« Je marche donc je pense » par Roger-Pol Droit et Yves Agid : L’élan vital ou la pensée par le mouvement<!-- --> | Atlantico.fr
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"Je marche donc je pense" de Roger-Pol Droit et Yves Agid est publié aux éditions Albin Michel.
"Je marche donc je pense" de Roger-Pol Droit et Yves Agid est publié aux éditions Albin Michel.
©Astrid di Crollalanza / DR / Albin Michel

Atlantico-Litterati

Notre cerveau fonctionne-t-il mieux grâce au mouvement ? La marche favorise-t-elle la pensée ? Oui, affirment Roger-Pol Droit, philosophe-écrivain- auteur de très nombreux ouvrages- et Yves Agid- neurologue, co-fondateur de l'Institut du Cerveau « l’ un des scientifiques les plus cités au cours des vingt dernières années" (cf.The Lancet ). Ces deux experts nous révèlent pourquoi nous pensons mieux en marchant et comment nous marchons en pensant. Aristote arpentant le gymnase du Lycée avec ses disciples, Kant faisant sa promenade quotidienne dans Königsberg, Rousseau traversant la France à pied, Nietzsche cheminant sur les crêtes de Sils-Maria : ces illustres promeneurs prouvent assez combien marcher et penser, souvent, ne font qu’un. Une lecture passionnante avant promenades et randonnées de l’été.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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Repères

« Roger-Pol Droit est philosophe, ex-chercheur au C.N.R.S. et enseignant à Sciences-Po, Il a publié de très nombreux ouvrages, dont:  «Vivre toujours plus / Le philosophe et le généticien, avec Axel Kahn » (Bayard 2008), « Le sens des limites, avec Monique Atlan ( L’Observatoire 2021), « Monsieur, je ne vous aime point. Voltaire et Rousseau, une amitié impossible, » (Albin Michel/ Prix Montesquieu).

Yves Agidest professeur émérite de neurologie et de biologie cellulaire à Sorbonne Université, ancien chef de service de la Salpêtrière, membre de l'Académie des science et co-fondateur de l'Institut du Cerveau. »

Roger-Pol Droit affirme qu’il «pense comme il marche».

Les croquis, schémas et dessins de ce livre sont d’Yves Agid.

