L’euphorie des bourses mondiales prouve que ChatGPT sera toujours plus puissant que les armées russes ou chinoises<!-- --> | Atlantico.fr
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Des traders à la Bourse de New York.
Des traders à la Bourse de New York.
©JOHANNES EISELE / AFP

Atlantico Business

La semaine dernière s’est terminée dans l’euphorie boursière à New York, Paris, Londres… Du jamais vu, même au plus chaud des crises spéculatives. Cette euphorie divise le monde en deux blocs, très loin des clivages idéologiques ou religieux. L’innovation technologique sera toujours plus forte qu’une dictature militaire.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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L'envolée des bourses mondiales depuis plus d'un an mesure la confiance accordée aux entreprises et à l'économie de marché, alors que les analyses politiques et la géopolitique se concentrent sur les rapports de force militaires.

Vladimir Poutine, le dernier tsar de la Russie, n’a pas perçu le phénomène. Xi Jinping non plus... Ils persistent à rêver d’un monde divisé entre, d'un côté les partisans de l’autoritarisme, et de l'autre, l'Occident démocrate libéral. La montée en flèche des bourses mondiales marque donc un autre clivage entre ceux qui croient en l'efficacité de l'économie de marché, qui multiplient les innovations technologiques, et ceux qui pensent que l'État tout-puissant peut tout régler en exploitant des rentes et en se protégeant par les armes. Les dictateurs se trompent lourdement et (malheureusement) peut-être durablement puisque par définition ils ont éliminé tout contre-pouvoir .

En une semaine, les bourses mondiales ont battu tous leurs records historiques : Tokyo a dépassé un plus haut vieux de 35 ans et a déjà gagné encore 20 depuis le 1er janvier. À New York, le Dow Jones et le Nasdaq ont cassé leur plus haut, Paris, l'indice CAC 40 a touché les 8000 points. Techniquement, cette flambée des cours boursiers a été boostée par cette vague d’initiatives autour de l'intelligence artificielle et surtout par le tsunami provoqué par le champion du monde des puces, Nvidia, composants incontournables pour faire tourner les logiciels d'IA. Nvidia est devenu l’une des dix entreprises les plus chères du monde. À plus de 2000 milliards de dollars, 60% de plus depuis le début de l'année.

La semaine dernière, la capitalisation de Nvidia a augmenté de 277 milliards de dollars en une séance boursière. Cet engouement autour de l'intelligence artificielle a ruisselé dans l'ensemble des économies de marché, car les analystes considèrent que l'IA annonce une révolution sans doute plus importante que la découverte de l'électricité ou de l'internet. Parallèlement à ces perspectives, il faut reconnaître que depuis la fin du Covid, la plupart des grandes entreprises ont dégagé des résultats plantureux et leurs cours de bourse se sont donc gonflés. Les locomotives des économies de marchés sont désormais toutes les GAFAM, dont Meta qui a regagné 200 milliards de dollars en deux jours, et évidemment Nvidia dont les carnets de commande débordent et sont pleins pour les prochaines années. Les industries du luxe et celles qui travaillent dans la green économie et l'automobile (avec Stellantis) progressent très vite. Au total, les niveaux de profits sont supérieurs à ce qu'ils étaient avant, alors que le climat est infesté d'incertitudes, de menaces et de conflits militaires.

Ce qui est nouveau dans cette accumulation de résultats, c’est qu’elle dessine un continent très particulier, qui regorge d'innovations technologiques tellement importantes et prometteuses qu'il draine l'épargne du monde entier. Les investissements sont principalement posés en Amérique du Nord et au Canada, mais ils sont financés par l'épargne internationale. Il y a d’abord tout l'argent des fonds de retraite, ou du moins dans les pays qui ont choisi la retraite par capitalisation ou tout simplement par des emprunts. Le continent nord-américain est le plus endetté du monde (dette privée et dette publique) parce que le monde entier lui fait confiance. Confiance dans le dollar, confiance dans la fiabilité des innovations technologiques.

Les Japonais, par exemple, représentent un cas très particulier. Leur population est très âgée, elle vit principalement de leurs retraites et leurs retraites sont alimentées par les revenus financiers qui ont été organisés par leurs aînés qui ont investi massivement aux USA. L'Europe rêverait d'assurer son autonomie financière, mais elle est obligée d'acheter la technologie américaine avec son épargne qui est colossale parce qu'elle n'investit guère.

S'il fallait baptiser ce continent, il faudrait lui donner le nom de Joseph Schumpeter qui, dans sa tombe, doit se réjouir d’avoir enfin déclasséson collègue et adversaire JM Keynes. Ce continent occidental, américain et ses alliés se sont engagés dans cette économie d'offre qui génère des revenus colossaux grâce à la productivité de ses technologies hyper sophistiquées.

L’autre partie du monde est restée finalement ancrée dans l'économie des physiocrates, elle vit en exploitant des rentes. La rente d’une force de travail peu chère pour les Chinois, ou les rentes gazières et pétrolières pour la Russie… Les autres grands pays producteurs d'énergie fossile ont adopté le même modèle. Le cas de l'Afrique est particulier. L’Afrique va compter sous peu près d'un milliard d’habitants, elle est désormais exploitée en termes de rentes par la Russie et par la Chine, qui protègent les gouvernements en place en échange d'un droit de tirage sur les matières premières.

Cette situation répond à une demande immédiate mais ce modèle n'est pas sécurisé, il n'offre pas de perspectives parce qu'il va naturellement s’épuiser, et les populations n'en profitent pas. Les demandes basiques sont plus ou moins satisfaites. En Russie comme en Chine ..Mais la prospérité n'est pas délivrée, les régimes se tournent vers la guerre pour offrir comme alternative un destin historique à leur peuple. Ça ne tiendra pas au-delà de la génération actuelle, parce que les performances du continent technologique attirent le monde entier.

Ce qui est incompréhensible dans cette géopolitique contemporaine, c'est que les dirigeants des pays autoritaires savent bien que dans les démocraties libérales, l'économie de marché et la concurrence sont de formidables boosters d'innovation et de progrès économiques et sociaux. La preuve, c’est que leurs dirigeants et les oligarchies qui les entourent en profitent à titre personnel, par leurs investissements immobiliers ou financiers , Ils savent aussi y envoyer leurs enfants pour qu'ils acquièrent les enseignements universels. Le résultat, c'est que la génération de dirigeants éduquée dans les universités américaines et européennes peut rapatrier dans leurs pays une partie des valeurs et trouver un compromis acceptable avec les contraintes culturelles ou religieuses locales. C’est ce qui se passe dans les pays du Golfe, les Émirats ou l’Arabie Saoudite.

La grande inconnue qui obsède les dirigeants des démocraties occidentales porte évidemment sur la Russie et sur la Chine, dont les dirigeants ne semblent avoir comme issue possible pour préserver leur pouvoir que de faire la guerre. Il faut prendre cette hypothèse au sérieux, bien sûr... mais pas au point d'hypothéquer la puissance de développement des technologies.

L’euphorie boursière traduit la confiance dans la pérennité du modèle occidental. Cette confiance est telle qu'elle se finance avec l'argent du monde entier, y compris avec l'épargne des pays autoritaires. Si l'épargne chinoise, russe ou saoudienne s’investit en Occident, c'est bien parce que les Chinois, les Russes et les Saoudiens ont un doute sur la pérennité de leur propre modèle.

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