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L'un des plus grands mystères de l'évolution en passe d'être éclairci
©Reuters

Eurêka !

Un chercheur de Berkeley, Larry Taylor a proposé une solution pour en apprendre un peu plus sur l'évolution des baleines. Il a étudié les bernacles, des crustacés qui s'accrochent aux mammifères marins, et ce, afin de lever l'un des voiles sur un mystère de l'évolution : comment les baleines sont devenues les géants des mers que nous connaissons.

Pierre  Béland

Pierre Béland

Passionné par la vie, curieux de tout, Pierre Béland s’est lancé en sciences comme on se lance dans une grande aventure. Sa formation universitaire (doctorat et post-doctorats en écologie des populations animales) et ses expériences de travail l’ont amené à voyager partout dans le monde et à se pencher sur toutes sortes de questions intéressantes: le métabolisme des dinosaures, les extinctions de masse, l’aquaculture… et les baleines! Il possède même une entreprise fabriquant des instruments pour la recherche en milieu aquatique.
 
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Atlantico : L'évolution des baleines est l'un des grand mystères de l'évolution. En l'espace de 50 millions d'années, elles sont passées de l'état de mammifères terrestres à quatre pattes avec de la fourrure à l'état de mammifères marins vivant dans les profondeurs océaniques. L'approche de Larry Taylor par l'étude des bernacles est-elle intéressante pour en savoir plus sur l'évolution des baleines ? Les résultats de cette approche de l'étude des bernacles permet-elle d'arriver à davantage de résultats ou davantage de doutes sur l'évolution des baleines ? Quelles conclusions pouvons nous en tirer ? 

Pierre Béland : L’approche de Taylor est intéressante et, comme souvent en sciences, elle apportera vraisemblablement plus de questions que de réponses. Taylor utilise la toute petite bernacle comme un témoin des mouvements migratoires de la baleine géante qui la porte sur son dos. Les anneaux de croissance de la coquille de la bernacle portent la signature de la température de l’eau où la baleine a séjourné lors de sa migration annuelle aller retour depuis les eaux tropicales jusqu’aux eaux polaires.  Ainsi, en théorie, l’on pourrait examiner les espèces fossiles pour voir, par exemple, si les grandes baleines ont toujours migré ou, sinon, quand dans le passé lointain ont-elles commencé à le faire. 

Ainsi, ce travail pourrait permettre de voir si les migrations sont un phénomène qui est apparu en réponse à des changements précis et par ailleurs connus qui se sont produits dans les océans à certains moments au cours des âges. L’on pense par exemple aux variations dans les courants marins, dans la productivité des chaînes alimentaires qui nourrissent les baleines, en réponse aux glaciations quaternaires ou même, à plus longue échelle, à la dérive des continents. Taylor suggère par exemple qu’au minimum de température moyenne sur le globe, lorsque le niveau moyen des océans était de quelque 130 mètres plus bas qu’aujourd’hui, et que la surface des océans était moindre, les baleines auraient commencé à faire de longues migrations. Taylor associe aussi à ces phénomènes glaciaires la tendance au gigantisme. C’est tout à fait le genre d’hypothèse très difficile, sinon impossible à confirmer. L’on pourrait au contraire suggérer, tout aussi intuitivement, que plus les océans sont étendus, plus il y a place et incitation pour de longues migrations. Et que le gigantisme de la baleine bleue est une réponse aux concentrations des euphausides qui sont sa nourriture exclusive, lesquelles concentrations sont dépendantes de phénomènes de productivité dans des régions très précises du globe dans sa climatologie actuelle, et pas nécessairement celle qui existait au moment du plus bas niveau des océans.

Taylor lance une excitante aventure dans le passé – et je l’accompagnerais avec plaisir –  mais les écueils sont nombreux sur le chemin qu’il propose. Et il faudra à l’arrivée se méfier des généralisations qui font de bons titres ! Par exemple, le nombre de spécimens d’espèces de baleines - et de bernacles -  fossiles est limité. Le travail de Taylor semble centré sur la baleine à bosse et les bernacles qui vivaient sur elles au cours des millions d’années. S’il arrivait à comprendre par l’étude des bernacles comment la baleine à bosse a évolué, pourrait-on en tirer des conclusions applicables aux baleines en général ? Il faut en douter sérieusement. En particulier, il ne faut pas oublier que les deux grands groupes de baleines, celles à fanons (mysticètes, dont fait partie la baleine à bosse) et celles à dents (odontocètes, comme le cachalot et les dauphins), s’ils ont effectivement eu un ancêtre commun il y a 50 millions d’années, ils ont à partir d’un certain moment commencé à suivre des chemins très différents. Chaque espèce est une expérience vivante, un objet malléable qui suit son chemin en s’adaptant aux conditions nombreuses et variées qui se présentent à elle. L’on ne peut prédire où elle se rendra ni combien de temps elle existera. L’étude de son évolution peut révéler des facteurs qui ont été déterminants pour elle, mais l’on ne peut conclure que ces mêmes facteurs sont applicables à toutes les autres espèces du groupe.

L’évolution d’une espèce est un phénomène complexe, relativement facile à constater, difficile à expliquer, et impossible à prédire. L’aventure se corse davantage lorsqu’on parle d’un groupe comme les baleines, ou cétacés, qui comprend un grand nombre d’espèces présentant chacune des adaptations complexes et variées. L’existence et l’évolution de ce groupe s’échelonne sur 50 millions d’années et se poursuit encore. Les espèces de baleines actuelles et celles qui ont apparu puis disparu pour laisser place à de nouvelles, se sont adaptées en réponse à de nombreux phénomènes, géologiques, océanographiques et écologiques. Simultanément, les baleines ont évolué en réponse à des espèces dans d’autres groupes qui ont vécu en même temps et dans les mêmes lieux qu’elles. Et vice versa. Ainsi, l’on pourrait dire que les baleines et les bernacles ont l’une (surtout) et l’autre (probablement très peu) influencé leur évolution respective. Mais il est illusoire de penser que la seule étude des bernacles puisse expliquer la très complexe évolution des centaines d’espèces de baleines qui ont vécu sur une période de plus de 50 millions d’années.

Avec le réchauffement climatique, risque-t-on de se diriger vers un réchauffement des océans ?  Cela constitue-t-il une menace pour les cétacés ?

Absolument. Le réchauffement planétaire va modifier considérablement la situation actuelle dans les océans. Les vents changeront, les courants marins changeront, et en conséquence, l’apport d’éléments nutritifs qui supportent la productivité primaire et toute la chaîne alimentaire. Actuellement, les eaux nordiques et subpolaires sont très productives, alors que les eaux tropicales sont des déserts en comparaison. Le réchauffement aura vraisemblablement un effet de nivellement : il y aura moins de contraste entre les pôles et les tropiques. La vie des grandes baleines à fanons en particulier en sera bouleversée.  Elles ont besoin de trouver de grandes concentrations de plancton ou de petits poissons pour se nourrir. Ces concentrations se trouvent dans les régions nordiques productives. Avec la disparition des glaces polaires et une plus grande uniformisation des températures océanes, ces concentrations de nourriture pourraient disparaître. Et les baleines aussi. … Et même les bernacles pourraient en souffrir ! Plus l’atmosphère contiendra de ce CO2 qui cause le réchauffement climatique, plus il y aura de CO2 qui passera dans les océans. En conséquence, les océans vont s’acidifier. Dans cette eau plus acide, il sera plus difficile pour un invertébré comme la bernacle de fabriquer la coquille dans laquelle elle s’abrite.

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