«Je ne puis méditer qu’en marchant; sitôt que je m’arrête, je ne pense plus», affirmait Jean-Jacques Rousseau ( 1712-1778). Le mouvement est notre allié pas seulement pour l’harmonie du corps, mais, aussi concernant la bonne marche de notre esprit. Ce double bienfait a toujours passionné le philosophe-écrivain Roger-Pol Droit- co-auteur avec l’expert en neurologie Yves Agid- de « Je marche donc je pense » (Albin-Michel). Roger-Pol Droit affirme d’ailleurs qu’il pense « comme il marche ».Belle formule en hommage àses aînés, grands amateurs de déambulations fécondes intellectuellement parlant : Platon,Aristote enseignaient en marchant (« peripatetikos : celui qui se promène), Montaigne, Rousseau, entre autres maîtres du mouvement. Le cerveau travaille mieux quand nos muscles se renforcent : nous avons tous constaté ce phénomène un jour où l’autre, que nous utilisions la marche comme un sport unissant le corps et l’esprit, ou pas.Une constatation qui a sans doute donné aux auteurs l’idée de ce livre, aussi brillant que limpide (le luxe aujourd’hui, dans tous les domaines, c’est la simplicité. Mieux vaudrait employer ici le mot clarté, puisqu’il s’agit d’un traité mariant la science à la philosophie. Mariage heureux en effet car le lecteur jubile, sous le charme des démonstrations scientifiques novatrices du neurologue,et du raisonnement philosophique limpide (quoique très nourri par son érudition) du philosophe( auteur d’une quarantained’ouvrages). La course à pied ne semble pas avoir les vertus de la marche. Pour obtenir de notre esprit qu’il travaille au rythme de nos avancées, il faut simplement jeter un pied devant l’autre (l’enfant que nous fûmes en était apeurélorsqu’il apprenait à marcher, craignant de perdre l’équilibre, si bien que la mémoire de ce risque « humain trop humain » nous est restée). Il y a dans la marche (sans la moindre allusion aux ex adeptes d’ « En Marche » ) un processus à la fois naturel et culturel, puisque nous pensons en marchant. C’est parce que l’on marche que l’on pense, disentd’ailleurs Roger-Pol Droit et Yves Agid. Formidable connaisseur du cerveau humain, celui-ci nous offre au fil des pages les dernières découvertes concernantla science neuronale. Par exemple ce diagnostic( mais ce sont tous les propos d’Yves Agid qu’il faudrait citer) :« Comme les personnes très âgées marchent moins, elles tendent à rester assises et, à force de rester assises, elles finissent au lit. Les raisons de cette immobilité croissante sont multiples. On dit : « c’est l’âge », on donne pour excuse l’arthrose. Peu pensent à l’altération du système nerveux, et encore moins à la langueur, voire la dépression, qui conduit à stagner. C’est pourquoi il faut s’entraîner à marcher, tant qu’on en a la force, d’abord pour ne pas perdre l’habitude de marcher, mais aussi pour s’ouvrir au monde, se donner de l’élan vital, favoriser la capacité de penser ». Yves Agid est entre autres un grand spécialiste de l’étude des mécanismes et du traitement des maladies neurodégénératives.Il n’écrit pas cet essai à quatre mains avec Roger-Pol Droit, mais dialogue amicalement avec le philosophe ( voir nos extraits), comme celui-ci l’avait fait avec Monique Atlan dans son ouvrage « Le sens des limites » (l’Obervatoire). 

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C’est l’une des qualités de cet essai que d’oser cette conversation entre amis-sur un sujet qui aurait pu être rébarbatif-notre mental et ses mystères ; chacun réfléchissant dans son domaine aux liens qui existent entre marcher et réfléchir.Roger-Pol Droit rappelle au passage qu’ aucun philosophe n’a plus que Nietzsche accordé à la marche comme vecteur de la pensée une importance aussi considérable :« Ne prêter foi à aucune pensée qui n’ait été composée au grand air . Et à aucune idée où les muscles eux aussi n’aient été à la fête ». De même doit-on se tenir debout- se dresser en somme -pour apercevoir la lumière et sortir de la Caverne. Marcher c’est forcément se dresser à un moment donné, si bien qu’il existe un intérêt intellectuel àvouloir marcher. C’est parce que l’on marche que l’on pense. Marcher c’est avancer vers ses idées.Yves Agid ajoute que notre démarche nous caractérise au point qu’elle est une sorte de signature. Elle nous caractérise au point qu’elle est une sorte de signature. Elle dit tout de nous, même ce que nous pensions pouvoir cacher .

Maisle meilleur du livre, c’est la passerelleinaugurée mine de rien entre science et philosophie, deux univers jusqu’alors parfaitement cloisonnés. « Ce n’est pas si fréquent qu’un médecin et un philosophe aient l’occasion de confronter leurs formations, leurs informations, leurs questionnements », dit pour conclure le neurologue à son ami philosophe.Les universités et autres parcours du savoir français pourraient -ils s’ inspirer du concept pour mieux marcher- donc penser- ensemble?A suivre. Annick GEILLE

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La chronique "Atlantico-Litterati" sera de retour en septembre.

Bon  été  à tous !

Extraits

Un surcroît d’esprit grâce au mouvement…

« Roger-Pol Droit et le neurologue Yves Agid établissent des similitudes entre les effets de la marche et ceux de la pensée sur le fonctionnement du cerveau

Extrait 1

Les récentes découvertes de la science

En fait, on pourrait dire que le cortex frontal est un patron très intelligent mais un peu paresseux. Il décide d’initier la marche, mais il délègue le programme d’exécution à de petites structures cérébrales qui vont se charger d’assurer la suite de façon automatique. Il s’agit d’aires cérébrales parmi les plus anciennes dans la phylogenèse, situées au centre du cerveau : les noyaux gris centraux. Au sein du cerveau, ce sont eux qui prennent en charge l’exécution automatique de la marche.

