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L’intelligence artificielle serait d’ores et déjà plus efficace que les médecins pour repérer certains cancers
©wikipédia

Diagnostic

Une équipe de chercheurs allemands français et américains a développé un système d'intelligence artificielle permettant de diagnostiquer le cancer de la peau avec plus de précision que les dermatologues.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le logiciel a été capable de détecter avec précision le cancer dans 95 % des images de grains de beauté cancéreux et de taches bénignes, alors qu'une équipe de 58 dermatologues faisait des diagnostics précis dans 87 % des cas. Que pensez-vous de l'étude ? Quelles sont les limites de cette expérience ?

Stéphane Gayet : Les résultats de cette étude confirment les promesses des systèmes experts pour le diagnostic médical. De plus, dans le cas des lésions cutanées, les données à traiter sont des images numériques, ce qui constitue une situation particulièrement favorable à la mise en œuvre des outils d'aide au diagnostic. Le processus consiste donc d'abord à prendre un cliché numérique de la lésion dermatologique ; la qualité du cliché est déterminante. Le système informatique d'aide au diagnostic comporte plus de 100 000 photos de lésions en mémoire. On lui a appris ce qu'il fallait voir dans chacun de ces dizaines de milliers de clichés et comment il devait analyser une photo qu'on lui donnait à étudier. Chaque lésion à diagnostiquer est ainsi analysée selon sa forme, ses contours, sa densité, sa texture, son homogénéité, ses couleurs, sa luminosité… Cette étude est indiscutablement largement probante. Elle est une nouvelle prouesse des technologies numériques en médecine.

L’expression d’intelligence artificielle est usuelle et commode, mais contestable et, de fait, souvent contestée. Dans le domaine du diagnostic médical et de la décision médicale, on préfère parler de logiciels ou systèmes experts. Leur mode de fonctionnement s’apparente aux systèmes experts qui battent les champions de jeu d’échecs ou de jeu de go. On développe des systèmes experts en médecine depuis plusieurs décennies, surtout dans les domaines du diagnostic, mais aussi ceux du pronostic et de la décision. Ils sont souvent appelés logiciels d’aide au diagnostic, d’aide au pronostic ou d’aide à la décision.

Il est évident qu’ils sont devenus plus performants que l’homme : c’était fatal. Le cerveau humain est limité en vitesse de calcul, en vitesse de mémorisation de données ainsi qu’en vitesse et en exhaustivité d’accès aux données mémorisées, et en fiabilité générale. Ce n’est pas le cas de l’ordinateur ni des logiciels, dont on augmente sans cesse les performances et la fiabilité. L’ordinateur dépasse et même surpasse largement l’homme, mais ce n’est pas à proprement parler de l’intelligence. Il se contente de réaliser à une vitesse vertigineuse ce que l’homme lui a appris à faire. L’ordinateur et les logiciels peuvent atteindre l’excellence à coup sûr dans leur domaine précis, alors que le cerveau humain en est incapable, en raison de ses multiples défaillances inhérentes à sa nature biologique pleine d’imperfections et source d’erreurs. Deux exemples d’erreur fréquente : on pense avoir prononcé un mot A, alors que l’on a en réalité prononcé un mot B (lapsus linguae inconscient) ; on pense avoir vu un objet vert, alors que cet objet était bleu. Le logiciel ne commet pas ce type d'erreur.

Pour se convaincre de la supériorité de l’ordinateur sur l’homme en rapidité et en fiabilité, il suffit de prendre deux pages d’un roman au format livre de poche. En dehors des sujets prodiges, un individu ordinaire a besoin d’au minimum 10 à 15 minutes pour les mémoriser complètement, alors qu’un traitement de texte le fait en moins d’une seconde ; l’individu a besoin d’au moins une minute pour compter combien de fois un mot donné apparaît dans le texte, le traitement de texte moins d’une seconde, etc. En revanche, le traitement de texte ne comprend rien à ce qui est écrit : il ne fait que le mémoriser à très grande vitesse et à 100 % ; il est prodigieusement rapide, mais radicalement bête. Au contraire, l'homme est prodigieusement génial pour inventer et comprendre, mais vraiment limité pour effectuer.

