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L'Occident redevable à la science arabe médiévale ? Oui, mais c'était avant l'inexorable régression scientifique du monde musulman
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Bonnes feuilles

Nous croyons tous aujourd'hui à l'idée réconfortante selon laquelle l'histoire humaine se déroule comme un progrès continu. Chaque jour, la science nous épate de ses découvertes. Et pourtant, nous nous trouvons aujourd'hui face à un paradoxe gigantesque. Dans cette utopie hyperconnectée et hyperinformée, l'ignorance gagne chaque jour du terrain et les exemples se multiplient d'obscurantismes qui se renforcent autour de nous. Extrait de "La longue montée de l'ignorance" de Dimitri Casali aux Editions First (1/2).

Dimitri  Casali

Dimitri Casali

Dimitri Casali est Historien, spécialiste du 1er Empire et ancien professeur d’Histoire en ZEP, il collabore régulièrement avec la presse écrite, la radio et la télévision. Il est auteur d’une quarantaine d’ouvrages notamment : La France Napoléonienne (Albin Michel 2021), le Grand Procès de l’Histoire de France, lauréat du prix des écrivains combattants 2020 (Robert Laffont 2019), du Nouveau Manuel d’Histoire préface de J-P Chevènement (La Martinière 2016), de l'Altermanuel d'Histoire de France (Perrin), lauréat du prix du Guesclin 2011 ; l'Histoire de France Interdite (Lattès 2012). Par ailleurs, il est le compositeur du « Napoléon l’Opéra rock » et de l’« l’Histoire de France l’Opéra rock », spectacles musicaux historiques et éducatifs.

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On évoque souvent dans les medias la brillante civilisation musulmane qui s'épanouit du viie au xive siècle, en insistant abondamment sur le fait que l'Occident serait redevable à la science arabe médiévale. C’est un phénomène historique avéré. Cependant on omet presque toujours de citer l’incroyable décadence qui suivit et ses conséquences directes : une immense perte de savoir et une lente montée de l’ignorance. Entre le xvie et le xxe siecle, le déclin scientifique du monde musulman dans de nombreux domaines est patent. Selon le Prix Nobel de physique Abdus Salam (1979) :  "De toutes les grandes civilisations de la planète, la communauté islamique est celle qui a fait a la science la place la plus restreinte" (cite par Anne-Marie Delcambre dans L’Islam des interdits, Desclee de Brouwer, 2003).

Aujourd’hui, le discours bien-pensant a propos d’un islam éternellement lumineux nuit à une compréhension objective de ce phénomène de declin.  L'Occident a certes bénéficie de la présence musulmane en Andalousie et en Sicile, carrefours civilisationnels, où les savants arabes furent des passeurs de connaissances. Ils nous ont facilite la transmission de notre héritage grec longtemps préservé uniquement a Constantinople. Essor de la géographie (de la cartographie en Sicile), de la philosophie, de la médecine, des mathématiques, toutes ces avancées imprégneront l’Europe : le zero, invente en Inde, arrive sur le continent européen grâce aux Arabes.

Les moulins à vent, les moulins a eau (y compris ceux qui utilisent les marées), la trigonométrie, les voiles latines, les techniques d'irrigation sont développées par les Arabes, le papier venu de Chine est transmis aux Occidentaux au xie siecle (à Xativa en Espagne, puis au xive siecle à Fabriano en Italie) et la poudre au xive siecle. Concernant l’algèbre, on sait que la plupart des savoirs arabes sont directement issus des connaissances antiques, grecques, indiennes et babyloniennes. Dans le domaine de la philosophie, Thomas d’Aquin (1224-1274) s’inspire des commentaires sur Aristote du plus fameux de tous les savants arabes : Averroès (1126-1198), né à Cordoue en Espagne. Toutefois, on se garde toujours de mentionner qu’il fut condamne par les tenants de la tradition, banni pour hérésie et que ses livres furent brules. Il meurt en parfait inconnu. Ce sont les traductions latines médiévales de son oeuvre qui permirent a la pensée d'Averroès de survivre des la première moitie du xiiie siecle. Celle-ci alimentera les débats théologiques et philosophiques occidentaux, notamment a la Sorbonne.

Un autre fait majeur est passé sous silence : nombre de ces traducteurs arabes étaient bien de langue arabe mais n’etaient ni arabes ni musulmans. Ils furent juifs comme Moise Maimonide, Ibn Tibbon ou Yossef Kimhi, chretiens principalement syriaques, ou encore perses comme Avicenne ou Al-Farabi, héritiers de l’antique savoir de la civilisation des Achemenides (vie-iiie siecle avant J.-C).

Contemporain d'Averroès, le philosophe et médecin Maimonide nait lui aussi à Cordoue en 1138. Il est le descendant d’une riche et célèbre famille de juges rabbiniques installée depuis longtemps dans la capitale andalouse. Mais à l’arrivée du mouvement religieux des Almohades, musulmans rigoristes, juifs et chrétiens sont contraints de s’exiler ou d’épouser l’islam. Vers 1159, le durcissement des persécutions impose l’exil à la famille de Maimonide. Il doit se refugier à Fes puis en Egypte. C’est là qu’il passera le reste de sa vie et rédigera l’essentiel de son oeuvre.

Al-Andalous (l’Espagne musulmane) est donc loin d’être le havre de paix, de convivencia (coexistence), décrit dans les livres et manuels d’histoire et serait plus proche du mythe. Un mythe que Serafin Fanjul demystifiant l’idéalisation du passe islamique, selon laquelle les Arabes supérieurs, raffinés et cultivés succombent aux chrétiens barbares, ignorants et maladroits. Il démontre dans son ouvrage La quimera de Al-Ándalus (La chimère d’Al-Andalus), paru a Madrid en 2004, que cette image idéalisée d'une Espagne multiculturelle, terre de tolérance et de vie en commun entre trois cultures et trois religions monothéistes, est, pour une très large part, historiquement fausse.

Apres le xve siecle, le déclin devient irréversible, alors que l’Europe occidentale connait une accumulation constante des ressources, un recul des famines et des maladies. Les pays arabes et ottomans, comme d’autres parties d’Asie et d’Afrique, sont livres a la peste et aux disettes, la population baisse par endroits. Des cette époque une forme de "résistance" au savoir médical européen est avérée et ce sont les découvertes de la médecine occidentale du xixe siècle qui permirent les progrès de la situation sanitaire des pays arabes. Les maladies infectieuses (peste, cholera ou paludisme) reculent enfin. La mortalité infantile se réduit. Quand les disciples de Louis Pasteur arrivent au Maghreb, à la fin du xixe siecle, ils sont sidérés par l’état sanitaire désastreux des populations, en particulier par l’importance du paludisme, de la syphilis, de la variole, des maladies ophtalmiques (trachomes) et de la mortalité infantile. Jusque-là, seules les matrones accouchaient les femmes musulmanes et on pouvait déplorer une forte mortalité due au manque d'hygiène et à leur incompétence dans des cas difficiles.

Extrait de "La longue montée de l'ignorance" de Dimitri Casali aux Editions First

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