Roger-Pol Droit – Ils ont quelle tête, si je puis dire, ces noyaux gris centraux ?

Yves Agid– Ils n’occupent qu’un tout petit volume (…)ridiculement faible par rapport au poids du cerveau, qui pèse presque trois livres, et se trouvent disposés dans la profondeur de chaque hémisphère cérébral. Ces noyaux gris centraux constituent un ensemble de circuits de neurones fort complexe, qui fait partie de ce qu’on appelait, autrefois, le « cerveau reptilien » (car ils sont particulièrement développés chez les reptiles, comme chez les oiseaux).

Les noyaux gris centraux jouent un rôle essentiel dans la genèse des comportements automatiques appris. Ils sont composés de plusieurs aires cérébrales liées entre elles, dont chacune a un rôle physiologique particulier, comme en témoignent les tableaux cliniques qui en résultent lorsqu’ils sont lésés. Striatum: chorée (vient du grec «danse»); pallidum: dystonie (mouvements de torsion); substantia nigra: Parkinson (lenteur, raideur, tremblement de repos); noyau subthalamique: hémiballisme (grands mouvements d’un côté du corps).

Roger-Pol Droit – Quel est le rôle joué par ces noyaux gris centraux ?

Yves Agid – Ils possèdent une expertise unique pour assurer, comme le dit Marsden, « l’exécution automatique de plans moteurs appris».

Ici, chaque mot est important. Ces noyaux gris centraux permettent l’exécution automatique de la marche (la concevoir et finaliser la programmation dépend du cortex frontal). Ils permettent d’exécuter le plan de marche programmé dans le cortex frontal sans qu’on ait besoin de s’en préoccuper, c’est-à-dire de manière automatique. Par quel miracle? À partir du cortex frontal (où s’effectue la planification de la marche), les noyaux gris centrauxreçoivent une copie du plan moteur de marche, une sorte de partition de la mélodie cinétique à réaliser.

Roger-Pol Droit– Nous aurions donc des plans-programmes de marche en stock, choisis en fonction des circonstances et mis en œuvre par les noyaux gris centraux comme autant de comportements automatiques? Mais d’où, à leur tour, proviennent ces plans de marche mémorisés ?

Yves Agid – De nos comportements moteurs appris, et même surappris, depuis la toute petite enfance. Les noyaux gris centraux sont, en effet, un outil d’apprentissage inestimable, mais pas d’emblée. Quand le jeune enfant apprend à marcher, les mouvements sont effectués avec gaucherie. Puis, par essais et erreurs successifs, les mouvements assurant la marche et l’équilibre finissent par être réalisés de manière adaptée. Le comportement de marche, appris et surappris, devient automatique. Marcher est progressivement une routine à laquelle on ne pense plus.

Roger-Pol Droit– On n’apprend plus rien ?

Yves Agid – Si, mais l’essentiel est acquis. Ce qui se mémorise en plus est destiné à perfectionner, à affiner des plans de marche particuliers. Au cours de nos marches s’effectue au fur et à mesure une mémorisation de l’environnement. Cette « mémoire de travail » permet de conserver la trace des événements vécus, pendant quelques secondes, le temps de prendre en considération les mouvements qui viennent de se produire pour effectuer les suivants.

Pour le comprendre, imagine une marche sur un terrain escarpé. On regarde devant soi, pas trop loin pour ne pas buter, suffisamment près pour savoir où on va mettre ses pieds, mais on ne regarde pas ses pieds, à moins que le chemin ne soit très accidenté, comme parfois en montagne. Ces particularités du parcours sont mémorisées au fur et à mesure. Elles permettent au programme de marche d’assurer le reposé des pieds sans heurt, en fonction non pas de ce qui est perçu (le regard est porté plus avant), mais du souvenir presque instantané́ que l’on a conservé du chemin parcouru.

