L’inquiétante montée en puissance des réseaux criminels au sommet du pouvoir russe <!-- --> | Atlantico.fr
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Le groupe Wagner a inauguré son QG à Saint-Pétersbourg début novembre.
Le groupe Wagner a inauguré son QG à Saint-Pétersbourg début novembre.
©Olga MALTSEVA / AFP

Tensions

Deux figures de la criminalité russe se sont publiquement opposées au patron du groupe Wagner, Evguéni Prigojine.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Deux figures du monde criminel russe, Grisha Moskovskiy et Sacha Kurara, se sont récemment exprimés sur la politique russe et notamment sur la place de Evguéni Prigojine, le patron du groupe Wagner. Qui sont ces deux hommes ? A quel point ont-ils un impact en Russie ?

Viatcheslav Avioutskii : Ces deux personnes ne sont que très peu connues même en Russie. Ils se sont faits connaître grâce à leurs déclarations critiques publiées sur YouTube à l’égard de Prigojine. Dans la hiérarchie criminelle russe, il existe une centaine de chefs dans l’organisation qui établissent et font appliquer des « lois » induites du crime organisé russe. Moskovskiy est l’un d’eux. Actuellement il n'est pas en Russie et il se pourrait même qu’il soit en Ukraine. Il est devenu blogueur et a une chaîne YouTube d’une vingtaine de milliers d’abonnés. Il aurait officiellement arrêté ses activités criminelles. Pour ce qui est de Kurara, on ne sait pas bien quelle place a-t-il dans la hiérarchie criminelle. Ce que l’on sait c’est que cet homme était en prison avec Prigojine et que lui aussi ne se trouve pas en Russie pour le moment.

Les deux hommes ont critiqué Prigojine et sa prétention à être une sorte de leader du monde du crime organisé. C'est comme ça qu'il s'est présenté pour recruter des prisonniers pour en faire des mercenaires dans son entreprise de sécurité privée Wagner. Ils expliquent à travers des interviews très virulentes que la guerre en Ukraine bafoue les codes de la criminalité russe et ne veulent pas que l’organisation y soit mêlée.

À quel point le monde criminel russe est-il influent au sein du gouvernement ?

La structure actuelle du crime organisé russe a émergé à l'époque soviétique, dans le goulag, où des criminels ont décidé de créer des organisations pour résister à la pression de l'autorité soviétique. Le but était de préserver leurs intérêts face à l'État tout-puissant. Ils régissent les activités criminelles avec une hiérarchie. Ce système a survécu à la fin de l'URSS et ces criminels sont entrés dans le commerce puis ont commencé à gagner en influence sur le terrain politique. Et, petit à petit, dans les années 1990, il y a eu une sorte de criminalisation des hommes d'affaires existants. Au point que le jargon des groupes criminels s'est propagé dans la société russe, y compris parmi les politiques.

Faut-il s’inquiéter de ce genre de figures émergentes ? Si oui, pourquoi ?

Ce type de personnages plutôt marginalisés qui apparaissent aujourd'hui à la une des journaux, y compris en Occident, étaient inconnus du grand public et on peut se poser la question de leur dangerosité. Il y a deux hypothèses à cette soudaine médiatisation.

La première hypothèse est celle qui correspond au contenu de leur message. En fait, ce serait une sorte de prise de position du crime organisé à l’égard de la guerre en Ukraine. Il s’agit d’une organisation caractérisée par une très forte solidarité entre ses membres, au-delà même des questions de nationalité, puisqu’elle ne s’arrête pas aux frontières russes. Sachant que les mobilisés russes, y compris les prisonniers recrutés par Wagner, se font très vite tuer sur le front, on pourrait penser que la soudaine médiatisation de telles personnes et de leur message sur l’incompatibilité des « valeurs » du crime organisé avec la guerre en Ukraine soit faite pour préserver les membres. Il faut rappeler que selon certaines sources une vingtaine de milliers de prisonniers russes ont rejoint Wagner. 

La deuxième hypothèse - la plus intéressante selon moi -, partagée par plusieurs analystes, consiste à dire que ce serait une manipulation de la part de l’entourage proche de Vladimir Poutine, lequel craindrait la montée en puissance de Prigogine. Ce serait une sorte de tentative pour discréditer Prigojine qui, notamment à cause de la guerre en Ukraine, a pris beaucoup de place sur la scène politique russe et dans l’opinion publique. 

En somme, l’apparition médiatique de tels personnages est assez exceptionnelle, mais il ne faut pas avoir d’inquiétude à ce sujet sachant que c’est certainement une forme de manipulation politique. Il faut tout de même rappeler que ces manœuvres autour et à l’intérieur de Kremlin ont toujours existé et en sont presque inhérentes.

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