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L'UE renforce les obligations de réduction des rejets automobiles de CO2 : ce que ça va concrètement changer pour les constructeurs
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Voiture (presque) propre

Le Parlement européen a adopté des mesures visant à atteindre d'ici 2020 l'objectif de réduction des émissions à 95g de CO²/km pour les voitures neuves. Les constructeurs français partent avec une longueur d'avance, mais pas les allemands.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Des mesures visant à atteindre d'ici 2020 l'objectif de réduction des émissions à 95g de CO²/km pour les nouvelles voitures ont été adoptées par le Parlement européen ce 25 février. En quoi cette nouvelle législation peut-elle avoir un impact sur les constructeurs automobile du Vieux Continent ?

Jean-Pierre Corniou : Alors qu’avec 12,3 millions de voitures en 2013 le marché européen de l’automobile est très loin de  retrouver ses volumes de 2007 (16 millions de voitures), la préoccupation environnementale reste au cœur de la volonté européenne non sans difficulté et compromis. Il faut rappeler qu’un cinquième des émissions de CO2 en Europe provient des voitures. De plus, entre 1990 et 2008, les émissions produites par le transport routier ont augmenté de 26%. Pour être complet, les émissions de CO2, gaz à effet de serre, ne sont qu’un des éléments de l’impact environnemental des véhicules qui produisent également des polluants chimiques et des particules fines dont les normes Euro visent à réduire le volume. Euro 6 sera obligatoire au 1er septembre 2015 pour l’immatriculation des nouveaux véhicules. L’industrie est donc poussée par cette double réglementation à innover pour réduire sa trace environnementale et éviter des mesures plus graves de restriction ou même d’interdiction de circulation.

C’est en 2009 que la Commission européenne, le Parlement européen et les constructeurs automobiles européens  s’étaient  entendus pour définir les modalités  d’atteinte, sur l’ensemble de leurs gammes,  de la limite moyenne de 130 g/km d’émission de CO2, soit 18% de réduction pour 2015. Au cours des débats, cette obligation « volontaire » avait été repoussée de 3 ans, 2012 ayant été la date primitivement fixée par la Commission. Si les parties prenantes avaient finalement accepté de temporiser sur le calendrier, c’était pour garder un cap très ambitieux : limiter les émissions moyennes à 95g/km en 2020.

Le vote du Parlement européen du 25 février 2014 confirme cet objectif : les voitures neuves vendues en Europe en 2020 devront émettre 27% de CO2 en moins que celles vendues en 2015.

Depuis 2008, la crise de l’automobile en Europe a eu un impact majeur  sur la baisse des volumes de voitures neuves vendues (12,3 millions en 2013), alors que les voitures neuves sont moins polluantes. Si la baisse globale des volumes diminue les rejets, le vieillissement du parc dont la moyenne d’âge est aujourd’hui de 8 ans dégrade la situation, les voitures les plus anciennes étant les plus polluantes et génératrices de CO2. Les constructeurs arguent donc que l’accélération du remplacement du parc ancien aurait un effet plus efficace que le durcissement de la réglementation.  

La production moyenne de CO2 par kilomètre en Europe s’est élevée à 132 g en 2012 mais à 147 g en Allemagne. Or pour l’Agence Internationale de l’Energie, dans un scénario  dit 450 ppm de CO2  dans l’atmosphère (nous avons atteint aujourd’hui 400 ppm) limitant à 2°C l’élévation de température sur la terre, il serait impératif de réduire les émissions moyennes des voitures européennes à 80 g CO2/km en 2020 et 60 g CO2/km en 2025. Ces objectifs illustrent parfaitement l’effort qui devrait être fait et la complexité du dossier !

Au lendemain du Grenelle de l'environnement, les marques françaises avaient déjà réalisé des efforts notables en terme de réduction des émissions de CO2. Les dispositions légales adoptées récemment adoptées par Bruxelles représentent-elles en conséquence une aubaine pour des fabricants comme Renault et PSA ?

Les constructeurs français sont les bons élèves de l’Europe, avec les Italiens. Ce n’est pas tant par vertu que grâce à une structure de la demande qui privilégie les voitures de petite cylindrée. Le marché français se concentre sur les véhicules d’entrée de gamme et économique (53%) et de moyenne gamme inférieure (30%), contre respectivement 41% et 28 % pour la moyenne de 18 pays européens.  La puissance moyenne des voitures composant en 2011 le parc français est parmi les plus faibles d’Europe : 1550 cm3 et 74 kW en France contre 1634 cm3 et 84 kW pour la moyenne des 15 pays européens, et en Allemagne 1756 cm3 et 96 kW. Cette situation du marché conduit à des performances en émissions de CO2/km parmi les meilleures d’Europe avec 117,81 g/km contre 136 g/km en Allemagne.

De ce fait, 85% des véhicules vendus en France en 2012 produisent moins de 140g de CO2/km. En 2012, la classe la plus représentée est la classe B (de 101 à 120 g de CO2 / km) avec 38 % des ventes. La classe d’énergie A (jusqu’à 100 g de CO2 / km), représente 14 % de part de marché. Il y a dix ans, en 2004, la production moyenne de CO2 par voiture était de 154 g/km. Les progrès sont donc tout à fait sensibles.