Ce système expert pour le diagnostic des lésions dermatologiques est très performant parce que des dermatologues chevronnés et expérimentés ont soigneusement collecté et étudié plus de 100 000 clichés, puis les ont utilisés pour éduquer le système informatique, afin d'en faire un expert. Ce système n'a aucune intelligence, c'est un parfait idiot à la mémoire prodigieuse et aux capacités d'apprentissage gigantesques. L'intelligence est du côté des concepteurs du système expert – dermatologues et informaticiens - et non pas du côté de la machine. C'est parce que l'homme est génial qu'il parvient à créer des machines qui le dépassent. Mais c'est lui seul qui reste le génie, la machine n'est qu'un surdoué stupide et aux ordres.

Quelles sont les limites de ce système expert ? On a déjà utilisé des systèmes experts de ce type en imagerie médicale (radiologie, scanner, imagerie par résonance magnétique…). Ces machines n'ont théoriquement pas de limites : on va les rendre toujours plus performantes (précises, rapides, fiables). Toutefois, elles ont tout de même des limites : c'est le travail nécessaire des chercheurs pour faire progresser le logiciel de la machine ; ce travail est long, fastidieux, toujours en équipe. La machine est tributaire du travail de ses créateurs et de ses ingénieurs. De plus, comme la machine ne reconnaît que ce qu'elle connaît, son logiciel doit être mis régulièrement à jour en fonction de l'apparition de nouvelles maladies, de nouveaux noms, de nouvelles classifications et de nouveaux critères de diagnostic.

Ce pourcentage plus élevé de détection est-il la principale avancée de ce logiciel ? Est-ce qu'il constitue un réel gain de temps qui permettrait d'établir des diagnostics plus rapides et plus sûrs ?

Ce pourcentage est l'indicateur le plus spectaculaire de la prouesse effectuée par ce système expert. Mais cette machine présente d'autres avantages de taille. Elle ne se fatigue pas, sa performance ne nécessite pas de repos préalable. Elle a un rendement exceptionnel : à la différence de l'homme, elle peut travailler 24 heures sur 24, sans jamais s'arrêter ; elle est disponible en permanence. Une machine n'a pas d'état d'âme : elle effectue une tâche et la termine ; l'homme est parfois inquiet, dans le doute, éprouvant le besoin après coup de revenir sur sa tâche. L'homme est sujet à la fatigue, aux distractions venant de l'extérieur, aux soucis, aux émotions, à des baisses de forme… En effet, ces logiciels experts permettent un réel gain de temps qui devrait permettre de faire des diagnostics de plus en plus rapides et de plus en plus sûrs.

Il y a cependant une crainte concernant l'avenir de ces systèmes experts. Aujourd'hui, cette machine a été mise au point par des dermatologues chevronnés et expérimentés des États-Unis d'Amérique, d'Allemagne et de France. Ce sont de grands experts qui ont fait de la machine une experte. Mais quel sera l'avenir ? Si cette machine fait les diagnostics toute seule, quelle sera la motivation des étudiants en dermatologie de demain à se former à la discipline ? Ils sauront que, quels que soient leur énergie et leur temps dépensés à apprendre, la machine sera plus performante, plus rapide et plus fiable qu'eux. On pourrait donc craindre une baisse du nombre des spécialistes et une baisse de leur niveau de compétence. De la même façon que les personnes qui n'écrivent plus que par textos depuis leur téléphone mobile ne savent plus écrire, étant donné que le logiciel du mobile écrit les mots à leur place. Alors, on pourrait être tenté de se dire : quelle importance, étant donné que c'est la machine qui fera le travail de diagnostic ? Eh bien non ! Car la machine est un élève surdoué, mais stupide et sans autonomie. S'il n'y a plus d'experts pour la faire évoluer, corriger ses erreurs et la mettre à jour, ce sera sa fin annoncée. C'est là que l'on se rend compte que la seule véritable intelligence est celle de l'homme. La machine ne restera qu'un surdoué stupide et aux ordres, incapable de se prendre en mains.

