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L’engagement des Volontaires françaises au sein de l’épicentre de la résistance à l’Allemagne nazie dans le Londres des années 1940
©CENTRAL / AFP

Bonnes feuilles

Sébastien Albertelli publie "Elles ont suivi de Gaulle" aux éditions Perrin. Première unité militaire féminine dans l'histoire de l'armée française, le Corps féminin, créé à Londres en 1940 et rebaptisé l'année suivante Corps des Volontaires françaises (CVF), fut exceptionnel. Extrait 2/2.

Sébastien Albertelli

Sébastien Albertelli

Sébastien Albertelli, agrégé et docteur en histoire, est spécialiste de l'histoire de la France libre, de la Résistance et des services secrets. Il a publié chez Perrin Les Services secrets du général de Gaulle. Le BCRA 1940-1944 (2009, rééd. " Tempus ", 2020) et une Histoire du sabotage (2016).

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Les FFL se composent de multiples communautés, dispersées dans le monde pour participer partout à la lutte au nom de la France : des unités combattent en Afrique et au Moyen‑ Orient, des marins voguent sur tous les océans, des aviateurs sont engagés jusque sur le front russe et des comités de soutien se forment sur tous les continents. Parmi ces communautés, celle de Londres occupe une place singulière, à la fois centrale parce que les membres des états‑majors s’y concentrent, et marginale au regard de l’expérience vécue par le plus grand nombre des Français libres. Toutes les Volontaires françaises y signent leur engagement à l’occasion d’un séjour, plus ou moins long, parfois après de longs détours. 

Les femmes qui arrivent en Angleterre après un long périple ressentent un choc. Leur joie laisse vite place à l’amertume quand elles réalisent qu’elles vont de nouveau être privées de leur liberté. Après l’improvisation des débuts, le MI5 crée en effet, dans le sud‑ouest de Londres, un centre destiné à filtrer celles et ceux qui arrivent de territoires contrôlés par l’ennemi : la Royal Victoria Patriotic School accueille les premiers réfugiés en janvier 1941. Les femmes sont rassemblées dans une école voisine, sur Nightingale Lane : une « prison dorée » d’où elles ne peuvent ni téléphoner ni sortir. Certaines vivent cette étape comme une humiliation insupportable. Lise Willar, qui y fête ses 20 ans le 22 juin 1943, se rappellera que les internées n’étaient « pas trop ravies d’être soumises à des interrogatoires comme de vulgaires criminels ». 

L’amertume s’estompe toutefois rapidement après la découverte de la vie à Londres, profondément marquée par la guerre. La ville est devenue l’épicentre de la résistance à l’Allemagne nazie. Celles qui arrivent sont frappées par la gentillesse qui se manifeste « dans les menues scènes de la vie quotidienne » malgré la tension, par la bonne humeur, la « camaraderie fraternelle » et la « générosité pour les autres » dont témoignent les habitants de la capitale. Elles sont sensibles à la chaleur de l’accueil qui leur est réservé. Même Raymonde Jore, pourtant très critique, loue la courtoisie et l’hospitalité des Anglais. Les premières Volontaires se souviennent avec émotion des messages de sympathie que leur ont adressés les habitants de Bournemouth lors de leur passage chez les ATS. Le journal de Tereska Szwarc regorge d’anecdotes à ce sujet tout au long de la guerre. En août 1941, par exemple, à la sortie d’un cinéma, un vagabond qui a vécu à Boulogne pendant dix‑sept ans lui serre la main en lui disant : « J’aime le pays France de tout mon cœur. » Deux ans plus tard, elle est au restaurant avec une camarade :

Au moment de payer l’addition, la serveuse nous dit : « C’est fait, des Anglais assis à une des tables, en voyant que vous étiez dans l’armée française libre, ont payé pour vous et sont partis. » Nous ne pouvions même pas les remercier. Et cela n’est pas la première fois. Ça m’est arrivé souvent depuis 1940. Je ne dirai jamais assez la gentillesse des Anglais pour nous.

En Écosse, à la même époque, un vieil Écossais propose à Charlotte Toutain de porter ses bagages, ôte sa casquette et dit : « Vive la France ! » De nombreuses familles britanniques invitent en outre les Volontaires à séjourner chez elles lors des permissions d’une semaine auxquelles elles ont droit tous les trois mois.

Ils savent qu’en général nous n’avons pas de famille en Angleterre. C’est tellement gentil de la part des Anglais, qui doivent nous nourrir, alors que tout est rationné pour les civils. Jamais nous n’oublierons la générosité des Anglais. Alors qu’ils auraient pu considérer que la France les a trahis, ils sont spécialement gentils pour les soldats de la France combattante.

