L’Union européenne doit-elle protéger la concurrence ou les concurrents ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Amazon concurrence
Amazon concurrence
©OLIVIER HOSLET / POOL / AFP

Dilemme cornélien

Amazon est visé par deux enquêtes de la Commission européenne pour avoir « enfreint les règles de l’Union européenne en matière de pratiques anticoncurrentielles en faussant la concurrence sur les marchés de détail en ligne ». Cette crise soulève de nombreuses questions sur le sujet de la concurrence.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Alors qu’emboitant le pas aux autorités françaises le Commissaire européen Thierry Breton multiplie les déclarations martiales en matière numérique, les autorités de concurrence européennes sont des plus actives. La Direction générale de la concurrence de la Commission a ainsi annoncé le 10 novembre dernier ouvrir une enquête portant sur les pratiques d’Amazon en matière de commerce électronique, qui pourraient, selon elle, relever de l’abus de position dominante. Certains esprits chagrins diraient que le hasard fait bien les choses alors qu’en France l’on admet mal que le commerce en ligne fleurisse en période de confinement. 

Ce n’est d’ailleurs pas tout : le 12 novembre, dans une lettre ouverte, une série d’entreprises et d’associations a saisi la Commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, afin que les services de cette dernière obligent Google – qui selon elles s’y soustrairait – à respecter sa décision de 2017 concernant son moteur de recherche. Rien que de très logique dirait-on. Au fond, c’est bien ainsi que les autorités de concurrence fonctionnent : recueillir et examiner les plaintes de tel ou tel acteur qui s’estime lésé par le comportement d’un (abus de position dominante) ou de plusieurs (cartel) concurrents. Dans un état de droit, la règle de droit doit être respectée.

Pourtant, si l’on met à part la tonalité assez peu sereine qui entoure le traitement des grandes entreprises numériques américaines – pas qu’en Europe d’ailleurs – les arguments avancés par les plaignants méritent, au-delà du cas d’espèce de peu d’importance, que l’on s’y arrête. Car ils reprochent à la fois à la Commission de ne pas faire respecter ses décisions dans le chef du droit de la concurrence…tout en appelant à une régulation plus sévère complémentaire…dont ils reconnaissent les limites. S’il l’on essaye de démêler les fils, l’on n’échappe pas à certaines contradictions. Qu’on en juge. 

D’abord, il faut constater que le droit de la concurrence européen, dans sa mise en œuvre est -peut-être- le plus contraignant du monde. Depuis le début des années 2000, l’UE a entendu faire un premier « exemple », en s’attaquant sans trembler à Microsoft, alors la première entreprise du monde. L’UE dispose et fait usage de moyens de coercition très importants, qu’il s’agisse d’investigations ou de sanctions (ces dernières pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires des entreprises reconnues coupables d’abus). Les Commissaires à la concurrence ont bien compris l’utilisation politique qu’ils pouvaient faire de ces moyens sans équivalent dans l’arsenal européen, pour s’affirmer comme les « stars » de la Commission et, le cas échéant, Mme Vestager ne l’a pas vraiment déguisé, pour faire campagne pour de plus hautes fonctions. 

Et pourtant, voici que la Commission revendique un renforcement considérable de ses pouvoirs dans le domaine de la concurrence, pouvant aller jusqu’à ce que l’on appelle de la régulation ex ante, c’est à dire, comme dans certains films de science-fiction, jusqu’à essayer de prévenir des abus avant même qu’ils ne soient commis ! Rien de choquant à ce que l’UE réfléchisse à ses outils. Mais si ceux-ci n’étaient pas suffisants ou adaptés, que faisaient donc les régulateurs européens dans les vingt dernières années ? S’ils estimaient leur arsenal juridique obsolète, pourquoi en avoir fait usage à si grande publicité, au lieu de demander d’autres outils plus appropriés ? Que de temps perdu dirait-on.

Ensuite, les plaignants adoptent une position peu claire à l’égard des régulations que la Commission prépare (notamment le Digital Market Services Act), du moins en apparence. D’un côté ils s’en félicitent, sans doute car ils comprennent que la Commission a été sensible aux arguments qu’ils ont su lui présenter avec opiniâtreté. Mais d’un autre côté, ils n’ignorent pas combien la production normative européenne est longue, fastidieuse, litanie de compromis souvent décalée par rapport au temps de l’économie numérique. Sans parler des moyens financiers et humains considérables qu’exige la bonne mise en œuvre des règles européennes, dont les grandes entreprises, elles, disposent.

A mélanger allègrement régulation concurrentielle ex post et régulation ex ante, le vrai message qui se dégage est finalement aussi simple que gênant : autorités européennes, débarrassez-nous des géants américains du numérique ! Un message aussi simpliste – et parfois désespéré – peut susciter la compréhension, voire la sympathie de la part d’entreprises qui ne manquent pas de courage, mais parfois de talent ou de réussite. Et peut-être prochainement dans un tel nouveau cadre, de fonds. 

Pourtant, il serait dangereux pour les autorités européennes d’y réduire leur action, à double titre. Ce serait, pour rester sur le terrain du droit de la concurrence, oublier qu’une autorité de concurrence n’est pas faite pour protéger les concurrents, mais bien la concurrence.  Plus largement, ce serait pousser les autorités européennes à n’envisager les questions numériques qu’au travers de la sanction des entreprises à succès, sans se demander pour quelles raisons, en matière numérique, les européens n’y arrivent pas.

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