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L'euthanasie en cours des banquiers sauvera-t-elle tous les autres ?
©Alastair Pike / AFP

Engrenage

Jean-Paul Betbeze revient sur les difficultés rencontrées par les banquiers à travers la planète.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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D’abord les faits : l’euthanasie des banquiers avance dans le monde, aux États-Unis les meilleurs ont résisté (mais ce n’est pas fini), c’est surtout au tour de la zone euro désormais. A croire qu’affaiblir les banques commerciales est un objectif des responsables des banques centrales, encore un peu pour Jerome Powell aux États-Unis (Fed) et surtout pour Mario Draghi en zone euro (BCE) ! Un objectif mieux atteint, d’ailleurs, que leurs 2% d’inflation ! Les bourses l’ont vu. Aux États-Unis, pays désormais béni pour beaucoup, l’action Goldman Sachs passe de 179 dollars en 2009 à 203, Bank of America de 17 à 27, JP Morgan de 34 à 109 et Wells Fargo de 28 à 46.En zone euro par contre, c’est le massacre : une action Deutsche Bank cote 7 euros contre 48 en 2009, BNP 41 contre 51, Société Générale 23 contre 51, BBVA 4 contre 12 et Santander 3 contre 12. Ne parlons pas d’UniCredit, la première banque italienne, à 10 contre 262.

Engrenage ensuite : moins de profits bancaires aujourd’hui, ce serait moins de financements demain ? C’est en tout cas ce que craint l’agence de notation Moody’s. Elle vient de constater cette dégradation des rentabilités bancaires le 27 août, en abaissant les notes de  Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP Morgan, Bank of America et Citigroup, comme des françaises BNP Paribas et Société Générale, des britanniques HSBC et Barclays, de l'allemande Deutsche Bank, des suisses UBS et Crédit Suisse, de la japonaise Nomura  et de la canadienne RBC. Quel tableau de chasse ! Les raisons abondent derrière cette rafale : moins de croissance dans les 12 à 18 mois, taux plus bas, courbe des taux plus basse, voire inversée. Courbe plus basse : les taux publics à deux ans sont à -0,88% à 2 ans et à -0,44% à 10 ans en France. Courbe inversée : 1,5% à 2 ans et1,45% à 10 ans aux États-Unis. Dans ce contexte, les banques très exposées aux activités de marché : 81% des revenus chez Goldman Sachs ou 51% chez Nomura, sont malheureusement aux premières loges. Et avec des notes plus basses, leur propre financement sera plus cher dans un monde plus inquiet, donc elles vont réduire les effectifs et les activités : c’est l’engrenage.

Mais les banques de la zone euro, moins tributaires des marchés, 20% de leurs revenus pour la Soc Gen ou 11% pour BNP Paribas éviteront-elles le couperet ? Non. Moody’s les dégrade aussi, au motif cette fois des effets de la politique de la BCE sur leurs marges bancaires classiques sur les crédits. Le 26 septembre en effet, elle va baisser (sans doute) à -0,6% la rémunération des dépôts des banques, pour, dira-t-elle, les forcer à prêter plus et moins cher. Et Christine Lagarde vient de s’inscrire dans cette ligne. Mais les déposants ne l’entendent pas de cette oreille ! Ils déposent plus en compte courant (+7,6% sur un an en juin) tandis que les banques augmentent plus lentement leurs prêts (+3,1%). Leurs crédits sont alors encore moins bien payés et à plus long terme, notamment au logement, financés par des ressources plus liquides, donc plus instables, et qui leur coûtent ! Elles rêvent alors de facturer les dépôts, mais attention à la réaction des clients (et l’Allemagne songe à l’interdire). Donc elles prêtent à plus long terme et moins cher au logement, avec plus de risque donc, et aux entreprises qui acceptent des taux supérieurs, donc plus risquées. En face, les entreprises de qualité ne vont plus en bourse pour se financer (c’est cher et risqué, avec ces « actionnaires activistes » agités), moins chercher des crédits bancaires (92% du PIB de la zone euro contre 97% en 2015) et plus sur le marché obligataire (22% du PIB de la zone euro).

Mais pourquoi donc vouloir la mort des banques en zone euro ? Evidemment, les banquiers centraux de la zone euro ne diront jamais que tel est leur objectif : ils ne veulent pas la mort de toutes, seulement des moins efficaces et des réseaux trop chers. Ils veulent des banques avec des coûts plus faibles, ce qui permettra aux taux bancaires d’être plus bas, donc une croissance plus forte par le crédit moins cher à la consommation et à l’investissement. Mais toutes les banques ne le pourront pas. Et les banquiers centraux veulent aussi des banques plus réactives, qui transmettent plus vite à leurs clients leurs hausses ou baisses de taux. Ils avoueront alors, en zone euro, qu’ils sont jaloux du système américain, où les marchés financiers assurent deux tiers du financement de l’économie et un tiers les banques, alors que c’est le symétrique en zone euro : 2/3 de banque, 1/3 de marché. Augmenter la part des marchés dans le financement de l’économie européenne améliorerait donc le canal de transmission de la politique monétaire de la BCE. Il serait moins cher et plus rapide. Mais nos banquiers ne diront pas non plus que ce système de financement par marché est plus exigeant en rentabilité et en réactivité, notamment économique et sociale : le financement bancaire amortit les à-coups et est bien plus patient que les marchés !

Fait nouveau dans cette « stratégie draghienne », quand faiblit la position de Mario Draghilui-même, avec la proximité de son départ, et surtout pour atténuer un risque de continuation par Christine Lagarde, l’opposition va monter. On ne parlera pas directement des difficultés des banques allemandes, mais le patron de la Buba (Jens Weidmann) et Sabine Lautenschläger (en charge des banques au Comité exécutif) feront entendre leurs réticences vis-à-vis des limites et des effets pervers de cette politique. Les banques françaises râlent en silence des carcans qu’elles subissent (plus de fonds propres réglementaires). D’autres, espagnoles ou italiennes, pourront oser s’exprimer.

« L'euthanasie des banquiers » est une sélection non pas « naturelle », mais accélérée, de la profession, notamment en zone euro. Les banquiers centraux veulent nous aider, avec moins de banquiers mais meilleurs, mais ce serait mieux de dire ce que ceci implique de notre part. Plus de profit des entreprises ? Sans doute. Plus de flexibilité des salariés ? Sûrement.

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