L’Ukraine pourrait-elle devenir l’équivalent pour l’extrême-droite ce que l’Afghanistan fut pour les djihadistes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des vétérans du bataillon Azov lors d'un rassemblement de masse intitulé "Pas de reddition" à Kiev, le 14 mars 2020.
Des vétérans du bataillon Azov lors d'un rassemblement de masse intitulé "Pas de reddition" à Kiev, le 14 mars 2020.
©SERGEI SUPINSKY / AFP

Terreau fertile

Dans les années 1980, alors que l'Afghanistan était en guerre contre l'Union Soviétique, le pays est devenu un foyer du djihadisme mondial. L'Ukraine pourrait-elle suivre le pas, en devenant le repère des extrémistes européens ?

Jean-Yves Camus

Jean-Yves Camus

Chercheur associé à l'Iris, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalismes européens et de l'extrême-droite. Il est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et senior fellow au Centre for the Analysis of the Radical Right (CARR)

Il a notamment co-publié Les droites extrêmes en Europe (2015, éditions du Seuil).

 

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Atlantico : Loïk Le Priol, un militant d'extrême droite français, est suspecté d'avoir assassiné le rugbyman international argentin Federico Martín Aramburú le 19 mars 2022 à Paris. Il est interpellé par les autorités hongroises le 22 mars lors d'un contrôle à la frontière hungaro-ukrainienne. Actuellement, certains groupuscules d’extrême-droite poussent-ils des volontaires à aller se battre en Ukraine contre les Russes ?

Jean-Yves Camus : Avant toute chose, j’attends les conclusions des autorités françaises pour savoir si son intention était d’aller combattre en Ukraine ou de s’évaporer dans la nature. Il n’est pas invraisemblable, au vu de son expérience militaire, qu’il ait songé à s’engager dans l’armée ukrainienne. Si c’est le cas, il y a certainement une raison idéologique à ce geste. En effet, une partie minoritaire de l’ultra-droite française s’est ralliée à un courant idéologique très particulier de la vie politique ukrainienne, à savoir une ultra-droite nationaliste représentée par un mouvement politique nommé « Secteur Droit ». On a dit que le fameux bataillon Azov était le bras armé de ce mouvement, ce qui n’est pas complètement vrai, puisque même s’il existe des militants d’extrême-droite engagés dans ce régiment, celui-ci fait partie de l’armée régulière ukrainienne. Au sein du GUD, le Groupe Union Défense, dont Loïk le Priol faisait partie, il y avait en effet un fort parti-pris pour les mouvements radicaux ukrainiens. 

Comment expliquer que le GUD ait souhaité rallier cette frange de la politique ukrainienne ? 

Cela s’explique par le fait que l’Ouest de l’Ukraine est un des bastions du nationalisme radical européen. Cette histoire est liée à la longue période pendant laquelle ces territoires étaient rattachés à la Pologne ou à l’Empire Austro-Hongrois. Une partie des nationalistes radicaux ukrainiens ont collaboré avec l’Allemagne Nazie pendant la Seconde Guerre Mondiale, à la fois par antisémitisme mais aussi parce qu’ils croyaient qu’Hitler leur permettrait d’accéder à un État ukrainien indépendant, ce qui était une pure illusion. Très rapidement, on a bien vu que la force de frappe soviétique grandissait et que les allemands ne gagneraient pas la guerre à l’Est, anéantissant les chances de voir un État ukrainien indépendant. 

Quelle est la véritable motivation des militants d’extrême-droite qui se rendent actuellement en Ukraine ? Souhaitent-ils uniquement aider le peuple ukrainien ou ont-ils des motivations idéologiques ? 

Selon les services de renseignements, les militants d’extrême-droite qui désirent se rendre en Ukraine sont marginaux, ils seraient 50 à 70. Il y a un certain nombre de raisons à cela. La première est que c’est une « vraie guerre ». Ce n’est pas une guerre ou on part pour se montrer, mais c’est une guerre « qu’il faut faire », avec un risque de ne pas en revenir. Pour cela, les militants candidats signent un engagement à durée indéterminée. Certains d’entre eux sont partis pour s'engager et se sont rendus compte qu’ils risquent de rester des années sur place. Toujours d’après nos services, de nombreux individus se sont rendus sur place afin de lutter pour la liberté, la démocratie …

De nombreuses personnes craignent que cette situation en Ukraine puisse devenir similaire à celle en Afghanistan avec des djihadistes. Pensez-vous que cela soit le cas ? 

Je n’y crois pas. Dans le cas de Loïk le Priol, le passage au meurtre a eu lieu avant son départ, ce qui laisse suposer qu'il voulait fuir les autorités françaises. De plus, il y a eu bien plus d’endoctrinements dans les zones de combat tenues par les islamistes que lors de cette guerre en Ukraine. L’idéologie islamiste radicale comme celle d’Al-Qaïda ou de l’État Islamique a une force de persuasion et d’endoctrinement exceptionnelle. A de rares exceptions près, les personnes qui ont rejoint l’Afghanistan étaient des musulmans extrémistes qui évoluaient vers une forme de religiosité radicale. Derrière cet engagement, il y avait un terreau, une sensibilisation à la cause des combattants afghans. Ce n’est donc pas du tout le même processus d’endoctrinement que celui de militants d’extrême-droite qui partent aujourd’hui vers l’Ukraine. L’histoire de l’extrême-droite est jalonnée de petits contingents de militants radicaux qui partent se battre à l’étranger, quelle qu’en soit la cause. Depuis l’épisode Croate au début dans la première moitié des années 1990, c’est la première fois que se présente une opportunité de combattre en dehors de l’Union Européenne, mais proche de ses frontières. 

Au-delà des militants d’extrême-droite français, d’autres volontaires nationalistes européens ont-ils souhaité rejoindre l’Ukraine pour se battre contre l’armée russe ? 

Il semblerait. J’ai vu passer sur des canaux Telegram des messages indiquant que des volontaires scandinaves ou allemands avaient été appelés à rejoindre le front ukrainien. Des Roumains, Bulgares et Hongrois ont également été appelés à aider les minorités de leurs pays qui vivent dans l’Ouest de l’Ukraine. Ces minorités sont dans une situation délicate avec le président Zelensky car les politiques d’ukrainisation mises en place par Kiev ont renié leurs inspirations. Elles rechignent donc à soutenir le gouvernement ukrainien, même si elles sont victimes de l’agression Russe. La solution serait donc, pour ces ultra-nationalistes, d’apporter une aide humanitaire à ces minorités. 

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