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L’Union européenne apportera-t-elle à la France l’union des droites ?
©ALBERTO PIZZOLI / AFP

Unification politique

Matteo Salvini a déclaré qu'il se voyait en "capitaine" des droites européennes. Bien que l'union des droites tient du tabou absolu en France, l'Europe voit de plus en plus de coalitions regroupant la droite et l'extrême-droite.

Samuel Pruvot

Samuel Pruvot

Diplômé de l’IEP Paris, rédacteur en chef au magazine Famille Chrétienne, Samuel Pruvot a publié "2017, Les candidats à confesse", aux éditions du Rocher. 

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico: Serait-il possible que Salvini réussisse ? L'Europe pourrait-elle nous apporter ce que tant de gens redoutent ?

Edouard Husson : Salvini fait surtout campagne en Italie. Et apparaître comme un homme politique d’envergure européenne est une bonne chose pour lui. Ensuite, il est évident qu’il y a une carte à jouer: rassembler les droites au Parlement européen. C’est compliqué, à cause de l’hétérogénéité des partis, des pays, des situations. Il y a malgré tout des thèmes partagés: la volonté de contrôler l’immigration, le souhait de mettre un terme aux prises d’influence de l’islamisme, l’envie de décentralisation, le souhait d’une écologie mise en place à partir des territoires. Il faut ajouter le combat pour une économie véritablement libérale dans une Union européenne de plus en plus dirigiste. Avec son énergie, Salvini jouera un rôle moteur. En fait, la Ligue du Nord a été décisive dans la mesure où elle est un parti fondé en grande partie sur l’entrepreneuriat du nord de l’Italie: elle a permis que le vote protestataire ne s’enferme pas dans le populisme. Et puis elle est devenue la Ligue, tout simplement, parti désormais présent dans toute l’Italie. Cela prédispose à un rôle unificateur au plan européen. Ceux qui redoutent une telle évolution n’aiment pas l’Union Européenne: on a besoin qu’il puisse y avoir des changements de majorité au Parlement européen; on a besoin de débats tranchés, avec de vrais débats. L’Union meurt de l’éternelle Grande Coalition des progressistes au centre.

Samuel Pruvot : C’est vrai que Matteo Salvini veut devenir «  il capitano della destra europea ». Mais entre le désir et sa réalisation, il y a de la marge. Le vice-président du conseil italien peut-il vraiment réussir ad extra ce qu’il peine à réaliser ad intra ? Sur place, les observateurs s’accordent pour décrire son alliance politique comme le mariage de la carpe et du lapin. En Italie, faut-il le répéter, l’alliance entre la Ligue de Salvini et le Mouvement 5 étoiles reste quelque chose de baroque et de contre nature. Salvini a eu le génie de savoir coaguler, au niveau électoral, les ressentiments des électeurs italiens. Mais après ? Une fois au gouvernement, le mariage s’avère chaotique et dissoluble.

Pour parler encore latin, Salvini peut s’appliquer à lui-même ce vieil adage des Romains : « Festina lente ». Cela veut dire qu’il faut se presser… mais lentement. On ne fédère pas toutes les droites européennes en l’espace de quelques semaines. Le populisme – ce mot valise est source de bien des malentendus – possède-t-il une formule magique pour rassembler d’un coup tous les électeurs dégoûtés de la social-démocratie à la papa ?

En Italie, Salvini ne gouverne pas à proprement parler avec la droite, mais avec le parti populiste. Une union des droites doit-elle passer par une phase "populiste" ? Dans quelle mesure un mouvement tel que les Gilets jaunes pourrait-il jouer ce rôle en France ?

Edouard Husson : Oui, la Ligue a eu besoin de s’allier avec un mouvement populiste de gauche, le Mouvement Cinq Etoiles, qui était plutôt implanté au sud. A présent, le rapport de force est en faveur de la Ligue, qui réussit à s’implanter au sud. En fait, ce qui s’est joué en Italie, c’est plutôt une bataille entre les Anciens et les Modernes. Le Parti Démocrate de Renzi, Forza Italia de Berlusconi étaient largement usés. Le Mouvement Cinq Etoiles et la Ligue ont pris la place, respectivement, des vieux partis. Le monde d’avant a été balayé. La Ligue a pu, par ailleurs, rassembler une part non négligeable du monde dirigeant et donc évoluer vers la constitution d’un grand mouvement conservateur. La France est en retard pour une raison simple: aucune force politique établie n’a pris le temps de s’allier aux Gilets Jaunes, à la différence de ce qui s’est passé lorsque le mouvement dit « des fourches », qui remonte à 2013 et qui est assez semblable aux Gilets Jaunes, a connu son essor: la Ligue a eu l’intelligence d’établir des ponts avec le mouvement - tout comme le Mouvement Cinq Etoiles. En France, il ne s’est rien passé de tel. Pourtant, il y a un boulevard pour critiquer le gouvernement: à la fois sur son incapacité à rétablir l’ordre public et sur son absence de réponse aux revendications des Gilets Jaunes. Mais ni Marine Le Pen ni Laurent Wauquiez n’arrivent à se poser en élément d’alternatives. En fait la question est moins, pour LR, de passer par un « moment populiste » que d’accepter que des forces dites populistes deviennent des interlocuteurs à part entière.