L’industrie française s’est de fait spécialisée dans les petites voitures. Dans une perspective de baisse mondiale de la consommation et des émissions ce n’est pas un handicap. En redoublant de créativité, la petite voiture française peut en effet se développer mondialement. Pour cela il faut continuer de tirer vers le bas les consommations d’énergie. 2 litres au 100 est accessible en travaillant sur le poids, principal facteur de consommation. Il faut aussi revoir l’architecture qui n’a pas changé depuis les années trente et l’adoption de la caisse acier soudée. Les consommateurs attendent des véhicules pratiques qui permettent de faciliter la vie à bord, le rangement des objets comme les poussettes ou la connexion des appareils électroniques personnels, les circulations fréquentes d’entrée/sortie. On a aussi besoin de se garer facilement dans un espace nécessairement limité et coûteux car le foncier urbain sera de plus en plus rare, voire même inaccessible.  Quant à l’énergie on peut considérer que le véhicule électrique, spécialité de Renault et aussi de Bolloré, est urbain par destination : les nuisances, bruit, chaleur et émissions de particules et gaz polluants,  sont minimales. Mais on peut aussi valoriser la filière prometteuse hybride-air dont PSA est le promoteur. Les solutions techniques existent et l’industrie française n’est pas en retard.

Les Allemands semblent à l'inverse plutôt pénalisés par ces mesures, ce qui expliquerait que l'on soit arrivé à un "compromis" autour de 95g alors qu'un objectif plus ambitieux était prévu. Qu'en est-il concrètement ?

La Chancelière Merkel avait effectivement insisté à l’automne 2013  pour que la marche en avant de la réglementation ne soit pas trop tendue pour les constructeurs allemands qui se sont spécialisés dans le marché des véhicules haut de gamme très motorisés et donc beaucoup plus polluants que les petites voitures. Son objectif initial était de repousser à 2024 l’application de la cible de 95 g de CO2/km. Le débat  a porté sur les modalités d’atteinte de cet objectif en dotant les véhicules peu polluants d’un bonus, qualifié de super-crédit, permettant d’augmenter leur pondération dans le calcul de la gamme. Ainsi pendant trois ans les véhicules produisant moins de 50 g de CO2 par km compteront double dans le calcul de la moyenne par constructeur. Et pendant l’année 2020, les constructeurs pourront exclure du calcul 5% des véhicules les plus polluants. Les constructeurs allemands ont également intégré cette évolution inéluctable dans leur stratégie industrielle. Le choix de véhicules électriques emblématiques pour BMW ou de l’hybrid pour Mecrdedes ou VW traduisent leur capacité d’adaptation.

Ces nouvelles régulations auront-elle un impact sur le prix de constructions des futurs véhicules ? Dans quelles proportions ?

L’industrie européenne de l’automobile investit 32 milliards par en R&D. Une grande partie de ces recherches est consacrée à la baisse des émissions qui mobilisent une multiplicité de techniques. Il peut certes avoir un renchérissement de certains composants techniques et complexes comme les filtres à NOx mais aussi un travail de fond sur l’allégement, la réduction de taille des véhicules et de leurs composants (« downsizing ») qui conduit à une baisse des coûts et donc des prix. Il est évident que les constructeurs devront se mettre en situation de produire des véhicules acceptables dans les conditions de marché, les réticences des clients à payer plus pour des véhicules moins polluants étant fortes et freinant le développement commercial des alternatives comme l’électrique et l’hybride. On estime que le surcoût de la norme Euro 6 est de 700 à 1000 € par véhicule ce qui conduit les constructeurs à éliminer les motorisations diesel pour leurs futurs petits véhicules au profit de l’essence moins couteuse à dépolluer.

D'après l'UE, L'objectif de 95g/km représenterait une économie de 15 millions de tonnes d'émissions de CO2 chaque année. Une telle prévision vous semble t-elle réaliste ?

En partant de l'hypothèse de 12,5 millions de voitures vendues chaque année dans l'Union, ce texte pourrait permettre de réduire de 15 millions de tonnes par an les émissions de CO2 des véhicules en Europe. Cette bataille cache des enjeux complexes. Derrière les arguments classiques -  emploi, compétitivité de l’industrie automobile européenne - se profile un débat technique ardu qui recouvre deux mouvements complémentaires :
-    D’une part réduire de façon drastique la consommation des voitures à moteur thermique essence et diesel, et pour ceux-ci réduire l’émission de particules et d’oxydes d’azote
-    D’autre part réduire en pourcentage de la gamme le nombre de véhicules à moteur à explosion. Quatre solutions existent : l’utilisation des bio-carburants dans des moteurs classiques, les véhicules électriques, les véhicules hybrides, doté d’un moteur thermique, essence ou diesel, ou les véhicules à hydrogène, soit hydrogène liquide employé comme carburant soit alimentant une  pile à combustible pour produire à bord l’électricité nécessaire. La difficulté pour les constructeurs est de trouver un équilibre volume/prix/faisabilité entre ces solutions qui présentent toutes des incertitudes économiques et des difficultés techniques.

C’est toutefois un objectif réaliste qui s’inscrit dans une évolution plus profonde du marché européen de l’automobile, qui en s’urbanisant, laisse place à des solutions alternatives dans la conception des véhicules comme dans le déploiement d’une offre  de transports partagés, co-voiturage, autopartage, et transports publics rénovés. Pour protéger l’avenir de l’industrie européenne, il faut que les constructeurs innovent et prennent le leadership sur les produits de demain. Tout ce qui retarde la prise de conscience, et altère la capacité de réaction de l'industrie automobile, est une menace pour cette industrie vitale que l'Europe a su encore faire évoluer.

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