Militaires mais pas VF

Toutes les Françaises qui gagnent l’Angleterre, toutes celles qui rallient la France libre et même toutes celles qui revêtent l’uniforme ne sont pas incorporées dans le CVF. Sans que l’on sache pourquoi, certaines s’engagent directement dans l’armée. Elles se voient attribuer un matricule dans la série des 50 000, comme les hommes, et non dans la série des 70 000, réservée aux Volontaires françaises. C’est le cas pour plusieurs télépho‑ nistes aux armées évacuées de Dunkerque en juin 1940. En juillet, on prévoit de les intégrer dans le corps auxiliaire fémi‑ nin en formation, mais quand ce projet avorte avec le départ des troupes pour Dakar, Madeleine Morel, Marie Coppin et Jeannette Dartus restent dans une position mal définie. Elles n’intègrent pas le Corps féminin à sa création et sont finalement incorporées directement dans les FFL au cours de l’été 1941, avec effet rétroactif à l’été 1940. La situation est identique pour nombre de volontaires du service de santé, dont beaucoup – mais pas toutes – quittent assez vite l’Angleterre pour accompagner les unités engagées sur les théâtres d’opérations extérieures. Nina Micinic, par exemple, s’engage en août 1940 comme médecin‑auxiliaire et rejoint en octobre 1941 l’hôpital général de Brazzaville. Et alors que deux Britanniques, lady Hadfield et la générale Spears, ont créé en 1939 une unité d’ambulances qu’elles mettent à la disposition du général de Gaulle après l’armistice, des Françaises libres sont affectées à cette ambulance Hadfield‑Spears qui part en Palestine en mars 1941 : c’est le cas de Louise Lemanissier, médecin‑pharmacienne, et de Marie‑Thérèse Béguinot et Gisèle Joland, deux infirmières du Nord évadées de France par l’Es‑ pagne. D’autres femmes continuent par ailleurs à intégrer le service de santé à Londres, comme Simone Deitz ou Rosa Hirschovitch. Ajoutons le cas, exceptionnel, de Margot Duhalde, une jeune Chilienne, la seule femme engagée comme pilote dans les Forces aériennes françaises libres, en août 1941 (matricule 30 819 bis). Pendant toute la guerre, elle assure le convoyage de centaines d’avions des usines où ils sont fabriqués vers les bases. Certaines femmes engagées à titre militaire en dehors du CVF finissent toutefois par intégrer cette unité, comme Édith Audu, partie avec l’ambulance Hadfield‑Spears et revenue à Londres deux ans plus tard, Antoinette Le Ber, partie en Afrique en 1941 et de retour en octobre 1942, ou encore Françoise Nadaud, une infirmière évadée de France par l’Espagne.

« Londres, c’est le front »  (André Labarthe)

À partir de 1939, le concept de guerre totale prend une dimension nouvelle. Les bombardements aériens massifs ôtent de plus en plus sa pertinence à la distinction entre le front et l’arrière, l’arrière étant désormais lui aussi exposé à la plus extrême violence de guerre. À Londres, la campagne de bombardements de la Luftwaffe est particulièrement intense à partir de septembre 1940 : le Blitz marquera profondément la mémoire britannique, les souffrances endurées et la résilience de la population se combinant pour lui donner une dimension héroïque. À la BBC, Ève Curie s’attache à contrer la propagande allemande en évoquant une « ville triomphante, à peine blessée ». Sur les mêmes ondes, Hélène Terré décrit son arrivée dans la capitale, en septembre 1940, en pleine nuit, au milieu d’un raid :

En France, on m’avait dit : Londres est en ruines, Londres n’existe plus… et, pendant le trajet de la gare à l’hôtel, je l’ai presque cru. C’était hallucinant : les bombes, les tirs de barrage faisaient un bruit infernal, les shrapnels tombaient tout autour de la voiture qui roulait sur du verre cassé, des agents vous interdisaient l’accès de certaines rues à cause des bombes à retardement, une avenue était jonchée de débris, un incendie éclairait le ciel d’une lueur rougeâtre… Quand je me suis réveillée, le lendemain matin, par la fenêtre, j’ai vu la rue, vivant sa vie de rue de grande ville ; files d’autos, de taxis, d’autobus, trottoirs, où les piétons se rendaient tranquillement à leur travail… Je n’ai pas retrouvé les pavés jonchés de verre, mais, derrière des vitrines sans vitres, soigneusement déblayées, de jeunes vendeuses souriantes réajustaient les devantures… « Business as usual », disent‑ils. « Les affaires, comme d’habitude ! »

