglo-saxon. Plus on s’opposera à des projets de recherche sérieux et strictement balisés sur le sujet, moins on aura d’éléments pour évaluer, rejeter ou encadrer la mise en œuvre par un pays ou un groupe de pays de mesures de géo-ingénierie.

Certaines techniques sont d’ores et déjà au point, ou le seront dans un proche futur. Par exemple, des États comme la Chine ou les États-Unis pourraient décider de développer une flotte d’aéronefs destinée à répandre dans la stratosphère des particules d’acide sulfurique. Ce type d’intervention aura un impact global. Cela changera le régime des pluies, des zones deviendront arides, d’autres seront sujettes aux inondations. Mais quand quelles proportions, avec quels risques pour les populations ? Pour l’instant, on en sait peu, car on manque de données.

La question taraude : quelle est la probabilité qu’un État doté des moyens nécessaires s’abstienne d’agir quand il fera face à des événements climatiques extrêmes, comme des canicules à répétition ?

Les opposants à la recherche répondent qu’il faut se concentrer sur la réduction des émissions, que toute autre option est une distraction. L’argument a d’autant plus de force que les postulats suivants se vérifieront :

  1. Une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre a une chance raisonnable d’advenir dans un horizon temporel court (une voire deux décennies maximum),
  2. Qu’une telle réduction sera suffisante pour compenser la quasi-totalité de l’impact néfaste du changement climatique,
  3. Qu’elle se produira à un moment où l’humanité aura encore une influence sur le climat, c’est-à-dire qu’elle n’aura pas franchi un point de non-retour après lequel le climat s’emballera, ce qui est un risque de plus en plus tangible.

Se confronter au changement climatique demande du courage, mais il exige aussi une autre vertu : le réalisme. On ne peut pas bâtir de politiques à moyen ou long terme basées sur des postulats peu probables ou des vœux pieux. L’enjeu est donc de savoir dans quelle mesure les trois suppositions précédentes tiennent la route, surtout au vu de ce que nous enseigne le passé.

En d’autres termes, l’humanité a-t-elle démontré qu’elle peut renverser la tendance actuelle en quelques années ? Le doute est permis. Lorsqu’on évoque l’option la plus crédible, il faut se rendre à l’évidence : nous nous dirigeons vers un accroissement des émissions de gaz à effet de serre avec des conséquences tragiques à long terme (sur des siècles, voire plus).

Pour ces raisons, un débat public est nécessaire et urgent, lequel doit impliquer scientifiques, gouvernements et citoyen-ne-s. Il doit être international avec une participation des pays en voie de développement, étant donné leur grande vulnérabilité à l’égard de mesures potentielles d’ingénierie climatique, notamment du contrôle du rayonnement solaire.

Le point crucial est que ce débat doit être informé. Il faut que la science puisse produire des évaluations aussi solides que possible, car toutes les techniques ne se valent pas en matière de bénéfices, risques et difficultés de mise en œuvre. Afin de pouvoir juger des diverses options (dans le cadre d’un protocole de mise en œuvre clair) et d’écarter celles qui sont soit trop dangereuses soit infaisables, nous avons besoin de données, donc de la science.

S’engager dans un programme de recherche sérieux ne revient pas à accorder un blanc-seing aux apprentis sorciers de la géo-ingénierie. Il s’agit de la condition sine qua non à une prise de décision libre et éclairée au sein d’une démocratie. De plus, le fait que le secteur pétrolier et certains pays, les États-Unis et l’Arabie Saoudite en tête, bloquent toute réglementation devrait nous fournir une motivation supplémentaire pour ouvrir un tel débat.

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