Que disent ces travaux de l'avenir des logiciels - et plus largement des nouvelles technologies - dans la dermatologie ? Dans la médecine de manière générale ? Quelle peut alors être la place du médecin ?

Aujourd'hui, le cerveau humain est dépassé par les performances des ordinateurs et des logiciels qu'il a créés et perfectionnés. Il est essentiellement dépassé en rapidité de calcul, en rapidité de mémorisation et en rapidité d'accès et de restitution des données mémorisées. Dans un disque dur de 250 grammes, on peut emmagasiner la totalité des connaissances médicales du monde entier (à la condition de les trier, les dédoublonner et les condenser un minimum). Le cerveau humain pèse environ 1 250 grammes, soit un kilo de plus et il en est parfaitement incapable. En admettant qu'il le soit tout de même, son accès aux données mémorisées serait aléatoire, assez lent et sans grande fiabilité. Pour un disque dur, c'est tout le contraire. Prenons l'exemple d'un médecin qui reçoit en consultation une personne âgée de 35 se plaignant, depuis trois jours, d'un mal de tête prédominant le matin au réveil et de location frontale, d'une grande fatigue, d'une diminution de la force des deux membres supérieurs et d'une baisse de l'appétit. Si le médecin saisissait dans un logiciel expert ces données issues de l'interrogatoire de la personne, le logiciel lui produirait en cinq ou dix secondes une liste de 16 maladies pouvant comporter ces différents symptômes, avec un classement par probabilité décroissante, ainsi qu'une liste de signes et symptômes supplémentaires à rechercher et une liste d'examens complémentaires à effectuer. Alors qu'en réalité ce malheureux médecin - avec son cerveau fatigué et ses connaissances médicales parfois émoussées et souvent pas très à jour - va être souvent désemparé et pas très efficace ; à moins qu'il n'ait la chance de se souvenir d'un autre patient ayant présenté le même tableau clinique…

Il est plus que certain que ces systèmes experts vont s'imposer de plus en plus en médecine. Certains seront même accessibles sur internet, mais leur usage par des personnes néophytes sera dangereux. Car le recueil des signes et symptômes auprès du patient, la façon de les saisir dans le logiciel et l'interprétation des résultats donnés par le système expert, nécessiteront toujours d'être médecin ou au minimum d'être un professionnel de santé. Un moteur de voiture est infiniment plus simple que le corps humain ; mais le diagnostic électronique du dysfonctionnement d'un moteur à l'aide d'un boîtier de diagnostic – souvent appelé "valise de diagnostic" – nécessite pourtant bien d'être mécanicien. Alors, a fortiori pour le corps humain.

Comme le Pr Guy Vallancien, nous sommes intimement persuadés que le médecin conservera toute sa place dans la médecine de demain, y compris lorsque les systèmes experts seront partout. Non, les machines qu'il aura créées ne le remplaceront pas. Elles seront ses formidables auxiliaires, mais elles ne seront que des surdoués stupides et aux ordres. Le médecin ainsi que tous les paramédicaux seront toujours auprès du patient pour dialoguer humainement avec lui : l'écouter patiemment et lui dire des phrases qu'une machine ne pourra pas dire, lui manifester de l'empathie qu'une machine ne pourra pas avoir, le comprendre d'une façon que la machine ne pourra pas faire. Car la machine restera une machine, c'est-à-dire un opérateur froid et dépourvu de toute incarnation. Et puis avant que tous les soins ne soient effectués par des machines, il s'écoulera bien des années.

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