L’expérience du Blitz est néanmoins éprouvante. Janine Serreulles note dans son journal, le 16 octobre 1940 : « Je commence à croire qu’on va mourir ici, sous les bombes. » Et d’ajouter, deux jours plus tard : « Je ne dors que d’un œil, craignant toujours de me réveiller morte… » À son arrivée à Londres, dix jours plus tard, Tereska Szwarc est frappée par l’ampleur des dégâts. Très vite, elle fait personnellement l’expérience de la violence venue du ciel :

À un moment, il y eut un long sifflement et nous avons senti une énorme masse d’air se déplacer autour de nous, on sentait cela physiquement, jusqu’au creux de l’estomac, puis la bombe a éclaté non loin. Toute la maison tremblait, les vitres s’agitaient, les portes claquaient.

La jeune Volontaire tient la chronique des destructions qui s’accumulent, d’abord en détail, puis de façon de plus en plus sommaire à mesure qu’elle s’y habitue. Elle est marquée par la destruction de l’église Notre‑Dame‑de‑France, quelques jours seulement après qu’elle s’y est recueillie avec sa mère. D’autres sont plus directement touchées : la maison d’Élise Colineau est détruite, de même que le magasin de couture dans lequel travaille Carmen Silva et l’hôpital dans lequel exerce Évelyne Briet. 

Les bombardements créent une atmosphère singulière, dont la peur est évidemment une composante essentielle. Prise de panique, Raymonde Jore croit mourir lorsqu’elle subit ses premières attaques. Chaque nuit, les Volontaires sont réveillées et descendent avec matelas et couvertures passer la nuit dans l’abri de la caserne. Pourtant, avec le temps, une forme d’accoutumance et de fatalisme s’impose. « On se blase », affirme Ève Curie. Le 29 décembre 1940, Janine Serreulles observe :

Petit bombardement des meilleures nuits !!! Tout l’organisme est habitué. Une bombe fait ouvrir vos portes, et l’on se regarde tranquillement, et l’on continue d’écrire. C’est fait, on sait que toute bombe dont on entend le bruit et le sifflement est une bombe qui vous fait peur, mais ne vous tue pas.

Deux mois plus tard, Tereska Szwarc explique qu’elle ne fait plus attention aux bombardements. En mai, sa mère vient la réveiller : « J’ai très vaguement ouvert un œil et une oreille, j’ai entendu que ça tapait beaucoup, que ça sifflait, tonnait, canon‑ nait et explosait, et je me suis tranquillement rendormie. » 

Les sons contribuent à l’étrangeté de ces moments. Les sirènes, semblables à des chiens hurlant à la mort, mugissent pendant deux minutes pour marquer le début de chaque alerte. Sous la plume de Tereska, les avions ennemis ronronnent, ronflent ou bourdonnent, les canons de la DCA aboient, tonnent ou tapent et les bombes sifflent. En éclatant, celles‑ci emplissent les rues d’un fracas assourdissant auquel se mêlent « les cloches de voitures de police » et le bruit des vitres brisées et des portes et volets qui claquent. Cet immense fracas prend fin brutalement, avant que ne retentisse l’all clear, une seule note qui résonne pendant deux minutes pour marquer la fin de l’alerte. « Après des heures d’un vacarme assourdissant, le calme revenait soudain. C’était alors un silence impressionnant, angoissant même. » 

La vie ne s’arrête pas sous les bombardements. Dans une ville plongée dans l’obscurité par le black out, des Volontaires continuent leur service, notamment les conductrices, dont  plusieurs recevront la Croix de guerre. D’autres participent à la défense passive. La France libre dispose d’un service, baptisé Z/DP, chargé de coordonner les mesures de cette défense passive (DP) et la protection contre les attaques au gaz (Z). Son chef, le capitaine Fénard, fait chaque soir le tour des services pour vérifier que tout est en ordre. À la caserne, le dispositif repose sur des guetteuses placées sur le toit, reliées au standard téléphonique, lui‑même en contact avec les Britanniques de l’ARP (Air Raid Protection). Elles guident les services d’intervention en signalant les défauts du black out et les points d’impact des bombes incendiaires. La presse publie de belles photos de ces guetteuses protégées du froid par leur peau de mouton, dont certaines recevront également la Croix de guerre.

Extrait du livre de Sébastien Albertelli, "Elles ont suivi de Gaulle, Histoire du Corps des Volontaires françaises",  aux éditions Perrin.

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