L’Indo-Pacifique, entre mensonge et fantasme<!-- --> | Atlantico.fr
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Le commandant du Commandement indo-pacifique des États-Unis, John Christopher Aquilino, inspecte la garde d'honneur avant une réunion à New Delhi, le 25 août 2021.
Le commandant du Commandement indo-pacifique des États-Unis, John Christopher Aquilino, inspecte la garde d'honneur avant une réunion à New Delhi, le 25 août 2021.
©Prakash SINGH / AFP

Géopolitique

D'où vient le concept de l'Indo-Pacifique ? Est-il neutre ou a-t-il une charge idéologique méconnue ? Eléments de décryptage pour comprendre ce sujet.

Alphonse Moura

Alphonse Moura

Alphonse Moura est géopolitologue, maître en Sciences Politiques et Relations Internationales ; spécialiste des rapports de force et fondateur de l'école géopolitique bourguignonne, basée sur la Sainte Trinité du réalisme – Thucydide, Machiavel et Hobbes.

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La géopolitique est à la mode ; le concept de l’Indo-Pacifique aussi, il est un peu partout. Mais concrètement d’où vient-il ? Est-il neutre ou a-t-il une charge idéologique méconnue ? Il faut s’y mettre pour décrypter les enjeux géopolitiques actuels.

De Haushofer aux Américains

La géopolitique existe depuis belle lurette, peut-être dès le début de la sédentarisation. Toutefois, sa cristallisation dans une discipline définie remonte aux deux derniers siècles. Karl Haushofer (1869-1946) fut un homme clef dans son développement. La période d’entre-deux guerres a vu la naissance d’un Indo-Pacifique géopolitique sous sa plume.

Le géographe allemand a compris très tôt que l’océanographie pourrait être instrumentalisée (géo)politiquement et son pays avait beaucoup à y gagner, peu à y perdre. L’Allemagne était une puissance vaincue, ses ennemis n’avaient pas réussi à la démembrer comme ils ont fait avec l’Autriche-Hongrie ou l’Empire ottoman, mais son territoire fut considérablement diminué. L’échec de la Weltpolitik avait laissé l’Allemagne encore plus débile sur les mers après la guerre. Si l’Allemagne ne peut pas devenir une vraie thalassocratie comme le Royaume-Uni et les États-Unis il faut absolument leur rendre la vie difficile.

L’Indo-Pacifique géopolitique naquit pour stimuler l’anti-colonialisme dans l’Océan Indien et dans l’Océan Pacifique – pour affaiblir les rivaux des Allemands. Parfois réduit à un concept pour aider l’expansion japonaise, ce qui est une véritable fausseté. Haushofer avait une pensée bien plus complexe. Le Japon devrait jouer un rôle de premier plan, mais la Chine et l’Inde aussi.

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Désinformation et séduction

En 2018 les Américains ont renommé leur USPACOM (commandement du Pacifique) en USINDOPACOM (commandement de l’Indo-Pacifique). Les hautes instances nord-américaines décidèrent de consacrer l’expression Indo-Pacifique essentiellement pour deux raisons: déconcerter l’ennemi et courtiser l’Inde.

La désinformation, les tricheries et les absurdités font partie de toute compétition stratégique digne de ce nom. Rien de nouveau sous le soleil. Il y a toujours des façades officielles et des réalités officieuses. Dans l’organisation nord-américaine interne tout demeure immuable, leur vision de 2017 n’a rien de différent de leur vision de 2019, malgré l’ajout.

À vrai dire l’Indo-Pacifique est une réalité dans la stratégie de Washington depuis la fin de la Guerre Froide. Et contrairement aux cartes accessibles au grand public le USPACOM ne démarre pas à la frontière continentale pacifique – par exemple dans les eaux qui baignent la Californie – mais au-delà de le Hawaï. En deçà de l’archipel hawaïen il y a un périmètre de défense, celui-là demeure inchangé depuis la fin du XIXème. Donc l’USPACOM, maintenant USINDOPACOM, a comme objectif primaire la surveillance des deux grands pays qui peuvent nuire les intérêts étasuniens, l’Inde et la Chine.

L’Inde a besoin d’être courtisée? N’est-elle pas farouchement anti-chinoise, donc pro-américaine? Il est vrai que les tensions entre l’Inde et la Chine restent intactes, notamment autour du Pakistan et sur leur frontière commune au Cachemire. Mais détrompez-vous si vous pensez que cela signifie un alignement total avec les adversaires des Chinois. Les Indiens sont les héritiers d’une grande religion, l’Hindouisme, et comme Malraux nous avait averti: ‘La nature d’une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion.’ L’occidentalisme et l’Hindouisme ne font pas bon ménage.

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L’indépendance indienne fut démontrée plusieurs fois, pendant la Guerre Froide le pays était le plus important membre du mouvement des non-alignés. Donc oui, il a besoin d’être séduit. Le concept de l’Indo-Pacifique permet de transmettre une importance accrue à l’Océan Indien et ainsi, forcément, à l’Inde.

Le mythe de l’Océan Indo-Pacifique

Plusieurs pays – y compris la France – ont mordu à l’hameçon. Leurs stratèges et penseurs intégrèrent de plus en plus deux espaces assez différents. Pourquoi pas demain l’Atlanto-Pacifique ou l’Indo-Atlantique. Tordre les mots, corrompre leur sens, évacuer leur logique est une ruse ancienne. Nous ne devons pas oublier l’avertissement schmittien: Caesar dominus et supra grammaticam – le César est aussi seigneur de la langue.

On pourrait dire que les Océans Atlantique, Pacifique et Indien – laissons de côté les Océans des deux pôles, même sachant que la compétition là croîtra pendant ce siècle – sont des conventions datées, elles manquent d’actualité. Toute convention peut être disputée, mais la force des faits doit nous informer. La période des Grandes Découvertes changea notre perception, le Nouveau Monde était une découverte de taille. Quand Magellan croise le détroit que porte son nom aujourd’hui, il sait qu’il va ailleurs, il n’est plus dans l’eau entre le Nouveau Monde et l’Europe (au nord) ou l’Afrique (au sud). C’est à lui que l’on doit le nom de l’Océan Pacifique.

Après la conquête portugaise de Malacca Alphonse d’Albuquerque était bien conscient que l’Océan Indien ne va au-delà de ce fameux détroit. Le Pacifique connaissait ainsi ses deux bornes, Malacca et la Tierra del Fuego.

Dans les coulisses beaucoup connaissent les limites de l’Indo-Pacifique, d’autres demeurent dans l’ignorance. Les uns ne jurent que par lui, les autres le chevauchent malgré leur réticence. Les discussions autour de l’Indo-Pacifique ne font que commencer, soyons vigilants et essayons d’écarter toute naïveté.

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