Au fur et à mesure, les informations pertinentes sont retenues, et celles qui sont inappropriées sont effacées. Un travail de sélection permet de renvoyer vers le cortex moteur exécutif un message de marche affiné et apuré qui, dès lors, assure un comportement de marche adapté à la situation de l’individu.

Roger-Pol Droit– Mais alors, si les noyaux gris exécutent, et que le cortex frontal commande, il faut bien qu’ils communiquent ?

Yves Agid– Effectivement, les noyaux gris centraux ne sont pas isolés, seuls au milieu du cerveau. Ils sont connectés à la plupart des structures cérébrales, mais plus particulièrement au cortex frontal. Autrement dit, le cortex frontal et les noyaux gris centraux sont en boucle, de sorte que les messages adressés à ces derniers sont renvoyés au même cortex frontal.

La boucle «cortex frontal – noyaux gris centraux» assure le comportement de marche.

Le circuit de neurones issus du cortex frontal se projette sur les noyaux gris centraux, qui renvoient au cortex frontal un contingent de neurones. Le cortex frontal, le patron, exerce ainsi un contrôle sur les noyaux gris centraux, les ouvriers, lesquels informent en retour le cortex frontal qui peut modifier, au gré, en toute conscience, l’automatisme de la marche non consciente générée par les noyaux gris centraux. »

Extrait 2

Le lien entre marche et pensée

«  C’est comme si j’avaisbesoinde marcher pour que mon cerveau puisse produire des idées nouvelles »…

Yves Agid -C’est bien la marche qui me sort d’affaire le plus sûrement. Il arrive, malheureusement trop souvent, qu’à ma table de travail je continue de cafouiller. Alors, je m’interromps, je vais me promener. Je n’hésite pas à partir marcher une heure, souvent au pas de course. J’emporte avec moi un bout de papier et un crayon. Après un quart d’heure de marche, une première idée me vient, pas nécessairement géniale. Puis, une deuxième, une troisième, plusieurs, si bien qu’au retour, mon bout de papier est crayonné dans tous les sens. Et il m’arrive de garder une idée !

Roger-Pol Droit– Donc tu trouves des idées en marchant...

Yves Agid– Oui, comme si j’avais besoin de cette activité physique automatique pour que mon cerveau fasse émerger à ma conscience des idées nouvelles. Comme si marcher me faisait penser non seulement plus, mais mieux, en me permettant d’avoir plus d’idées, des idées nouvelles... Comme si marcher facilitait la créativité.

Roger-Pol Droit– Mais tu n’es pas le seul à éprouver cela! Une longue lignée de philosophes, à travers les siècles, t’a précédé. Chacun à sa manière a insisté sur ce lien entre mouvement des muscles et émergence des pensées. Tout le monde connaît les déambulations des philosophes grecs de l’Antiquité, qui dialoguaient en marchant. Socrate se promenait dans les rues d’Athènes avec ses interlocuteurs. Platon met en scène des voyages philosophiques qui se déroulent au fil de trajets à pied, parfois fort longs, comme dans les Lois, sa dernière œuvre, qu’il achève en approchant de ses quatre-vingts ans. Aristote et ses élèves arpentaient de bonne heure les déambulatoires des gymnases, pour démêler des questions théoriques, et c’est pourquoi on les avait surnommés « péripatéticiens», c’est-à-dire «promeneurs», puisque peripateîn veut dire «déambuler», «marcher aux alentours». Somme toute, nous faisons à peu près comme eux... Nous cheminons sur ce sentier tout en essayant de progresser dans nos analyses.

Yves Agid– Moins brillantes que les leurs, faut-il le souligner !...

