L'Ukraine ou la preuve que les "petits" Etats ne sont pas forcément voués à se faire battre militairement par les "grands"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le maire de Kiev, Vitali Klitschko, tient des personnes à l'écart d'un immeuble résidentiel de cinq étages qui s'est partiellement effondré après un bombardement, le 18 mars 2022.
Le maire de Kiev, Vitali Klitschko, tient des personnes à l'écart d'un immeuble résidentiel de cinq étages qui s'est partiellement effondré après un bombardement, le 18 mars 2022.
©SERGEI SUPINSKY / AFP

David contre Goliath

Lors du début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les services secrets américains et les experts des questions de défense pensaient que Kiev tomberait en quelques jours. Les Ukrainiens ont été en mesure de riposter face aux troupes russes. Ce conflit permet de s'interroger sur la capacité des "petits" pays à résister face à de grandes puissances.

Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

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Atlantico : Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, les services secrets américains pensaient que Kiev tomberait après seulement 48 ou 96 heures. Pourtant, alors que l’invasion de l’Ukraine a commencé il y a plus de 50 jours, l’Ukraine résiste et la Russie s’est vue contrainte de changer ses plans. Comment expliquer qu’un pays de moins de 45 millions d’habitants ait résisté aussi longtemps face à une des prétendues meilleures armées du monde ? 

Jérôme Pellistrandi : Il faut tout d’abord rappeler que l’Ukraine est en guerre depuis 2014. Le pays a perdu la Crimée et la ligne de front s’est établie le long du Donbass. De plus, depuis huit ans, l’Ukraine s’est renforcée, s’est préparée. En 2021, 50 soldats ukrainiens ont d’ailleurs été tués sur cette ligne de front, ce qui démontre que la menace était bien réelle. Tout cela a permis à l’Ukraine de tirer de nombreuses leçons de cette première défaite, en comptant notamment sur l’appui des États-Unis, du Royaume-Uni et d’autres États occidentaux. 

Ce qui est surprenant, c’est qu’on ne pensait pas que l’Ukraine serait aussi unie dans le conflit actuel. Le pays compte des populations russophones à l’Est, des populations ukrainophones et catholiques à l’Ouest … La possibilité d’une union nationale était donc très limitée. Pourtant, celle-ci n’a jamais été aussi forte depuis 2014 et les populations russophones qui étaient perçues comme russophiles par Moscou ont montré qu’elles étaient en fait d’abord ukrainiennes. La Russie ne doit donc pas uniquement faire face à une armée de 200 000 hommes mais un peuple de plus de 40 millions d’habitants. 

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Pouvons-nous tirer des leçons de ce conflit, notamment sur la capacité des petits pays à résister face à de grandes puissances ?

On s’aperçoit que les Russes ont eu les yeux plus grands que le ventre. Ils avaient affronté les Tchétchènes, même s’il s’agit d’une sorte d’opération intérieure. Ils ont affronté la Géorgie, qui est un tout petit État, et enfin la Syrie. En réalité, envahir ou attaquer un pays plus grand que la France est une toute autre paire de manches. Même si le rapport entre la population ukrainienne et russe pourrait être en défaveur de l’Ukraine, on assiste à une véritable union nationale et on observe que les Russes n’avaient pas les forces nécessaires pour se saisir du pays et l’occuper. 

À titre d’exemple, Taïwan est menacé par la Chine. C’est un pays qui est encore plus petit que l’Ukraine, mais qui a l’avantage d’être une île. Les Chinois, qui se sont beaucoup inspirés de la doctrine militaire russe, se rendent bien compte que celle-ci n’est pas aussi efficace que ce qu’ils pensaient. Je pense qu'ils doivent sérieusement se remettre en question à l’heure actuelle. Taïwan peut donc se considérer en mesure d’empêcher un débarquement, à moins que les Chinois développent une capacité de projection bien supérieure à celle qu’ils ont actuellement. En tout état de cause, une invasion de Taïwan par la Chine serait aujourd’hui extrêmement risquée. 

Ce conflit permet-il de remettre en question certains aspects tactiques d’une guerre comme l’utilisation massive d’engins mécanisés, de petits drones ou l’utilisation de groupes de combat de taille réduite ? 

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Très clairement, de très nombreuses leçons devront être tirées de ce conflit, qui est de très haute intensité et très consommateur en termes d’hommes et d’équipements. Les armées devront se poser de très nombreuses questions, notamment sur l’emploi de drones kamikazes, d’artillerie… S’il y a bien une certitude, c’est que les combats de haute intensité sont très meurtriers. D’autre part, on réalise que la chaîne de commandement ukrainienne est très efficace, ce qui n’est pas le cas de la Russie. Je pense que les pays occidentaux devront se remettre en question à la fois sur leurs doctrines mais aussi sur leurs équipements. Quand on voit le taux d’attrition des moyens russes et ukrainiens, il faudra que les armées occidentales s’interrogent sur leur stock de munitions, leur réserves de véhicules blindés… Ces leçons doivent être tirées rapidement car la Russie reste une puissance très menaçante. 

Il faut quand même relever qu’un certain nombre de leçons sont déjà prises en compte par les armées occidentales. En revanche, la réflexion et la prise de décision prennent beaucoup de temps. S’il n’est pas compliqué de reconstituer un stock de munitions de petit calibre, il est beaucoup plus chronophage de construire des véhicules blindés ou des drones. Toute une réflexion devra donc être conduite au niveau des différents États membres de l’OTAN, dont la France. Le prochain président de la République aura d’ailleurs comme dossier prioritaire les conséquences de la guerre en Ukraine. Cela comprend les effets de la guerre elle-même ainsi que ses conséquences en Europe, mais aussi la mondialisation de la guerre et les choix à faire pour la défense française... Pour cela, il faudra envisager une forte augmentation des budgets dans un contexte économique qui est compliqué. 

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