Samuel Pruvot : Ceux qui ont cru voir venir l’union des droites en France sont restés bredouilles. Demandez à Nicolas Dupont-Aignan ou à Jean-Frédéric Poisson si la chose est pour demain… Les Gilets jaunes constituent un mouvement social mutant qui conserve son importance. Mais leur horizon n’est pas de gouverner. Certes, il existe des listes « jaunes » qui tentent leur chance dans le capharnaüm des 33 listes officielles aux européennes.

Rappelons que le mouvement des GJ a commencé comme une jacquerie, une colère viscérale contre les taxes. Et il y a peu de chance qu’il se termine un jour en parti de gouvernement. Les militants sont par définition allergiques à la représentation et aux négociations. On a vu cela dans la rue le 1er mai à Paris : Les « rouges » et les « jaunes » ne marchent pas ensemble. Marine Le Pen a compris que les GJ étaient irrécupérables pour les partis classiques. Elle sait que l’union des droites, avec le ciment des GJ, est aussi improbable que la reconstruction de la flèche de Notre-Dame de Paris avec des œufs en chocolats. 

Dans le cadre actuel, on imagine mal une union entre Marine Le Pen et François-Xavier Bellamy. Mais ne peut-on pas considérer que des personnalités telles que François-Xavier Bellamy et Marion Maréchal par exemple ont des choses à se dire ? Sur quelles bases un entente pourrait-elle être plausible ?

Edouard Husson : Tels qu’ils existent actuellement, LR et le RN n’arriveront pas à s’entendre. Le Rassemblement National reste trop replié sur lui, avec une habitude de l’opacité qui nuit à la cause des rapprochements. Les Républicains, eux, ne veulent pas assumer le retour au gaullisme ni l’émergence du conservatisme. Il y a bien entendu des tas d’endroits en France où, sur le terrain, les rapprochements se font. Cela passe en particulier par les militants les plus jeunes. Mais il faudra sans doute attendre les élections municipales de 2020 pour qu’une convergence des droites commence à se dessiner: de nombreuses municipalités auront le choix entre laisser gagner un candidat LREM ou créer une alliance LR+DLF+RN majoritaire.

Les personnalités dont vous parlez ne sont pas à placer sur un même plan. Si Marine Le Pen parle avec un interlocuteur LR, cela ne peut être qu’avec Laurent Wauquiez, président du parti. Ce dialogue est peu probable. Wauquiez sent bien cependant qu’il faut ancrer le parti plus à droite et donc il a choisi Bellamy comme tête de liste. Mais la marge de manoeuvre de ce dernier est limitée jusqu’au résultat des élections européennes. Et puis, il a commis l’erreur tactique de dire qu’il voterait toujours Macron plutôt que Marine Le Pen.

Marion Maréchal a un positionnement différent. Elle a quitté le Front National à l’issue des élections présidentielles de 2017. Elle a fondé une école de sciences politiques et de management à Lyon, l’ISSEP. C’est désormais une personnalité politique qui n’a de comptes à rendre à personne. Son récent entretien avec des journalistes de Valeurs Actuelles montre qu’elle ne se situe pas dans la perspective de rapprochements d’appareils mais dans la construction d’un discours et d’un programme capable de rassembler toute la droite et même le centre. Par exemple, elle conteste très intelligemment qu’Emmanuel Macron soit un libéral, au sens économique du terme. Elle propose de jouer une carte européenne: celle de la défense des intérêts français dans des institutions de l’Union elles-mêmes profondément rénovées. Marion Maréchal montre aussi les limites du populisme sans le rejeter; elle formule les contours d’un nouveau conservatisme français. En fait, c’est la première fois depuis quinze ans (quand Sarkozy préparait 2007) que la droite dispose d’un logiciel aussi efficace et puissant, qui puisse la rassembler tout entière. Marion Maréchal a senti avant les autres qu’on ne mettra pas le vin nouveau de la droite dans des outres anciennes et usées. Pour autant, elle n’a pas de calendrier politique en tête: elle pense qu’il faut travailler pour le long terme et former les dirigeants et les élus de la droite de demain, capables de contester à la gauche une domination culturelle d’un demi-siècle.

Samuel Pruvot : Avec des « si » on met Paris en bouteille. Pour l’heure, le mariage entre LR et RN est carrément impossible. Je ne parle pas évidemment d’un mariage d’amour mais de l’hypothèse d’un mariage de raison. Ils ne se croisent pas. François-Xavier Bellamy a fait son pèlerinage à Athènes, Marine le Pen s’apprête à visiter Rocquigny dans les Ardennes. Certes, les générations changent à droite. Mais cela est-il suffisant pour fondre en un seul creuset les trois droites de René Rémond qui remontent à la Révolution française ?

Une certaine droite a toujours eu foi dans un cavalier blanc qui viendrait remettre d’aplomb une France en morceaux. Un messie eschatologique. Marion Maréchal Le Pen est une figure qui fascine. Certains voudraient voir en elle une nouvelle Jeanne d’Arc. Mais je crois sincèrement qu’elle n’est pas encore prêtre pour libérer Orléans le 8 mai prochain ! Et c’est toujours hasardeux de confondre les voies de la politique avec les voix qui parlaient aux oreilles de la Pucelle.

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