Roger-Pol Droit– Évidemment ! Mais si nous sommes « des nains assis sur les épaules de géants », comme on disait au Moyen Âge, ce n’est pas seulement cette différence de taille qui distingue Anciens et Modernes. En fait, il me semble que les Anciens marchent pour penser, effectivement, mais sans le dire. Ils le font, mais ne le remarquent pas.

Le corps, pour eux, est toujours associé à la réflexion, et le mouvement de la marche est souvent présent, et de manière explicite, pour figurer le progrès de la pensée. Par exemple, dans la célèbre allégorie de la caverne de Platon, au livre VII de la République, il est question de détacher le prisonnier qui est immobile depuis son enfance et de le forcer à se lever. Il faut le mettre debout et le faire marcher, ce qui est pour lui douloureux, afin de le conduire au-dehors et de lui faire contempler le monde réel plutôt que celui des ombres. Ce texte matriciel, fondateur du dispositif de presque toute la pensée européenne, montre clairement qu’il est indispensable de se tenir à la verticale et de mettre un pied devant l’autre pour devenir philosophe en accédant au monde des Idées.

Mais si cette allégorie met indiscutablement en scène le lien entre marche et pensée, entre mise en mouvement du corps et accès aux Idées, elle ne fait pas de cette relation un sujet de réflexion, ni même l’objet de la moindre remarque. Autrement dit, les Anciens marchent pour penser, constamment, oui, mais ils ne s’en vantent pas ! Ils ne le remarquent même pas, n’en font pas un objet d’analyse.

Yves Agid– Quand donc a-t-on commencé à en parler ? À faire le lien, explicitement, entre marche et pensée ?

Roger-Pol Droit – Il me semble bien que c’est surtout une affaire moderne. Elle commence à la Renaissance, avec Montaigne par exemple, qui affirme penser d’abord avec ses jambes, et dit avoir besoin de déambuler pour réfléchir. Après lui, c’est un festival : Thomas Hobbes, le philosophe anglais de l’Âge classique, s’était fait fabriquer une canne dont le pommeau était pourvu d’un encrier pour noter les idées qui lui venaient en marchant, comme tu le fais avec ton calepin... Rousseau combat les idées politiques de Hobbes, mais partage avec lui la conviction qu’on ne peut penser sans se déplacer. Il l’exprime avec la plus parfaite netteté: «Il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit... » Et Jean- Jacques, qui arpentait les Alpes et vint à pied de Chambéry à Paris, insiste en disant: «La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées ; je ne puis presque penser quand je reste en place. »

Même exigence chez Nietzsche, qui n’a cessé d’élaborer ses analyses en parcourant les sentiers de la Haute-Engadine autour de Sils-Maria, où l’on peut aujourd’hui faire et refaire ses promenades sur les circuits des « Nietzsche-Spaziergänge », ou autour d’Èze, pas loin de Nice, où existe encore un « sentier Nietzsche » sur une colline en surplomb de la Méditerranée. Ce marcheur-philosophe est encore plus affirmatif que Jean- Jacques. Nietzsche professe en effet qu’il faut se méfier de toute pensée qui n’a pas mis les muscles à la fête; il proclame qu’on n’écrit bien qu’avec ses pieds, et que les « culs- de-plomb », comme il les appelle, ne peuvent avoir que des idées qui leur ressemblent, lourdes, pesantes, maladroites.

Yves Agid – Je ne crois pas que les idées qui me viennent quand je marche soient toutes fiables, ou nouvelles, encore moins aériennes, ou dansantes... mais il est rassurant de se retrouver en si bonne compagnie, et d’apprendre que les philosophes, en fin de compte, sont d’abord des marcheurs !

Le scientifique et le philosophe.

Copyright « Je marche donc je pense » par Roger-Pol Droit et Yves Agid (Albin-Michel)

224 pages/ 19 euros et 90 cents/ toutes librairies.

© Astrid di Crollalanza

PRISE DE VUE ALBIN MICHEL

Platon et Aristote devisant. Détail de la fresque de Raphaël, L'École d'Athènes.

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