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L’industrie allemande commence à redouter l’obstination des négociateurs européens sur le Brexit
©Chris J Ratcliffe / POOL / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraëli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 
Le 11 octobre 2018

Mon cher ami, 

Quelques chiffres

Il se peut que nous autres Britanniques ayons eu raison de ne pas perdre complètement les nerfs. L’un des cinq grands instituts allemands d’économie vient de publier une étude selon laquelle, dans le cas d’une absence d’accord sur le Brexit, le commerce entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne pourrait diminuer de 60%. L’industrie allemande serait particulièrement touchée, en particulier l’industrie automobile, qui devrait s’acquitter de deux milliards de droits de douane. Dans le pire des scénarios, les analystes de l’Institut der Deutschen Wirtschaft de Cologne prévoient que le commerce entre la Grande-Bretagne et l’Union Européenne pourrait diminuer de 50% - et même 60% dans le cas de la Belgique, comme pour l’Allemagne. Cela voudrait dire 40 000 suppressions d’emploi pour la seule Flandre. 
D’autres rapports parus ces jours-ci vont dans le même sens. La France pourrait voir manger son excédent commercial, actuellement de 4 milliards, vis-à-vis de la Grande-Bretagne par les tarifs douaniers. L’ensemble de l’Union Européenne perdrait au moins 1,5 % de croissance. Pour l’Irlande, ce serait une catastrophe: 4% de récession. Les exportations agricoles espagnoles et italiennes seraient profondément atteintes: la seule Murcie envoie les trois quarts de ses exportations agricoles en Grande-Bretagne. L’Italie pourrait avoir à verser 900 millions d’euros de plus au budget européen. 

Et pendant ce temps-là, Michel Barnier.....

Le patron des patrons allemands (Joachim Lang, président du BDI) demande aux deux parties de faire un compromis dans la négociation. Eh bien, Michel Barnier a expliqué hier que les négociations n’ont avancé qu’à 80% et qu’il ne pourra pas y avoir d’accord avec la Grande-Bretagne sans que cette dernière que l’Irlande du Nord reste, de facto, dans l’Union Européenne. S’il s’agissait de machiavélisme, pour faire tomber la majorité de Theresa May, qui dépend du DUP irlandais, j’imagine que le négociateur en chef de l’Union serait un peu plus subtil. Mais je ne crois pas qu’il s’agisse de cela. Nous avons affaire à une génération d’enfants gâtés de l’après-Seconde Guerre mondiale, qui ne sait pas vraiment à quel prix a été obtenue la stabilité de l’Europe, à travers les siècles. Que l’appartenance de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni ne soit pas négociable, pour des raisons historiques, cela n’effleure pas la conscience technocratique anhistorique du Savoyard. On pourrait penser que les inquiétudes de Joachim Lang aient plus de poids que l’argument de l’histoire. Mais ce n’est pas le cas. L’Union tournera à vide, s’il le faut, pourvu qu’elle continue à tourner. 

Comment l’obstination idéologique des Français prépare le malheur de l’Europe

Même votre très officiel quotidien vespéral s’en rend compte. Je suis tombé par hasard sur un article, avant-hier, qui soulignait combien les Français étaient les plus obstinés contre la Grande-Bretagne dans les négociations sur le Brexit. Je ne crois pas que la seule technocratie qui soit en jeu. Bien sûr, elle joue, chez Macron comme chez Barnier. Mais on touche une dimension bien plus profonde: c’est une véritable haine de soi que révèlent vos dirigeants, en l’occurrence. Ce qu’ils ne supportent pas, dans le Brexit, c’est l’image qui leur est renvoyée d’eux-mêmes. Ils ont abdiqué leur liberté entre les mains d’institutions technocratiques européennes, qu’ils ont eux-mêmes mises en place parce qu’ils pensent profondément que leur pays n’est pas capable, sans cette prothèse, de contenir la puissance allemande. Les dirigeants français n’aiment pas leur peuple, ne croient pas en lui. Ils envient l’Allemagne d’être aussi efficace, sans imaginer une seconde que cela puisse tenir à la solidarité des dirigeants allemands avec leur peuple. Cela s’appelle le patriotisme! 
Je ne veux pas dire que le tableau soit brillant chez nous. Vous avez suffisamment de représentants de nos élites qui n’arrivent pas à digérer la sortie de l’Union Européenne et qui maudissent “l’Angleterre périphérique”, pour reprendre l’expression d’un de vos géographes, Christophe Guilly. Mais la Chambre des Communes a respecté le résultat du référendum. On ne peut pas en dire autant de votre parlement qui a voté le Traité de Lisbonne contre le résultat du référendum de 2005 sur la Constitution Européenne. 
Ce qui se passe dans le cadre des négociations du Brexit montre bien, en tout cas, que le blocage actuel de l’Union Européenne aurait vraisemblablement disparu sans l’obstination française. Que vous êtes paradoxaux! Au moment où Angela Merkel est très affaiblie, où les chrétiens-démocrates allemands ont largement envie de redevenir conservateurs, où une majorité de gouvernants de l’Union veulent un accord avec la Grande-Bretagne, voici que votre président met toute son énergie à défendre la conception la plus idéologique que l’on puisse imaginer de l’Europe. Une Europe de la raison pure, aussi parfaite sur le papier que si l’avait assis à la même table un quarteron de polytechniciens et d’énarques. Mais, au fait, n’est-ce pas ce qui vous arrive? Tout ce qui est proposé par Paris est sorti des cerveaux complices d’Emmanuel Macron et Jacques Attali. A propos de ce dernier, savez-vous que c’est dès la campagne présidentielle de 1974 qu’ il avait commencé à insinuer à François Mitterrand qu’il fallait aligner la politique monétaire de la France sur celle de l’Allemagne? Votre président a beau être jeune, il défend un très vieille politique. 
Vous savez que j’aime bien citer Maurice Clavel, quand il disait “Le dernier stalinien sera un curé bas-breton”. Eh bien, il est probable que les hauts fonctionnaires français continueront à croire à l’Europe fédérale longtemps après que la Grande-Bretagne aura montré la voie, un peu poussivement au départ, je vous l’accorde, d’une réconciliation de l’économie entrepreneuriale et de la souveraineté nationale. 
Bien fidèlement
Benjamin Disraëli

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